Trouver sa maison

Sophie Mirouze et Arnaud Dumatin, délégués généraux du Fema

Édito – 52e Festival La Rochelle Cinéma

Le dernier film d’Arnaud Desplechin interroge notre place de Spectateurs ! (titre de son documentaire) ou comment le cinéma fait partie intégrante de nos vies. De sa première séance de cinéma, le réalisateur se souvient du petit garçon qui, aux côtés de sa grand-mère et alors que la salle plongeait dans l’obscurité, s’était retourné pour regarder le faisceau lumineux sortant de la cabine de projection. Et sa grand-mère de lui dire : « Il faut regarder l’écran ! » Quelques années après, alors que ce même garçon de 14 ans mentait sur son âge à la caissière du cinéma pour découvrir Cris et chuchotements interdit aux moins de 16 ans, un miracle se produisit. « J’étais enfin plus petit que les images que je regardais […]. J’avais trouvé ma maison. » Notre maison, la salle de cinéma.Au tout début du film, il est question des arts de la fin du xixe siècle, la peinture et la photographie, puis de l’arrivée du 7e art comme outil d’enregistrement du temps et du mouvement. Le commissaire d’exposition Dominique Païni commente un tableau avec, en amorce, des ombres de badauds qui impliquent à la fois le regard du peintre mais surtout, pour la première fois, celui de ceux qui regardent l’œuvre. Par un heureux hasard, la séquence suivante met en scène un célèbre acteur anglais qui, face à nous, pose son regard sur un tableau. Cet acteur très séduisant en cos- tume, c’est Daniel Day-Lewis dans un extrait du Temps de l’innocence. Effet de miroir troublant pour cet acteur auquel nous consacrons une journée en 5 films.

Bien installés dans vos maisons de cinéma à La Rochelle, nous vous souhaitons, pour cette 52e édition, un grand voyage à travers le temps. Avec Michael Haneke ou le temps du morcellement, Chantal Akerman ou le temps de l’observation, Marcel Pagnol ou le temps des amours.

Avec 307 séances programmées, vous ne pourrez pas tout voir. Il vous faudra choisir ou goûter à tout : l’inoubliable Natalie Wood et la merveilleuse Françoise Fabian, la comédie philosophique jubilatoire El Profesor de Benjamín Naishtat et la fable de lutte écologique Sauvages de Claude Barras, la leçon de musique avec Amine Bouhafa et la leçon de montage avec François Gédigier et Grégoire Hetzel, la table ronde avec les compositrices Irène Drésel, Julie Roué et Carla Pallone et la rencontre avec Nicolas Seydoux et Sylvie Pialat. Vous aurez très certainement envie de revoir des classiques (de Georges Franju, Michelangelo Antonioni, Wim Wenders, Emir Kusturica, etc.) ou des films cultes (Point Break, Tootsie), de découvrir les nouveaux films de Patricia Mazuy, Alain Guiraudie, Payal Kapadia et Jonás Trueba, ou le dernier film de la très regrettée Sophie Fillières, et enfin de vous plonger dans la toute nouvelle section « Au cœur du doc » à la rencontre des films documentaires de Claire Simon, Mati Diop, Raoul Peck, Werner Herzog, Jean-Baptiste Thoret et bien d’autres.

Spectateurs ! est une ode à celle et celui qui regarde le monde sur un écran de cinéma. Pour la clôture de cette édition, nous vous proposons une expérience cinématographique unique. Vous mettre à la place du spectateur de 1927 qui découvrait pour la première fois les images du Napoléon vu par Abel Gance à l’apogée du cinéma muet, ou plutôt de rester dans notre époque, soit près d’un siècle plus tard, et de découvrir ce film pour ce qu’il est, au-delà de sa durée exceptionnelle de 7 heures : un film d’une rare puissance et d’une grande moder- nité réalisé par un cinéaste au sommet de son art.Enfin, un dernier conseil, face à cette avalanche de séances, un film magistral découvert au Festival de Cannes. Notre Palme d’or au titre métaphorique : Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof. Un film impressionnant par la rigueur de sa mise en scène et sa portée politique. Comment dresser le portrait d’un pays, dénoncer son régime politique, à travers le quotidien d’une famille iranienne ? Une leçon de cinéma qui fait aussi la part belle au réel avec des vidéos d’archives du mouvement de contestation « Femme, Vie, Liberté ».

Merci au cinéma qui nous donne à voir le monde sur grand écran et ainsi à mieux le comprendre.