Andrew Kötting

Klipperty klopp

Filmé par Leila Mcmillan (ma collaboratrice et ma maîtresse) avec 8 bobines Super 8, c’est peut-être le premier film que j’ai réalisé. C’est une oeuvre post-punk de sensibilité païenne,  mêlant bestialité et sodomie à une énergie débordante, qui combine une action frénétique dans le cadre d’un pré avec un récitatif enregistré en une seule prise et des chansons. Film  aux accents beckettiens, il naît en réaction à la préciosité de la tradition du Land Art.

Edgelands Tagadada
Note d’intention. Au début de l’été 2010, dans le tohu-bohu et le chaos de la Coupe du Monde, je me rendrai à La Rochelle où je tenterai de « documentariser » la psyché de la ville ainsi  ue sa géographie. Pour m’aider dans cette tâche, j’aurai pour complices Sebastian Edge et sa « fourgonnette noire ». Nous utiliserons d’anciennes techniques photographiques  pour tenter de saisir l’essence même du « lieu ». Les sons du passé résonneront à nouveau et nous serons constamment à l’affût du riche patrimoine qui y foisonne.

 

Festival 2004

Gareth Evans

Andrew Kötting compte au nombre des artistes britanniques les plus fascinants. Il est sans doute le seul metteur en scène qui reprenne, l’esprit de curiosité visionnaire et de créativité hybride qui caractérisait Derek Jarman. Défricheur sur le plan formel et novateur en matière d’esthétique, il est, comme l’était Jarman, un artiste qui aime travailler en équipe, réunissant autour de chaque projet un groupe d’individus partageant les mêmes intérêts, ancrant sa production prolifique dans le suivi permanent de la vie de ceux qui lui sont chers.

En vingt ans de carrière, son oeuvre a évolué de pièces souvent absurdes issues des premières heures du living-art, pleines d’une logique propre et saturées de mythes revisités, en passant par des courts métrages à l’humour noir, révélant le surréalisme empreint de mélancolie au coeur de l’identité anglaise d’aujourd’hui, à deux longs métrages résolument indépendants qui se servent du paysage (fait rare parmi ses confrères, son engagement dépasse le cadre urbain) et des voyages comme tremplins pour aborder les questions d’identité, d’appartenance, d’histoire, ainsi que les notions de groupes, et ce, par le biais d’un parti pris visuel remarquable et d’une structure innovante.

Mais films et vidéos ne reflètent qu’un aspect des thèmes chers à Kötting. Il n’a cessé d’écrire, de se produire, de créer pour des plate-formes numériques, des musées (oeuvres en deux ou trois dimensions et installations) et travaille de plus en plus en direct sur le son et la musique, en concerts et sur CD. Une telle activité reflète à la fois la diversité de ses intérêts en matière de forme, et son refus d’adhérer à l’idée qui voudrait que l’oeuvre d’art soit prisonnière de son support. Dans l’oeuvre de Kötting, les idées et les images migrent souvent d’un support à l’autre, gagnant en force et en résonance dans le transfert. C’est cette ouverture d’esprit, doublée d’une intelligence subversive et d’un sens de la farce, qui distingue son oeuvre comme énergisante et essentielle.

Dans toute l’oeuvre de Kötting, on sent une récupération plus ou moins évidente de l’expérience et de la mémoire populaires au profit de l’ère numérique. Son projet s’inscrit résolument en faux contre les vaines injonctions de la réalité et de l’existence. Dans son fonctionnement, il se rapproche d’avantage de la figure du coyote Navajo, du magicien, de l’arlequin, du filou, que de l’artiste « gestionnaire » de carrière. Trouver un financement officiel, appréciable quand il est obtenu, ne constitue pas un préalable à la création. Il y aura d’autres moyens, d’autres supports, pour faire passer le message. Dans l’exploitation des ressources créatrices qui découlent d’une restriction d’ordre matériel ou structurel, Kötting est fervent partisan du « faire avec » pour amplifier l’impact d’une oeuvre.

De même, il s’entoure d’une « famille » de collaborateurs et de sa vraie famille, toutes unies dans une communauté d’intention. Le travail de Kötting s’apparente autant à une chronique, à un journal des rapports humains évoqués au travers de métaphores et d’images, qu’à une accumulation de thèmes.

Ce corpus croît sur le ferment d’une Angleterre à des années lumières de la Blairisation. Dans l’esprit, l’île de Kötting est l’antique Albion, sa strate sauvage, qu’il évoque en usant fréquemment d’un ton « gothique anglican. » On dénote dans son oeuvre un éloge ironique de l’Anglitude qui tient compte de tendresses absurdes, de la fameuse jetée de Brighton, et parfois d’une certaine violence à l’encontre de l’étroitesse d’esprit insulaire, mais plus encore sans doute un regard amusé sur les gens de son île et leurs moeurs. Le pays donne parfois l’impression d’être une entité anéantie, occupée à on ne sait quelle tâche obscure, souvent à l’aide de représentations étranges et parfois indéchiffrables.

« C’est dans les endroits les plus improbables qu’il est le plus probable de trouver son bonheur. » (Citation tirée de Gallivant Pilot).

L’approche sous-jacente des lieux de Kötting est d’ordre géographico-psychologique. Ce qui signifie : une lecture en coupe des territoires, urbains ou non, via des signes de toutes natures, et sans préjugés à l’égard de leur origine ou de leur statut. Ce qui signifie : les yeux et les sens d’un mouvement conscient à travers l’espace, le temps, l’architecture, l’expérience, l’histoire, l’avenir en devenir. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas tant de paysage que de paysage intériorisé, de conscience telle qu’elle pourrait apparaître si elle était dimensionnée (et donc, un film), prenant en compte la corrélation entre crise intérieure et topographie de l’émotion activée.

Fils de Pan, génie du lieu arcadien, Kötting utilise ses affinités avec l’esprit anar des Cathares, originaires de ses Pyrénées chéries, pour contester la notion de champêtre angélique par une touche de fertilité dépravée et la violence d’aires forestières délinquantes. Pour Andrew Kötting, les zones non-métropolitaines sont des provinces primitives, règnes de la musique barbare, du marquage pathologique, de comportements bourrus et de chemins sinistres, susceptibles de mener à des effusions de sang.

Dans l’approche de Kötting, l’usage du changement d’échelle est primordial. Du pas ludique de Lek vers l’inconnu dans Cette sale terre au nom d’Eden inscrit sur l’immensité de Gallivant, en passant par les cosmologies intérieures de Mapping Perception ou les poses agrandies des micro-organismes numérisés de Kingdom Protista, les changements d’échelle, accompagnés d’une stratégie identique en matière de son, sont les composants essentiels de la vision. Le spectre de la conscience sensuelle qui reconnaît le mouvement continu entre macro et micro est perçu par Kötting comme étant simplement un état de fait. Il s’agit moins d’un choix esthétique (tout en l’étant quand même) que d’une réponse pertinente aux choses portées par la terre. Telle est la nature de son attention au monde.

Certaines oeuvres de Kötting se révèlent fatalement comme emblématiques de ses techniques et de son propos. Acumen, court métrage charnière en est un exemple parfait. Pierre précieuse à la noire symbolique sur la couronne de Kötting, ce film peut à la première vision apparaître en contradiction avec ses voisins, à la fois dans le ton et la structure narrative. Quoi qu’il en soit, dans sa codification des traits-clefs, Acumen, à la fois esthétique et stratifié comme Jaunt, propose un concentré essentiel des préoccupations de Kötting.

Au son déchirant d’un violoncelle, on découvre des étendues mises à nu par la marée, des ciels immenses, le sable qui brille et de petits enfouissements de déchets organisés. Ce pourrait être un clin d’oeil à une moisson post-apocalyptique, ou au type de société dans lequel nous vivons déjà et au fait qu’elle pourrait précipiter notre chute, mais une telle spéculation est poussée dans le détail : le caddie voyou d’une femme bien comme il faut, femme desséchée, qui voit tout mais ne dit rien. Et l’Angleterre qu’elle traverse… une femme dans une salle de bains rudimentaire, cohabitant avec des crapauds, recevant sa nourriture par un guichet et rêvant d’entendre le vagissement d’un bébé, qui plonge la tête dans une cuvette minuscule (tentative d’ordre autobiographique, peut-être). Un « artiste écrasé par sa suffisance », faisant apparaître dans son solipsisme des questions sphincterisées destinées à un jeu. Un couple âgé pris dans le duel cyclique qui les oppose pour regarder la télévision devant un mini-golf à la taille de leur salon. Un collectionneur de « conneries » habillé en vert, nourri de séries et de génériques de vieilleries télévisées. Une convergence oecuménique à un cromlech, la psyché d’Albion empruntée par on ne sait quel aspirant en aube.

Et ensuite quid du peuple innombrable des chemins dont les mondes intimes, rapidement entraperçus, semblent les tenir en vie ? Pourquoi ici et comment ont-ils été rassemblés ? Parabole brillante du confinement quasi désiré (claustro-philie peut-être…) et vision élargie, potentiel en expansion, Acumen ne cesse de produire des grilles de lectures fluctuantes à l’intérieur de sa coquille en spirale.

Quelle pourrait être la morale cachée du film ? Sommes-nous des poissons hors de l’eau ? Nous vivons les vies que nous vivons. Il y a comme un « faire avec » surréaliste, une survie étrange. On suit nos pulsions et va savoir comment, on s’en sort quand même.

Les longs métrages de Kötting sont en opposition radicale avec la plupart des productions britanniques actuelles. Des deux, Gallivant emprunte la voie la plus légère. Les vérités propres au littoral de l’île sont parcourues, révélées par trois générations d’une même famille dans un périple alambiqué. Quoi qu’il en soit, il convient de mentionner la démocratie du regard. Le personnel servant de filtre généreux au social. Le film atteste de l’échange entre les deux. Il a vraiment sa place.

D’un autre côté, Cette sale terre propose un témoignage plus noir. Après le charme chaotique et rebelle de Gallivant, rien ne prépare le spectateur à son voisinage singulier. Un étranger travaillant dans une communauté rurale reculée (les soeurs, la famille, le village, tous appartiennent à la vieille terre), précipite son implosion partielle après avoir été pris comme bouc-émissaire pour les maux sociaux et météorologiques qui l’accablent. Opéra bouseux, Cette sale terre s’enracine vraiment dans La Terre d’Émile Zola. Le film se déroule dans un monde profondément matériel : sperme de taureau et d’homme sur les mains, cochons dans les branches, chambres aux allures de grottes ou d’aisselles, urine sur les tombes, flegme, pus, merde, rocher, pluie, boue, boue. Seule une pluie biblique pourrait laver tout ça (d’ailleurs, au point dramatique culminant du film, une église s’effondre, un troupeau passe, un marais s’ouvre, semblable à un utérus inversé, pour sauver des vies, et des parias unis par leur incessant passage sur terre). Cette sale terre concrétise en images le rapprochement instinctif de Kötting avec les dépossédés, les régions, les dialectes, les marges, le visionnaire, le corps. Toutes les facettes pour ainsi dire d’une attitude qui refuse la production culturellement majoritaire avide d’une réalité rationnelle et organisée.

Plus que tout autre, Mapping Perception est le projet de Kötting qui illustre sans doute le mieux l’aspect personnel – participatif et pionnier dans la forme – de son approche de l’expérience, et de la forme artistique à lui donner. Quatre ans pour le concevoir et le traduire en installation, à la fois documentaire expérimental, livre et CD rom, Mapping Perception constitue une initiative ambitieuse en matière de recherche, d’essai sur la famille et de traité poétique. Réalisé en collaboration avec Giles Lane, conservateur, Mark Lythgoe, neurologue et Eden, sa fille, née en 1988 avec le syndrome de Joubert, une maladie génétique rare qui affecte les fonctions cérébrales. Le film lui rend hommage et la questionne par le biais d’une enquête sur la notion d’in/aptitude, les qualités de différents langages et sur la nature et les limites de la perception et de la conscience des sens. C’est la rencontre de l’art et de la science d’où découle un dialogue essentiel qui explore en profondeur les avancées engendrées par l’ouverture d’esprit et l’échange créatif dans les deux domaines.

Le livre et le Cd-rom qui l’accompagnent matérialisent ce voyage partagé, proposant une série d’essais, de séquences et de fragments d’images couvrant tous les aspects des territoires esthétiques et scientifiques en questions. Entreprise exemplaire, à la précision et à l’impact énormes, Mapping Perception se distingue surtout par la générosité de Kötting, l’amour qu’il voue au travail d’équipe, à l’imagination, et par-dessus tout à sa fille.

Traduit de l’anglais par Catherine Gibert

Filmographie partielle

1990 Hoi Polloi (cm)
1991 Acumen (cm)
1992 Diddykoy (vidéo)
1993 Smart Alek (cm)
1994 Là-bas (cm) • Gallivant (The Pilot) (vidéo)
1995 Jaunt (cm)
1996 Gallivant
1998 Donkeyhead (cm)
2000 Invalids (cm) • Kingdom Protista (cm) • Me (cm)
2001 Cette sale terre
2002 Mapping Perception (cm) • Too G (cm) 2004 Visionary Landscapes With Jem Finer (cm)
2006 Shanghai Frolic (cm) 2007 In The Wake of A Deadad • That’s The Way To Do It (cm) • Offshore (Gallivant) (cm)
2009 Ivul