Mercredi 6 juillet

La Chasse

Changement sur la grille

Comment voler un million de dollars (2h03) de William Wyler ne passera qu’une fois, demain à 17h15 en Dragon 5 et ne sera pas repris dimanche.

Soirées exceptionnelles, événements

11h : Ciné-concert avec Jacques Cambra au piano, présenté par Rodolphe Lerambert ADRC : Metropolis de Fritz Lang / Salle bleue

16h : Les Films d’ateliers de Festival présenté par Jean Rubak et Amélie Compain / Salle Bleue

16h15 : Rencontre avec Joachim Trier / Théâtre Verdière

Edito

par Viviane Saglier

Une jeunesse hantée par le passé ou par ce qui aurait pu se passer, c’est ce que dépeint Joachim Trier dans ses deux longs métrages. Une jeunesse devenue presque fantôme, perdue entre ses attentes de l’avenir et le poids des ans. En un mot, la mélancolie, cette distorsion entre un âge qui peut tout espérer et sa certitude qu’il n’a plus rien à construire. Un soleil noir qui brouille les frontières temporelles et spatiales, et qui transforme toute trajectoire en errance. L’indistinct, l’esquisse, sont les figures sensibles de cet égarement. L’attachement des personnages à la littérature, leur tentative d’écrire et de retrouver la temporalité d’une narration, deviennent le symptôme d’une génération qui doit raconter pour exister, une génération X, comme dans le roman éponyme de Douglas Coupland. Car cette déambulation hasardeuse se fait toujours en groupe ou par rapport au groupe, les amis étant tour à tour adjuvants et opposants. Public du récit ou partie composante, alter egos ou reflets inversés, les amis tracent de nouveaux méandres spatiaux et temporels, créant d’autres possibles. Si bien que la question « Quand ? » devient indissociable de la question « Où ? », et par une équation mystérieuse se fond dans le dénominatif commun du « Comment ? ». Comment vivre ? La question est à la fois simple et immense.

Lost in Distribution – Entretien avec Marc Olry

Marc Olry a fondé la société de distribution Lost Films qui présente cette année Comment voler un million de dollars.

Quand et comment avez-vous décidé de créer votre société de distribution?

Il y a environ 5 ans, je participais à une société de distribution de film de patrimoine mais j’avais envie de choisir moi-même et de faire découvrir des films qui me ressemblent et dont j’allais m’occuper de A à Z (L’affiche, les partenaires pour le faire exister, les salles où le programmer).

Vous vous concentrez sur les films américains des années 1960, pourquoi ce choix?

Élevé à la Dernière séance, au Ciné-Club ou au Cinéma de Minuit, j’ai toujours apprécié le cinéma américain. C’est vraiment un hasard les années 1960… J’ai décidé de créer Lost Films parce que j’avais proposé à mes anciens camarades de ressortir Du silence et des ombres de Robert Mulligan, qui ne les enthousiasmait pas et entre temps j’ai aussi découvert par hasard l’existence de La Rumeur de William Wyler (la première réédition Lost Films en juillet 2009). En préparant le dossier de presse j’ai revu plusieurs films de Wyler ou d’Audrey Hepburn dont Comment voler un million de dollars, une comédie qui fonctionnait très bien et qui reste assez méconnue comparée à d’autres classiques avec Audrey Hepburn. En plus il y a aussi Peter O’Toole (d’ailleurs Lawrence d’Arabie est mon film préféré et encore des années 1960 me direz vous).

Quelle est la différence entre une réédition et une restauration?

La réédition propose de sortir le film en tirant une copie neuve d’après le matériel encore à disposition, en lui proposant une nouvelle vie, un nouveau public et parfois une nouvelle affiche. La restauration va travailler au niveau du matériel original, améliorer le négatif du film (restituer l’image ou le son comme à sa première sortie ou selon la version idéale du réalisateur car parfois les films subissent des coupes d’un producteur, d’un premier distributeur, de la censure ou bien le négatif est trop endommagé pour pouvoir tirer une nouvelle copie). Je ne fais pas de restaurations, c’est trop coûteux et le délai est plus long pour obtenir le matériel de tirage.

Comment procède-t-on à une réédition?

Il faut acheter les droits d’exploitation du film auprès de l’ayant droit ou d’un producteur, faire tirer des copies, les sous-titrer. Ensuite il faut essayer de faire exister le film qui a déjà eu plusieurs vies en salles, à la télé ou en dvd pour créer l’envie de le revoir en salles. Prendre un attaché de presse, envoyer des DVD aux exploitants de cinéma, aux associations régionales pour qu’elles aient envie de le découvrir et de le programmer, le proposer pour un événement, une rétrospective, un festival qui le mettra en valeur, en lumière.

Vous sortez peu de films, leur choix est donc crucial. Comment les choisissez-vous?

L’idée et le nom même de Lost Films, c’est de proposer des films perdus ou plutôt perdus dans l’esprit du grand public. J’ai envie de traiter ces films comme des films nouveaux, récents : avec la création d’une nouvelle affiche et d’une nouvelle bande annonce pour les sites internet par exemple. Il s’agit de choisir pour moi un film rare mais avec un potentiel suffisant pour donner envie à quelqu’un d’acheter sa place.

Pourquoi rééditer Comment voler un million de dollars ?

Portrait Marc OlryAprès le succès de deux films plutôt noirs, dramatiques et difficiles à faire connaitre (pour Du silence et des ombres, réalisateur peu connu et seul star Gregory Peck) j’ai eu envie de proposer un film plus léger mais tout aussi rare. Le succès du dernier Woody Allen tourné à Paris me laisse à penser que Comment voler un million de dollars, est propice à rencontrer un public large pour l’été. C’est aussi une façon de revenir à Wyler et Audrey Hepburn qui m’ont porté chance avec La Rumeur. Avez-vous des partenariats avec des cinémathèques? L’année dernière j’ai proposé quelques semaines avant sa sortie une avant-première de Du silence et des ombres pour l’ouverture de la retrospective Robert Mulligan à la Cinémathèque française, je fais aussi une opération avec leurs abonnés, via leur newsletter (on annonce la sortie en salles et j’offre des places à gagner, comme avec le magazine Positif qui m’a accompagné à chaque fois et cette année en plus avec Paris Mômes).

Vous travaillez tout seul, comment faîtes-vous?

J’essaie de faire tout au mieux (tout en travaillant régulièrement sur des tournages donc les journées sont parfois longues). C’est beaucoup de travail car j’ai tendance à dire qu’un film est un être vivant dont il faut s’occuper en permanence (appeler les salles, envoyer des affiches, vérifier que les copies arrivent bien, présenter aussi le film pour une soirée, un festival puis facturer les recettes aux salles, etc..). Si on ne fait rien il reste sur l’étagère et personne ne le voit mais attention je ne fais pas tout quand même, j’engage un attaché de presse, un graphiste et un comptable. Ils sont essentiels pour Lost Films et lui donnent aussi son image.

Quel est votre prochain projet?

J’hésite encore… J’ai plusieurs idées en tête et encore les années 60, c’est un hasard, promis…

Propos recueillis par Viviane Saglier

De Natura Rerum

Tiresia

C’est par la poésie, cet entre-deux mondes, que le réel et la mythologie se fondent chez Bonello. Les corps sont à la fois de chair et de marbre, êtres et oeuvres d’art. Le Mythe n’est que cette tentative de copier le réel, au sens d’Aristote : imiter la Nature non telle qu’elle est mais telle qu’elle devrait être. Aussi le Mythe est-il directement intégré dans le monde, et lui donne toute sa consistance. Dans Tiresia, la dite imperfection des corps naturels est dépassée grâce à l’artifice des pilules hormonales : le torse masculin se vallonne, les seins se forment, ronds et solides, dans la rigueur d’une géométrie généreuse. Le corps est ensuite paré, orné, devient oeuvre à encadrer, et est exposé comme dans une vitrine de musée. Dans un long travelling, le poète Terranova regarde défiler, à travers le pare-brise de sa voiture, les transsexuels du Bois de Boulogne, avant de tourner autour de la statue antique de l’Hermaphrodite endormi du Louvre. La chimie a sculpté les corps et en a fait de l’art, sacré et intouchable. Tiresia, à la fois homme et femme dans un seul organisme, illustre le mythe de l’androgyne platonicien, et atteint la perfection de l’Un. Terranova séquestre ce corps pour mieux l’observer dans son musée personnel, mais refuse tout contact sexuel. Il se contentera de veiller sur Tiresia comme un collectionneur jaloux.

Alors que la première partie du film consacre la jouissance de l’observation et de l’artifice, la cécité nouvelle de Tiresia redirige la narration vers une puissance autre : celle du son. Le regard ne se porte plus sur les corps, les travellings s’étalent sur les paysages, supports d’une voix off d’un outremonde, celui des dieux. Tiresia, devenue oracle comme dans le mythe grec, n’est plus que musicalité : celle de la voix qui parle à partir d’elle, et celle de la langue portugaise, chantante et révoltée, dont l’accent pointe également lorsqu’elle parle français. Aveugle, Tiresia ne peut plus saisir son image, les seules formes qu’elle appréhende sont celles des mots qui viennent à elle pour annoncer le futur. Elle ne produit pas une « copie » du monde, elle l’annonce : l’oracle n’est pas miracle, et le réel est définitif et indépassable. Ainsi se divisent l’image terrestre et la voix céleste, vestige des choeurs antiques qui chante le tragique de l’inachèvement de l’être.

Viviane Saglier

Je pense donc je suis – Entretien avec Joachim Trier

Comment êtes-vous devenu réalisateur ?

Je viens d’une famille de cinéastes. Mon grand-père Erik Løchen était réalisateur, mon père était ingé-son, et ma mère tournait des documentaires. J’ai été champion de skateboard pendant quelques années, et puis j’ai commencé à faire des vidéos de skate. Et là je me suis dit, j’aime bien filmer, faire du montage. À vingt ans, j’ai commencé à faire des courts métrages de fiction, puis j’ai fait une école de cinéma, et c’est comme ça que tout a commencé.

Et vos vidéos de skateboard ont-elles influencé votre façon de filmer ?

Pendant longtemps, je croyais que c’était à part. Mais il y a des similarités. Par exemple, quand on filme des figures de skate, on peut avoir deux approches. Soit on filme une figure après l’autre et on les rassemble, soit on fait un plan-séquence, avec plein de figures les unes après les autres. On doit faire des choix, qu’est-ce qui est le plus virtuose ? On commence à penser cinéma sans même le comprendre.

La Littérature vous inspire. Comment l’utilisezvous dans vos films ?

Avec Nouvelle Donne, nous voulions expérimenter une approche littéraire du cinéma. Je suis très inspiré par Truffaut, ou par la façon dont la voix off est utilisée dans Barry Lyndon par exemple. Je pense qu’on peut étirer le cinéma vers de nouvelles expériences, et en s’inspirant de formes littéraires, on peut trouver quelque chose de cinématographique, paradoxalement. Quant à mon dernier film, Oslo, il est adapté du Feu Follet de Pierre Drieu La Rochelle. Le début est le même, mais notre histoire se passe aujourd’hui et en Norvège, donc le milieu est différent. J’ai vu le film de Louis Malle il y a très longtemps, et après j’ai lu le livre. Quand on a décidé de faire le film, je ne l’ai pas revu. J’avais trop peur de réaliser que j’allais faire quelque chose de largement inférieur, car c’est un chef-d’oeuvre absolu.

Vous utilisez le même acteur dans vos deux films, Anders Danielsen Lie, comment l’avezvous découvert ?

Quand j’ai fait mon casting, je ne voulais pas rencontrer des acteurs connus, je voulais plein de gens différents, j’en ai vu des milliers. Et Anders est arrivé. Il était encore étudiant en médecine, mais il avait joué dans un film très populaire alors qu’il était enfant, Herman. Il avait alors neuf-dix ans, et il n’a jamais rejoué depuis. On a donc fait des essais, c’est quelqu’un de très intelligent. Il a une approche très personnelle, il est très méticuleux. Je voulais vraiment travailler de nouveau avec lui après Nouvelle Donne. On m’a déjà demandé : allez-vous faire des films avec lui tous les cinq ans ? J’adorerais. Je ne sais pas si c’est un alter-ego, mais c’est quelqu’un en qui j’ai une grande confiance pour porter les histoires que je veux raconter.

Vous travaillez beaucoup sur les souvenirs, mais de façon très différente dans vos deux films. Dans Nouvelle Donne, vous utilisez beaucoup les flashbacks, alors que c’est complètement linéaire dans Oslo.

Portrait Joachim TrierJe me suis toujours intéressé à la capacité qu’avait le cinéma à traiter le souvenir et l’identité. D’un côté, je suis un grand admirateur d’Alain Resnais, d’un autre côté, dans notre vie privée, on prend des photos, et quand on les regarde plus tard, ça soulève des questions sur celui qu’on était alors et celui qu’on est maintenant. Quand on veut faire un film, c’est un sujet qu’on ne peut pas éviter. Avec ces deux films, qui traitent d’une crise d’identité, je voulais impliquer les gens dans le processus du souvenir. Dans Nouvelle Donne, c’est plutôt axé sur les rêves du futur, et la personne qu’on veut devenir. Dans Oslo, je voulais créer un mystère et intégrer le spectateur dans cette recherche d’identité pour que les spectateurs interprètent davantage, sans avoir toutes les clés. On me dit toujours : si tu veux montrer la pensée, tu devrais écrire des livres. Pourquoi ? Dans un film, on peut aussi créer le sentiment de la pensée. Mais je l’aborde de façon très différente dans les deux films. J’étais très nerveux quand j’ai tourné Oslo, j’avais peur qu’on le compare à Nouvelle Donne. C’est le même acteur, la même ville, la même équipe. Mais maintenant, je sais qu’ils ont chacun leur vie propre.

Quelles relations aviez-vous avec votre grand-père Erik Løchen ?

Il est mort quand j’avais neuf ans. On n’a donc jamais développé de relation autour du cinéma. Il m’a appris à sauter à ski, et le mot « dilemme ». Le saut à ski, c’est comme faire des films, il faut tenter sa chance. Et le dilemme est intéressant, c’est privilégier l’ambivalence sur le point de vue tranché. Et ce qui m’inspire surtout chez lui, c’est sa critique du point de vue unique sur la réalité. Il était très engagé. Il a fait la résistance pendant la guerre, et il a été capturé et emprisonné dans un camp de travail. Après la guerre, il est devenu très pacifiste. On doit toujours questionner la vérité. Mais ce qui est aussi très important chez lui, c’est qu’il était musicien de jazz. Dans le jazz, une chanson peut être jouée dans d’infinies variations. C’est pour ça que j’aime tout particulièrement Motforestilling.

Propos recueillis par Viviane Saglier

Pour une nouvelle langue cinématographique

MotforestillingDéroutant. C’est l’adjectif qui convient peut-être le mieux à ce documentaire norvégien d’Erik Løchen, Motforestilling. Et pour cause, une fois le film achevé, chacun s’ingénie à remettre de l’ordre dans ses pensées, à retrouver une cohérence qui lui aurait échappée, un sens caché qui ne se serait pas offert à lui de prime abord. En vain. Le titre du long métrage – « Objection » en français et au singulier – souligne en réalité une triple objection visant la politique, la presse et le film conventionnel. La critique politique jouit cependant d’un traitement de faveur par rapport aux deux autres, grâce à une ironie intelligente. La tendance est à la simplification du problème, en témoignent ces étudiants, d’une naïveté ridicule, qui font une étude sur la corrélation entre la foi en Dieu et croire en l’OTAN.

L’originalité du long métrage repose sur le fait qu’il contient seulement 120 plans qui pourraient être montés dans n’importe quel ordre chronologique, ce qui ôte par ailleurs toute dramaturgie. Toutefois, le caractère circulaire n’est pas la seule pierre de touche. En effet, Motforestilling relève d’un double pari expérimental à la fois périlleux et audacieux dans la mesure où il est également une mise en abyme du tournage d’un autre film. En ce sens, ce méta-film, et, à plus haut sens, ce méta-commentaire sur le cinéma, qui annonce déjà la Nuit américaine de François Truffaut, fonctionne à plusieurs niveaux. De surcroît, aucun des personnages n’a de nom. La performance cinématographique relève paradoxalement de l’anti-performance. La conception de l’anti-conception. Ainsi, Løchen brise non seulement toutes les conventions du récit cinématographique classique mais pose également les jalons de principes modernistes qui exigent, en tout premier lieu, une position plus active du spectateur. Quelques scènes se détachent du long métrage avec justesse et pertinence, à l’instar de celle où l’on peut voir le réalisateur distiller quelques conseils à son public sur la façon de voir un film. Ouvrir au spectateur le champ des possibilités du cinéma dont l’horizon est infini. Le faire réfléchir sur ce qu’il voit. Sur ce qu’il vit. Là se trouve l’innovation cinématographique de Motforestilling qui nous apparaît dès lors comme un matériau que l’audience doit reconstituer. Il nous incombe, à nous autres spectateurs, non plus de chercher le sens caché que nous n’avons toujours pas décelé, mais de recréer du Sens en dehors de la sphère du film. Poétique et résolument moderne, Erik Løchen signe avec Motforestilling un véritable manifeste pour une nouvelle langue cinématographique.

Alexandre Guillet

Et les petits

Chapi-ChapoUne petite guitare, des petits tambours bleus, un minuscule piano à queue, une flûte à bec, des clochettes, un petit xylophone et des petits spectateurs qui s’agitent. Grande émotion, face à cette scène et ce grand écran tout blanc. On attend. Petits cris, petits rires, grands sourires. Le spectacle commence et c’est un choeur de canards et d’animaux en plastique qui annoncent l’arrivée de quatre musiciens hors du commun. De grands enfants hirsutes, barbus, de rose et de bleu vêtus, prennent place sur scène et… jouent. Une boîte à musique, d’où s’échappent, comme des gouttes de pluie sucrée, les notes d’une douce mélodie, lance le premier morceau. S’y ajoutent, un par un, les instruments mini, une petite symphonie étrange et onirique. De quoi attirer l’attention des plus petits et plonger les plus grands dans une réminiscence sans forcer la nostalgie. Vers la fin du morceau une petite voix impatiente de s’exprimer crie « Bravo ! ». D’autres lui font écho : des bravos, des applaudissements, des cocoricos. Puis, les lumières s’éteignent, la salle se fait noire pendant un instant de silence inquiétant avant que la musique reprenne avec le premier court métrage. La programmation cinéma du spectacle Chapi Chapo est un joli éventail de films d’animation polonais datant des années cinquante. Le premier, intitulé La Surprise de Teresa Badzian, est un bijou. Un circuit électrique aux branchements croisés donne vie a des créatures métalliques qui sèment la pagaille dans l’univers douillet d’une bande de jouets. Les Chapi Chapo accompagnent les courts de bruitages et d’une musique spécialement composée pour chaque film. Sans voler la vedette aux stars animées des films projetés, ils se font tout de même remarquer. Leur plaisir à jouer ensemble est palpable, leur talent de musiciens aussi. Tous sont polyvalents, passant du mini xylophone au mini piano, de la flûte à bec aux clochettes avec aise. Ils échangent rires et regards complices, ponctuent leurs phrases de coups de klaxon, et marquent le rythme par des mouvements de tête faisant rebondir des touffes de cheveux mal peignés. Un spectacle généreux, étonnant, inspiré.

Catherine Hershey

La chute du mur – Una Frontera, todas fronteras

A priori, la frontière représente l’essence même de la séparation, d’autant plus lorsqu’elle est matérialisée par un mur immense qui court sur tout un continent. Alors que David Pablos aurait pu utiliser cet élément de fractionnement du décor pour exciter les émotions pathétiques, il sublime au contraire cette déchirure pour en faire un nouvel élément d’union. Loin de filmer des victimes, il prend pour sujet des hommes dont l’espoir ne faiblit jamais, dans une acceptation qui n’a rien d’un renoncement, mais se pose davantage comme preuve d’une grande sagesse.

Una Frontera, todas fronteras

Le film s’ouvre sur la vue aérienne d’une dune divisée par une longue ligne noire graphique qui fractionne l’écran. La séparation est ainsi d’abord visuelle. De chaque côté du mur, les familles attendent patiemment de se retrouver. Comme séparées par la grille d’un parloir de prison, elles continuent à échanger des conversations et à créer du lien. La figure humaine semble pourtant irrémédiablement soumise à cette esthétique de la limite : les corps, fragmentés par les gros plans successifs, en deviennent abstraits. Ce que le mur refuse avant tout, c’est la possibilité de considérer l’autre dans son entièreté, et dans sa condition de personne.

Mais très vite, cette division est dépassée par le désir et l’amour de chacun. Le mur devient un point nodal où se concentre toute une énergie vitale. Les amants l’utilisent pour réinventer leur relation, le détournant en un objet érotique pour redécouvrir les parties de leur corps qu’ils avaient l’habitude de toucher. Les doigts s’effleurent et les lèvres remodelées par le grillage échangent des baisers extraordinaires. Le mur est intégré dans le paysage quotidien et participe de la création de souvenirs. Ainsi, un jeune couple le prend pour arrière-plan de ses photos de mariage, l’associant au symbole même de l’union sacré. Cette attitude n’est pas sans humour, comme si la plus belle façon de résister résidait dans la réappropriation des armes de l’ennemi. Vouloir se confronter directement au mur n’est plus une solution, on raille avec affection la petite grand-mère qui échafaude les plans les plus fous pour passer de l’autre côté. David Pablos capte des moments privilégiés de tendresse, sans affectation aucune, et avec un grand amour de l’humanité. Le mur s’élève entre le Mexique et les États-Unis, mais ce détail a peu d’importance, si ce n’est qu’il met en valeur le courage d’un peuple mexicain dont la force de vivre est une belle leçon d’humilité.

Viviane Saglier