Joseph Losey

Michel Ciment

C’est la cinquantaine passée que Joseph Losey fut reconnu comme le grand cinéaste qu’il était. Consécration tardive due à une vie marquée par les vicissitudes de son siècle. Et c’est à la critique française, en tout premier lieu, le cercle du Mac Mahon animé par Pierre Rissient et la revue Présence du cinéma dont elle était l’émanation qui, littéralement, le découvrit malgré la dizaine de films qu’il avait déjà réalisés. Admiré autant par les Cahiers du cinéma que par Positif, il incarnait au tournant des années soixante le metteur en scène, qui quel que soit le genre qu’il illustrait, était le maître de l’espace et du temps. Avec Resnais, Antonioni, Godard, Bergman, Fellini et quelques autres, il participait de cette consécration de l’auteur moderne qui allait marquer la décennie.

Comme Nicholas Ray, de deux ans son cadet, il est né en 1909 à La Crosse dans le Wisconsin, cet état du Middle West, qui fut aussi le berceau, plus tard, d’Orson Welles. Il appartenait à une famille patricienne – son grand-père, avocat et politicien, fut un des fondateurs de la ville – qui recevait Rachmaninov pour des récitals de piano et Mark Twain pour des lectures. Il se sépare pourtant, dès que possible, d’une famille snob et conservatrice en commançant à seize ans des études de médecine puis d’anglais à Dartmouth, avant de rejoindre Harvard pour se frotter au théâtre.

Les années de formation de Losey sont d’une variété et d’une richesse confondantes. Il écrit des comptes-rendus de pièces et de livres pour le New York Times, est assistant metteur en scène à Broadway sur Grand Hotel, entreprend un premier voyage en Europe et à son retour, est régisseur de deux pièces interprétées par Charles Laughton. Il monte le premier spectacle de variétés du Radio City Music Hall avant de mettre en scène, pour la première fois, une pièce Little ol’Boy à l’âge de 24 ans. Marqué par la dépression, conscient de l’échec d’un système économique qui se pensait infaillible, il entre au Parti communiste avant de repartir pour l’Europe. Il séjourne en Suède et en Finlande mais surtout à Moscou où il dirige en anglais Waiting for Lefty de Clifford Odets tout en suivant les cours d’Eisenstein qui ne le marquent pas outre mesure. De retour à New York, il collabore au Living Newspaper, du Federal Theatre, mélange de cirque et de music-hall, évoque les problèmes agraires dans Triple A Plowed Under (1936). Comme Kazan et Welles à la même époque, son engagement à gauche le porte vers les activités artistiques les plus diverses – théâtre, radio, cinéma. Dès 1938, il supervise la production de soixante documentaires pour la Fondation Rockefeller et l’année suivante produit, écrit et dirige un film de marionnettes pour enfants avec l’espace le plus confiné qui soit pour évoquer la première guerre mondiale). Analyste subtile des gouffres du psychisme et de l’ambiguïté humaine, peintre sans complaisance d’une société vouée au matérialisme et du pouvoir destructeur de la servilité, Joseph Losey aura été un des réalisateurs qui ont fait accéder le cinéma à la maturité et, son œuvre, se sera fait l’écho de cette phrase attribuée à Bernanos « le génie est une pensée d’enfant réalisée dans l’âge mûr ».

Le Questionnaire de Marcel Proust

Extrait de Kazan, Losey, par Michel Ciment (Stock, avril 2009).

Le principal trait de mon caractère : la ténacité.
La qualité que je désire chez un homme : la grâce.
La qualité que je préfère chez une femme : la féminité.
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : la loyauté.
Mon principal défaut : l’exagération
Mon occupation préférée : faire du bon travail.
Mon rêve de bonheur : avoir les capacités, les conditions et la possibilité de travailler et d’aimer
Quel serait mon plus grand malheur : être improductif.
Ce que je voudrais être : le plus possible.
Le pays où je désirerais vivre : l’Angleterre, je crois.
La couleur que je préfère : le jaune de Van Gogh.
La fleur que j’aime : la pivoine.
L’oiseau que je préfère : l’ara.
Mes auteurs favoris en prose : Proust, Henry James, Thomas Hardy, Joseph Conrad, Edith Wharton, Stendhal, Patrick White.
Mes poètes préférés : les sonnets de Shakespeare, Keats.
Mes héros dans la fiction : Nostromo (Conrad), Galilée (Brecht), le consul (Lowry), Julien Sorel.
Mes héroïnes favorites dans la fiction : Clea (Durrell), Mme Solario (anonyme), Anna Karenine (Tolstoï).
Mes compositeurs préférés : Mahler, Mozart, Bach.
Mes peintres favoris : Van Gogh, Monet, Bonnard, Magritte, Léger.
Mes héros dans la vie réelle : Lincoln, Lénine, Joris Ivens.
Mes héroïnes dans l’histoire : Marie reine d’Ecosse, George Eliot, l’héroïne de L’Age de l’innocence, d’Edith Wharton.
Mes noms favoris : l’Ancien Testament.
Ce que je déteste par-dessus tout : l’hypocrisie.
Caractères historiques que je méprise le plus : les opportunistes et les traîtres.
Le fait militaire que j’admire le plus : aucun.
La réforme que j’estime le plus : l’abolition de l’esclavage.
Le don de la nature que je voudrais avoir : la danse.
Comment j’aimerais mourir : subitement
Etat présent de mon esprit : l’expectative.
Fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence : la peur.
Ma devise : « Die Warheit ist koncrete » (Hegel)