Les trésors de la Cinémathèque de Finlande

Peter von Bagh

Fidèle à sa réputation, La Rochelle crée le miracle: six films suffisent à donner le reflet fidèle du cinéma finlandais qui est beaucoup plus fascinant que sa renommée à l’extérieur.

Trois décennies sont représentées avec deux films chacune.

Le film le plus ancien est une adaptation du roman Juha, drame classique d’un trio, dont on connaît les versions de Mauriz Stiller (1919) et de Aki Kaurismäki (1999). Cette adaptation est peut-être la meilleure de toutes. C’est un drame naturaliste consistant et classique dont les scènes en extérieur sont célèbres à juste titre. Cependant, le film foisonne d’une sorte de sensibilité moderne qui fait référence à une attention psychanalytique pour la vie intérieure des personnages. Le film a été réalisé par Nyrki Tapiovaara (1911-1940), grand espoir du cinéma finlandais hélas disparu prématurément à la guerre. Il n’a réalisé que cinq films, tous intéressants.

Tourné deux ans plus tard, Vihreä Kulta (L’Or vert, Valentin Vaala, 1939) est un film en avance sur son temps: un film écologique où l’aliénation de la ville fait face à la puissante nature de la Laponie, son charme et un mode de vie où subsistent encore les vraies valeurs de la vie. C’est cette légende lapone que viennent expérimenter un ingénieur des forêts et la femme d’un conseiller des mines, tout droit sortie d’une existence citadine aisée. A cet endroit même de la forêt où la divinité des arbres est sacrifiée sur l’autel du profit par des gens pratiques et avides. « Je propose un toast en l’honneur de ceux qui osent vivre leur conte de fées d’un bout à l’autre… ». Valentin Vaala a maîtrisé plusieurs genres dramatiques. La scénariste du film, Hella Wuolijoki, qui a notamment travaillé avec Bertolt Brecht, était une personnalité importante du monde culturel finlandais.

Le Renne blanc (Valkoinen Peura, 1952) est l’?uvre la plus connue internationalement de l' »ancien » cinéma finlandais. Son charme provient de la puissance d’un paysage où se développent une série d’évènements ataviques et mystiques. L’imbrication très classique de l’érotisme et de la violence suit une combinaison sur le modèle des films d’horreur. Le réalisateur et chef opérateur Erik Blomberg et Mirjami Kuosmanen (son épouse, co-réalisatrice et actrice du film) captent l’angoisse et la cruauté et transcendent le folklore et l’exotisme du genre.

L’été est le mythe central du cinéma scandinave des années cinquante (en Suède aussi bien Elle n’a dansé qu’un seul été que plusieurs ?uvres de jeunesse d’Ingmar Bergman célèbrent ce thème), sujet fondamental dont l’?uvre emblématique est Sininen viikko (La Semaine bleue, 1954) de Matti Kassila. Un jeune ouvrier a une liaison avec la femme d’un homme plus âgé et passe une semaine avec elle. Le samedi on danse au bal; le mari revient; le rapport interdit est dévoilé et le mari se suicide. La pression d’une semaine de travail est évacuée et le lundi est toujours l’esquisse de ce qui pourrait être le début d’une nouvelle vie. L’expression sensuelle est en butte à la culpabilité chrétienne. Les paysages filmés par Kassila et son chef opérateur Osmo Harkimo traduisent les états d’âme et les principaux éléments ? la mer, les rochers, les nénuphars de l’étang ? contiennent l’alternance du bonheur et de la mort.

Les Huit balles meurtrières de Mikko Niskanen, en version courte (la version longue dure plus de cinq heures) s’inspire d’un fait divers: un paysan harcelé tue quatre policiers.
Mikko Niskanen a fait de ce fait divers banal un film extraordinairement vivant, magique, plein d’empathie, de pure humanité et de justesse sur la vie des gens ordinaires. Il est difficile de trouver un modèle à ce psychodrame. Les actes et les pensées procèdent d’un sentiment d’exclusion de la société. Le protagoniste se bat contre la loi et ne renonce pas à distiller clandestinement son eau-de-vie. Le film est comme un chant à la désobéissance civique. Il exploite les strates psychophysiques de l’homme, des dimensions et possibilités non utilisées et atteint l’essentiel de ce que l’anthropologie peut circonscrire. On trouve une certaine parenté avec Cassavetes. Mikko Niskanen qui tient le rôle principal est époustouflant, s’identifiant complètement à son personnage.

Le dernier film de Risto Jarva (mort dans un accident de voiture après la première projection) est tiré du roman de Paasilina Le Lièvre de Vatanen. Le mot célèbre de Lord Snow dans les années soixante stigmatisait la différence galopante entre la culture technologique et la pholosophie humaniste. Risto Jarva, plus qu’aucun autre cinéaste finlandais, réunissait ces deux cultures. L’Année du lièvre est un authentique testament.
L’Année du lièvre raconte une préoccupation typique de son époque: le rejet des contrôles incessants, de la bureaucratie et de l’engrenage de la société de consommation. Jarva a réuni ici de la plus belle façon la comédie et la nature, ses deux grandes passions. Il a ainsi réalisé un film réellement écologique qui constitue l’un des chefs-d’?uvres du cinéma finlandais…

Traduit par Irmeli Debarle


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