Midi Z

Xavier Leherpeur (Critique de cinéma)

Proposer un hommage consacré à un cinéaste d’à peine 30 ans et n’ayant réalisé « que » trois longs métrages et cinq courts peut apparaître à première vue comme un rien prématuré. Voire incongru.

L’initiative mérite pourtant, et à plus d’un titre, d’être saluée et trouve dans la personnalité, la nationalité et la concrétisation fulgurante de style et de l’acuité cinématographique de Midi Z, autant d’excellentes raisons de s’intéresser à l’émergence de ce metteur en scène présenté de façon éparse dans divers festivals internationaux (Busan, Berlin, HongKong, Rotterdam) et qui, film après film, confirme ses promesses, affine sa mise en scène et renforce la dimension politique autant que sociétale de son œuvre naissante. Œuvre qui devrait, sans l’ombre d’un doute, devenir très vite majeure dans le panorama du cinéma asiatique et rencontrer le public qu’elle mérite.

Origines…

Midi Z est né en Birmanie en 1982 dans un contexte de bouleversements et de conflits idéologiques qui l’ont contraint à émigrer à Taïwan pour y suivre ses études d’art. En 2006, il signe un premier court métrage, Paloma blanca, réalisé dans le cadre de son cursus universitaire et qui lui vaut d’être repéré et programmé à Busan puis Melbourne.

Dans un pays ravagé par les récentes et nombreuses prises de pouvoir dictatoriales et où la culture vivante a été mise à bas, un artiste émergent mérite notre attention. En particulier dans le domaine du cinéma, gangréné par le marché noir, et qui survit péniblement, avec à peine soixante-dix salles pour l’ensemble de la Birmanie (et pas plus de quatre dans le centre de Rangoun), toutes dévouées à la diffusion de vieux films d’action chinois et de quelques comédies populaires. Et si les choses semblent s’améliorer selon les dires de Midi Z qui constate depuis deux, trois ans une amélioration des rapports entre les cinéastes et le pouvoir en place dans un pays où, il y a peu encore, tenir une caméra était considéré comme un acte politique répréhensible, c’est avant tout par la force testimoniale de son cinéma, intelligent mélange de fiction, documentaire et installation artistique, que ce jeune metteur en scène a légitimement affirmé sa place d’auteur. Grâce aussi à une conscience immédiatement remarquable du geste cinématographique, traduite par de réels et adéquats choix formels ainsi que par un sens très affirmé de la mise en scène, que l’on caractériserait de manière un rien sommaire comme « documentaire ».

Et s’il fallait d’ores et déjà dégager quelques-uns des principaux vecteurs sur lesquels se structure son cinéma, on pourrait parler à la fois de la récurrence de son travail sur les différentes zones frontalières (physiques, politiques, sociales et psychiques), de son obsession pour l’argent, les transactions monétaires et les trafics, mais aussi de sa façon de capter et retranscrire les divers environnements au sein desquels évoluent ses protagonistes et, enfin, de sa manière de conjuguer le naturalisme du témoignage avec la fibre narrative. Autant d’axes et de thèmes optimisés par un travail sur le cadre et la durée de plan d’une remarquable pertinence.

Frontières…

Une héroïne résume à elle seule tous les thèmes frontaliers qui traversent le cinéma de Midi Z, c’est celle du court métrage The Palace on the Sea (2014). À Taïwan, une jeune femme veut à tout prix rentrer en Birmanie. Choix de vie que lui déconseillent ses collègues, celles d’un boulot où s’exploitent les corps féminins et venues, comme elle, d’ailleurs. Jusqu’au moment où nous comprenons que cette apatride, perdue dans les limbes d’un palace flottant, symbole d’un rêve consumériste en pleine décrépitude, a déjà traversé l’ultime frontière, celle dont on ne revient pas et qui sépare la vie et la mort. Une installation tour à tour chorégraphique et onirique servie par une bande-son gutturale et dissonante, métaphore de la détresse intérieure de cette femme à jamais déracinée.
Partir, revenir, rester ou repartir ? Cet écartèlement géographique est au cœur de tous les récits de Midi Z et en particulier ceux de Ice Poison (2014) où un jeune Birman aide une femme de son âge, dont le mari vit en Chine avec leur enfant, à récupérer ce dernier afin de pouvoir revenir au pays natal. Retour espéré comme définitif qu’effectue également le héros de Return to Burma (2011), premier long métrage de Midi Z, narrant le retour parmi les siens d’un jeune ouvrier en bâtiment travaillant depuis des années à Taïwan.

Valeur du travail… Valeur des corps…

Autre constante dans le travail du cinéaste : la tarification des actes, qu’ils soient ceux du travail ou ceux plus illicites de la prostitution ou du trafic de drogue. Tous les dialogues, ou en tout cas une majeure partie, se focalisent autour de cette question. Interrogation concrète et souvent cruelle qui met à nu les inégalités, l’exploitation et les chimères inaccessibles. Dans Return to Burma, le héros ne cesse de questionner son frère, son père ou ses amis sur les salaires qu’ils peuvent espérer gagner au cours d’une journée. On apprend même précisément ce que coûte le prix d’un passeport pour la Malaisie dont rêvent les jeunes poètes musiciens qu’il croise sur son chemin. Obsession que l’on retrouve également dans Poor Folk (2012), autre film transfrontalier qui met en parallèle le trafic de drogue auquel se livre l’un des protagonistes dans le but d’amasser assez d’argent pour racheter sa sœur, prostituée en Thaïlande, et celui de ces femmes birmanes, vendues par leur famille, qui passent clandestinement la frontière entre la Birmanie et la Thaïlande. Des corps qui, comme la drogue, ne sont que des monnaies d’échange et de transaction pour un avenir meilleur miroitant comme un mirage mais qui ne cesse de s’estomper dès que les héros tendent la main pour le saisir. Ayant, au passage, payé le prix fort de cette tragique désillusion.

Environnements…

Filmer un personnage pour Midi Z, comme d’ailleurs pour tous les cinéastes ayant un tant soit peu conscience de la portée sociétale et/ou politique du septième art, revient avant tout à filmer celui-ci dans l’espace de vie qui est le sien. Et savoir l’inscrire dans ce cadre qui, à la fois, le détermine et l’influence. Horizons campagnards ou urbains, intimité recluse des habitations, perspectives, lignes de fuite… le décor a ici sans cesse valeur de témoignage. Un personnage à part entière que Midi Z fait vivre grâce aussi à son goût pour les plans fixes prolongés. Les sons afférents, les bruits du quotidien ou les lumières – réalistes pour la plupart mais parfois surréalistes comme dans Paloma blanca (court réalisé en 2006 comme travail de fin d’études), poème visuel et sonore sur la marchandisation dont sont victimes les femmes à travers le monde ou encore ceux, étranges et hypnotiques, de The Palace on the sea – sont autant d’immersions sensorielles qui, au passage, révèlent également le paysage mental du héros. Et sont aussi une manière de raconter l’histoire récente de la Birmanie à l’image de ces chansons pop et propagandistes qui accompagnent le retour au pays du héros de Return to Burma.

Documentaire… Fiction…

Return to Burma, Poor folk et Ice poison sont incontestablement des fictions, édifiées comme il se doit à partir de personnages ‘inventés’ évoluant dans des situations répondant aux diverses lois de la dramaturgie que sont le dilemme moral (Poor Folk), l’amour (Ice Poison) ou encore la fidélité familiale (Return to Burma). Mais, à chaque fois, le scénario s’offre aussi de nombreuses incursions documentaires. Des digressions apparentes mais toujours justifiées qui ancrent le récit dans un arrière-fond sociétal, testimonial et hyper réaliste. On retiendra, parmi les nombreux exemples, la scène dans l’usine d’huile de Return to Burma que visite le héros. Tout nous est explicité, depuis le modus operandi du travail qui y est effectué jusqu’à la provenance des machines (dont la quasi totalité viennent de Chine à l’exception du filtre qui est d’origine birmane) en passant par le salaire de l’ouvrier. Une séquence nous montrant en quelques minutes la dureté du quotidien mais évoquant surtout le rôle moteur de la Chine (pour ne pas dire) dans l’infrastructure économique (et donc à fortiori politique) de la Birmanie actuelle. Ingérence idéologique d’ailleurs régulièrement évoquée dans les films de Midi Z. Une porosité synergique entre fiction pure et documentaire, moteur de son travail et mis en exergue dans Silent Asylum (2013) coréalisé avec l’actrice française Joana Preiss où il rend hommage explicitement à l’une des œuvres phares du genre : Hiroshima mon amour d’Alain Resnais (1959).

Style…

Dès ses premiers films, Midi Z privilégie le plan fixe et une certaine durée du plan, choix qui cristallisent le contenu politique, social et humain de son travail. Regarder frontalement, prendre le temps de laisser la situation se décanter et choisir d’écouter sans briser le discours d’un plan de coupe sont quelques-unes des vertus de son cinéma. Qui ne laisse pour autant rien au hasard. Le choix du cadre répond à des exigences (environnement, réalisme) que nous avons précédemment mises en avant, mais théâtralise aussi, avec discrétion ainsi qu’une redoutable efficience, le contenu de la séquence. Comme dans ces scènes de groupe récurrentes où se détache toujours un personnage, pas nécessairement le « principal » de la scène d’ailleurs, qui est à la fois la focalisation de la scène (et de notre regard) mais surtout le centre nerveux de celle-ci. Un véritable point d’équilibre autour duquel peuvent se déployer les autres acteurs (pour une immense majorité non professionnels) ainsi que la dramaturgie de la séquence. Où, en résumé, comment exacerber la retranscription du réel en recourant aux effets de style de la représentation fictionnelle.
La marque des vrais auteurs.

Avec le soutien du Centre Culturel de Taïwan