John Carpenter

Véritable prophète hors de son pays, John Carpenter, né en 1948 et actif dès ses 14 ans, fait partie de ces rares artistes dont la force de l’imaginaire et la créativité sont parvenues à enjamber les frontières de leur discipline maîtresse, atteignant dans le cas présent des domaines aussi éloignés que la musique électronique ou l’art contemporain.

Inspiré à son auteur par une visite à Stonehenge, « Fog » rend aussi bien hommage aux romans de Poe qu’aux comics d’horreur des Trente Glorieuses. « The Thing » est l’adaptation d’une nouvelle de John W. Campbell Jr., rédacteur en chef historique de la revue « Astounding Stories » de 1937 à 1971, revue encore active de nos jours. Aussi romanesques que romantiques, tous deux suivent la définition « classique » todorovienne du fantastique et de l’étrange, soit l’irruption dans une situation d’un événement qui ne peut s’expliquer par des lois propres à celle-ci. La procédure apparaît dès la première minute de « The Thing », offrant au film, par sa radicalité, l’une des plus belles scènes d’ouverture de l’Histoire (si, si !).

Entre l’infiltration et l’évasion, « New York 1997 » (sic) vient pour sa part renverser ce principe, le bras armé de l’Ordre et de la Justice (ou tout du moins la définition que peut s’en faire un « Snake Plissken », première apparition de Kurt Russell sous l’objectif de Carpenter) se voyant cette fois littéralement catapulté dans un New York postapocalyptique, laissé à la merci de ses marges. S’il prend pour décor un Manhattan terrorisé, le film, écrit en réaction à l’affaire du Watergate et à la découverte du camp cambodgien S-21, fut principalement tourné dans le centre-ville de Saint-Louis après que celui-ci eut été dévoré par les flammes à la fin des années 1970. Par la vérité de ses images, New York 1997, peut être perçu comme une « uchronie à retardement » et témoigne, en dépit de son caractère rockambolesque, de la dimension sociale et politique de l’œuvre du cinéaste, Carpenter n’ayant jamais caché ses penchants « progressistes ».

Réalisés dans la foulée entre  1980 et  1982, « Fog », « New York 1997 » et « The Thing » témoignent à eux seuls de la force et de la versatilité de Carpenter. Ils forment une sorte de trilogie ascendante, tant artistique qu’économique, dans la carrière du réalisateur carthaginois (NY), ascension qui fut immédiatement interrompue par l’échec commercial du dernier film, pourtant considéré comme son meilleur par l’auteur et resté très estimé par la suite. Pourtant habitué des productions à coûts réduits, le réalisateur, définitivement trop « anti » malgré son nouveau statut hollywoodien, se verra contraint de retourner dans un circuit indépendant après avoir provoqué la hantise de certains producteurs trop téméraires.

Culte parmi les cultes, pilier de la culture populaire des années 1980 aussi à l’aise dans l’horreur que dans le film noir ou la science-fiction, Carpenter, en bon admirateur de Hawks, n’a jamais cessé de redéfinir à sa manière les frontières des grandes catégories du cinéma de « divertissement » américain, faisant ainsi fi de toute hiérarchie des genres. Pour toutes ces raisons et pour d’autres encore, force est de reconnaître, au risque de le vexer, qu’il fait aujourd’hui partie des grands.