Hommage à la collection du Musée National d’Art Moderne, Centre Georges Pompidou

Jean-Michel Bouhours, conservateur pour le cinéma au MNAM

Cinémarge (1974-1978 et plus…)

à Jeannot

Pendant cinq éditions, Cinémarge, organisé par un groupe de rochelais (Jean-François Garsi, Françoise Le Taëron, Claude Landy, Nathalie Roncier, Jacky Yonnet) a été le lieu incontournable de dimension internationale pour la jeune création cinématographique indépendante. Intégrée dans les RIAC (Rencontres Internationales d’Art Contemporain de La Rochelle), cette section à part entière, aux côtés de la programmation de Jean-Loup Passek, a eu pour objectif permanent de permettre aux réalisateurs indépendants (amateurs, professionnels, collectifs, etc.) de rencontrer un public. Mais Cinémarge n’était pas que cette définition de départ. L’époque et sa recherche tout azimut d’idéaux utopiques (au sens noble du terme) ont traversé la programmation. Les organisateurs ont privilégié « un cinéma de l’audace, désireux de se lancer sans contrainte dans la voie de la recherche et de l’expression ». (Jean-Louis Bory, Le Nouvel Observateur).

 

1974

La première édition, à la Maison Municipale des jeunes, était totalement « off ». Il s’agissait d’un festival Super 8. La surprise était grande, même chez les fabricants de matériel, de voir se développer partout dans le monde un intérêt pour ce format. Libération (1974) constatait « que cela remettait en cause tout le système cinématographique actuel. Car le Super 8 permet de réaliser des films de qualité supérieure à la moyenne des programmes de télévision et à bien moindre coût. La liberté d’expression manifestée par les participants du festival a montré que le Super 8 change les conditions d’utilisation du langage audiovisuel, raison pour laquelle même des professionnels l’ont utilisé. Dans ces conditions, on se demande pourquoi des films professionnels coûtent si cher, alors qu’on aurait pu en faire un très grand nombre en Super 8 pour le même prix ». Enfin : « C’est sur l’organisation de circuits de distribution que se jouera l’avenir du cinéma indépendant, réellement ouvert à tous et à toutes les opinions. Liberté d’expression suppose liberté de production et de distribution ». Cet article allait propulser ce festival, et poser clairement déjà tous ses futurs enjeux.

A cette première édition, le public, très nombreux, pouvait déjà voir des films militants, écologistes, underground, autonomistes, féministes, etc. Des collectifs arrivent pour la première fois (Torr et Benn, Apic…) ; des noms apparaissent, futurs habitués de la programmation (Isabelle Mendelsonn, Philippe Marti…). L’événement est provoqué par trois professionnels montrant leur attachement au Super 8 :

William Klein (L’Anniversaire de Charlotte), Chris Marker (L’Ambassade), Michel Polac (L’Expulsé). Dans Combat, Jacques Grant affirmait : « Le Super 8 n’est plus un gadget des familles en vacances, il est un des instruments par lesquels les jeunes prennent la parole et peut-être le pouvoir ».

 

1975

La manifestation est accueillie dans une salle de cinéma Olympia, en voisinage direct avec Jean-Loup Passek. En plus des nombreux films projetés, se met en place pour le public des ateliers d’initiation à la réalisation, une exposition et des animations de quartier avec l’aide des animateurs cantonaux et la direction départementale Jeunesse et Sports (Jean-Michel Porcheron).

Cette fois-ci, il s’agit d’élargir le Super 8 au 16mm en attendant le 35mm. Le cinéma « différent » est à l’honneur. Claude Duty, Joseph Morder, Olivier Esmein sont présents, et le Collectif Jeune Cinéma vient de Paris. Des « exclusivités » de Babette Mengolte, Grégory Markopoulos, Chantal Akerman (Hôtel Monterey) sont projetés. Les femmes de Cinémarge présentent Histoire d’oies qu’elles ont réalisé. Jean-Louis Bory découvre Cinémarge : « Sympathique, et infiniment constructive, la contestation du festival. Convaincus que le cinéma au sein de ces troisièmes RIAC témoigne encore trop de timidité à l’égard de ses formes marginales, les rochelais de Cinémarge ont proposé un foisonnement de films à découvrir ».

Entre-temps, dans l’année, l’équipe Cinémarge a participé à la vie cinématographique rochelaise, en organisant avec la Maison de la Culture et le groupe Musidora, « 48 heures du cinéma des femmes ». Mais aussi réalisé cinq films, dont la bande 00, Vidéo Promotion Jeunesse, initiative du Secrétariat d’Etat à la Qualité de la Vie. Cinémarge n’a pas manqué bien sûr aussi de présenter dès sa sortie : L’an 01 de Gébé et Jacques Doillon.

 

1976

Cinémarge 3, vraiment intégré cette fois-ci aux RIAC, se déplace, avec Jean-Loup Passek, vers les salles Le Dragon, sur le port. La programmation, toujours suivie avec enthousiasme par un public attentif et très nombreux, prend une telle ampleur qu’une salle programmée du matin au soir suffit à peine (250 films !). C’est aussi l’année où Cinémarge se positionne comme un des rares endroits au monde où on peut voir, débattre du cinéma indépendant, et où, c’est un véritable exploit, deux mondes antagonistes dans cette même famille s’acceptent ici : le cinéma militant et le cinéma expérimental. Le programme, un peu démesuré il est vrai, permet de montrer des films de Jacques Monory, Alain Fleischer, Marcel Hanoun, Gérard Courant. Mais aussi réalisés par des collectifs : Paris Film Coop, Collectif Jeune Cinéma, Université de Vincennes, Cinéma Politique, APIC, Le Grain de Sable, le GREC, le Montfaucon Research Center, etc.

Les cinéastes militants nous parlent du Portugal, et sa Révolution des Oeillets, de Baader-Meinhof, d’anti-militarisme, du Larzac, de la centrale nucléaire de Braud Saint-Louis, etc. Et Jean-Michel Carré nous présente « Le ghetto expérimental » ; René Vautier Quand tu disais Valéry ; Jean-Luc Godard, absent, envoie Ici et ailleurs et Comment ça va ?.

Pierre Clémenti, avec Visa de censure et Alain Fleischer, avec Dehors dedans secouent la forme du film avant la Paris Film Coop, qui, elle, dans ses œuvres, attaque la pellicule, la gratte, la dépèce…Tout un cinéma d’avant-garde qui prend ses sources dans le surréalisme.

Un colloque est organisé avec Claude Eyzikman, Joël Farges, Nicole Lise Bernheim et Gérard Frot-Coutaz. Mais « il n’a rien clarifié, renouant avec les affrontements et les éternelles querelles de chapelle » disait la Revue du Cinéma. Sud-Ouest commence ainsi : « Il est des manifestations qui surprennent, désarment, voire agacent le spectateur. Incontestablement, Cinémarge en est une. Présenter, confronter, même les formes marginales du cinéma, qu’elles soient esthétiques, politiques ou underground, sans exclusive, et dans des conditions souvent difficiles à cause des formats des films, de leur qualité qui est parfois loin de la perfection, relève effectivement de la gageure. Pour les organisateurs, tout film produit doit être diffusé, même si il ne correspond pas au goût du public actuel. Ce n’est qu’à ce prix qu’on pourra briser le conformisme du cinéma dominant. Et d’ailleurs, qui sait si ce que l’on critique aujourd’hui, ne sera pas adulé demain ? » (juillet 1976).

 

1977

Cinémarge 4 a certainement été l’édition la plus représentative de son parcours. Tout y est : le public très nombreux, la quantité de films, trois thèmes porteurs et signifiants (la recherche, le sexe, et mai 68), et les difficultés croissantes relationnelles avec les RIAC, enfin un débat national sur la marginalité, très polémique, pour ou contre Cinémarge (les puristes s’affrontent).

« Images et sons de mai 68 » n’était pas un anniversaire volontairement. Simplement l’idée de montrer ce qui avait été tourné, et de le « sauver » en positionnant la mémoire. Des groupes « déjà » disparus ou en activité montraient leurs précieux films, et permettaient de repérer que ces films seront à jamais un témoignage sur une époque, en soi, mais aussi dans leur façon de filmer : Equipes de Mai (Citroën – Nanterre) ; le Groupe Medvedkine (Classe de lutte) ; Iskra, Cinélutte, l’IDHEC occupé (« Les cinétracts » dont ceux de Godard – Gorin, Philippe Garrel, Alain Tanner…) etc. Un film allait sortir du lot : Reprise du travail aux usines Wonder puisqu’il présente mieux que tous les autres ce que fut mai 68, en un extraordinaire plan-séquence.

« Différence 77 » voulait afficher l’actualité des recherches formelles. Le Collectif Jeune Cinéma, la Coopérative des Cinéastes, Théo Hernandez, Jack Haubois, Jackie Raynal, Chantal Akerman (News from home), etc, nous ont permis de voir des films où l’œuvre nie le montage, développe une polyphonie audiovisuelle, ou installe une structure radicale.

« Images de déviance », bien sûr, a été le clou du festival. La foule, il faut bien employer cette expression, est venue « s’encanailler » avec tous ces films homosexuels. La question était toute autre en vérité : le cinéma homosexuel existe-t-il en tant qu’identité ? Le thème avait commencé dans une polémique publiée par Libération : « C’est loin la province », où Léonardo Suerta s’en prenait aux méthodes, de style commissaires du peuple, qu’affichaient les militants homosexuels du GLH qui voulaient « récupérer » la programmation de Cinémarge. De cette quantité de films on ne peut que retenir Un chant d’amour (Jean Genêt), film clandestin, car interdit, à l’époque. Mais aussi Le sexe des anges (Lionel Soukaz), Je, tu, il, elle (Chantal Akerman) et Les Oiseaux de nuit (Alain Lasfargue et Luc Barnier) sur les Mirabelles, groupe de travestis. La représentation de l’homosexualité n’était pas que militante, mais aussi plastique. Le panorama serait incomplet sans rappeler une soirée antinucléaire de Serge Poljinski avec Nucléaire danger immédiat, les films situationnistes anti-maoïstes Mao by Mao et Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires de René Vienet. Travail de détournement, et salubre pamphlet contre ce qu’on ne voulait pas voir à cette époque, qui a fait froncer les sourcils de plus d’un maoïste présent dans la salle. Enfin, Michel Jaffrenou, avec son Journal de bord des troubles de la personnalité, créait l’événement avec un happening dans toutes les mémoires. Avec son leitmotiv « Ca, c’est du cinéma », face au public, il a réussi à envelopper celui-ci de bandes magnétiques, pour ensuite le faire participer à son ouvrage en demandant de l’arrêter ! Ce happening s’est terminé sur le trottoir avec toute la salle sortie. Lionel Soukaz, dans Libération, affirmait : « Le succès de cette édition a donné à Cinémarge une renommée internationale ».

 

1978

Dernière édition de Cinémarge (5). 170 films, 15 pays, pas de thème dominant, sinon une continuité ouverte sur l’étranger avec des films australiens, du Pays Basque, de Californie, etc. Le Cinéma Expérimental Hollandais, l’Underground italien, l’Institut du Cinéma Palestinien, le Cinéma Expanded Anglais, la London Film Makers Co-op, la Sydney Film Coop, côtoient Ciné Femmes International, Cinoc, le Grain de Sable, la Fédération Internationale du Super 8. Babette Mangolte, Maria Klonari, Katerina Thomadaki se font remarquer par leurs œuvres. Les « petits Mickeys » français et US ont droit à une journée (René Charles, Ulysse Laugier, André Lindon, Yves Brangolo, Guénolé Azertiope, Aline Isserman, Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, Susan Pitt Kraning, Faith et John Hubley…)

A la suite de l’édition précédente, dans l’année, une vive polémique s’était engagée entre Cinémarge et une revue de cinéma différent en ce qui concerne son positionnement dans le cinéma indépendant. Bref : « Est-ce que Cinémarge est toujours dans la marge ? ». Un colloque fondateur du mouvement expérimental, l’ACIDE (Association des Cinéastes Indépendants Différents et Expérimentaux) se tenant à Lyon, n’avait pas arrangé les choses, en développant une radicalisation. Dans la revue Cinéma 78, Cinémarge était « suicidaire à long terme ». « Le concept de marginalité devient ambigu. Ce concept, moyen d’agir contre le système, s’est rapidement érodé pour s’institutionnaliser (récupération). Et la plupart des cinéastes indépendants réfutent énergiquement l’étiquette de marginal. Il y a maintenant une hiérarchie, ses héros, ses stars. Les genres s’entrechoquent, s’annihilent. Les films aux démarches sûres excluent les films mineurs ». Heureusement, à nouveau Michel Jaffrenou nous réjouissait avec un nouvel happening : « Le “je” mis à contribution par les célibataires », réunissant cinéma, théâtre, et… music hall ! Cinémarge ne savait pas qu’il venait de vivre sa dernière édition.

1978 / 79 La fin

Dès les mois de novembre 1978, les cinéastes militants, un peu en réponse à l’ACIDE expérimentale, décident de se retrouver à La Rochelle, pour fonder à la Maison des Jeunes qui accueille, aux côtés de Cinémarge, le MAI (Mouvement Audiovisuel d’Intervention).

En mars 79, Cinémarge est appelé par le Film Studio de Rome, à organiser une tournée représentative à Brescia, Milan, Rome. La presse italienne commente largement cette tournée. Mais les relations avec les RIAC se dégradent. Cinémarge est un acteur de la bagarre institutionnelle et de la lutte culturelle qui se développent sur La Rochelle. Malgré le changement de direction à la tête des RIAC, il n’y a pas de solution trouvée pour aménager les conditions de travail de l’équipe, ainsi que le « confort » minimum pour développer et bien accueillir la prochaine édition.

Des communiqués de presse et un faire-part de décès pastiche signalent l’auto-sabordage de l’équipe « par fidélité aux propos qu’ils ont toujours tenus, et pour ne pas cautionner des faits et attitudes de l’organisation des RIAC. » sans oublier : « Le bénévolat de l’équipe ne pouvait avoir qu’un temps ». Malgré un « signal » d’une journée en 1980, accueilli par Jean-Loup Passek et la solidarité de son équipe, malgré une prospection réelle à New York en 1981 pour préparer un cycle underground américain, c’était bien fini. De cette manifestation, il reste les souvenirs chaleureux des rochelais présents à chaque édition, la création d’un atelier cinéma Super 8 à la Maison des Jeunes et un tremplin pour les jeunes réalisateurs devenus célèbres depuis. Il reste aussi le témoignage d’une époque où les idées et l’imagination voulaient prendre le pouvoir. Certains enjeux sont toujours d’actualité même si le réalisme actuel ambiant nous empêche de le voir, comme « la pensée unique » dominante rend maintenant impensables les débats de cette époque.

L’équipe de Cinémarge s’est arrêtée volontairement pour des raisons économiques, mais peut-être aussi parce qu’elle a pressenti qu’une époque se terminait. En somme, elle a pris les devants pour ne pas devenir d’anciens combattants d’une cause oubliée.

Jacky Yonnet

 

Hommage à la collection cinématographique du Musée national d’art moderne

De 1974 à 1978, le festival de la Rochelle s’inscrivit avec Cinémarge dans les quelques rendez-vous estivals – l’autre était le Festival international du Jeune cinéma (1973-1983)- où il était possible de voir un cinéma…très différent. En ces années la France est le théâtre de la renaissance d’un mouvement cinématographique puissant, qui s’organise. Ouvertures en France de lieux de projections « alternatifs » – lieux où l’on put découvrir Warhol, Frampton, Genêt ou Morder -, créations de coopératives de cinéastes sur le modèle des structures anglo-saxonnes, explosion d’un mouvement Super 8, débats et luttes de tendances diverses et antagonistes d’options esthétiques tranchées entre cinéma frères mais ennemis…de tout cela Cinémarge porta témoignage avec fougue et sincérité.

Concomitamment, en 1976, à Paris, Pontus Hulten, directeur du Musée national d’art moderne, confie à Peter Kubelka, cinéaste, cofondateur de l’Anthology Film Archives à New York, le soin de présenter pour la préfiguration des activités du Centre Pompidou une grande manifestation « Une histoire du cinéma ». Un titre qu
voulait signifier combien l’histoire officielle du 7e art avait pu faire l’impasse sur ses marges ou ses postes esthétiques avancés, à tel point qu’il était possible d’en dresser un véritable inventaire historique, une autre histoire. La simultanéité des événements rochelais et parisiens participait très symboliquement de la dynamique qui s’ébranlait.

Avec l’organisation de la manifestation, l’acquisition de films et la volonté d’en faire une activité permanente, Pontus Hulten accélère alors un cheminement muséal, dont Jean Cassou, fondateur et directeur du Musée national d’art moderne au lendemain de la guerre, avait pressenti l’actualité, au travers d’une résonance des disciplines artistiques entre elles. En organisant au Palais de Tokyo une exposition bilan « Les sources du XXe siècle » (4 novembre 1960- 23 janvier 1961), le premier directeur du Musée national d’art moderne révéla la pertinence d’un projet pluridisciplinaire et ses vertus pour traiter de « l’esprit d’une époque », pour « dresser le tableau d’un moment de civilisation ». Le succès extraordinaire de l’exposition convainc André Malraux de la nécessité de la création d’un véritable musée du XXe siècle, dont bien évidemment l’organisateur des Sources du XXe siècle prend la direction de l’étude-programme. Celle-ci confirme son intention de fonder un musée sur une vision synthétique des phénomènes artistiques, et où arts plastiques, architecture, photographie et cinéma se retrouveraient. Celui-ci devra « montrer les révolutions plastiques de notre temps non pas comme phénomène isolé, mais comme un phénomène organiquement lié aux plus caractéristiques et déterminantes créations de notre âge dans tous les domaines. ». Le projet sera abandonné.

La décision prise en 1969 par le président de la république, Georges Pompidou de créer à Paris, un grand centre d’art et de culture voué aux arts plastiques et à la lecture publique, dans lequel des installations seraient prévues pour le cinéma, sera un facteur déterminant pour, au sein de l’institution vouée à en être un des ses piliers, poser à nouveau la question du cinéma dans son rapport aux arts plastiques.

Pontus Hulten relance le débat initié par Jean Cassou dans les années 1960 d’une interdisciplinarité mais prend, pour le cinéma, en faisant appel à Peter Kubelka, une position esthétique originale et tranchée. C’est en « principal rival de la peinture » qu’il appréhende le cinéma, reprenant en cela l’attirance qui amenèrent des peintres comme Fernand Léger ou Hans Richter à délaisser (au moins provisoirement pour le premier) le châssis pour le ruban filmique. Sa propre expérience de cinéaste et ses affinité électives avec des artistes qui dans les années 1950 et 1960 ont eux aussi « embrassé » le cinéma (Breer, Rauschenberg, Oldenburg, etc…), amène Pontus Hulten à envisager cette forme artistique dans une proximité avec les œuvres plastiques :

« Ces artistes, (…) par affinité et pour des raisons communes, ont donné naissance à un cinéma qui a sa place à côté de leur œuvre plastique, dans l’histoire de l’évolution de l’image moderne et tout naturellement auprès des collectionneurs d’œuvres d’art, en raison de la similarité d’idées et de recherches, de réussites et de tentatives, dans une même perspective qui rend leur comparaison et leur appréciation plus évidentes. ».

La question d’une collection pluridisciplinaire sera reposée par Jean-Hubert Martin, directeur du MNAM de 1987 à 1990, désirant constituer dans les domaines de l’architecture et de l’objet une collection qui faisait défaut. La réforme institutionnelle du Centre Pompidou de 1992 conduite par son président d’alors Dominique Bozo, trancha définitivement, en fusionnant ses deux principaux départements, la question récurrente d’une synthèse des arts, dont le siècle s’est plu à rêver. Huit domaines de conservation : arts plastiques période historique (1905-1960), arts plastiques période contemporaine (après 1960), dessins/art graphique, photographie, cinéma, vidéo, architecture et design furent constitués pour tracer les nouveaux contours d’une collection de l’art du Xxe siècle. La convergence des arts, pressentie dès les années 60 prenait alors un tour décisif et vraisemblablement définitif.

A l’inverse peut-être de Cinémarge, qui donna comme début d’explication à sa disparition prématurée, la nature forcément éphémère des printemps, l’action du Musée National d’Art Moderne dans le domaine du cinéma s’inscrivit dans le durée, prenant acte de la pérennité d’un cinéma, dont Kasimir Malevitch avait au milieu des années 1920, définit le projet, sur la base d’une filiation cézannienne. La publication cette année pour le vingtième anniversaire du Centre, du catalogue de la collection cinématographique du Musée national d’art moderne L’Art du mouvement vint attester de la permanence d’un cinéma « expérimental », de son inscription dans la cours de l’histoire de l’art et des idées de ce siècle.

Programmation et commandes aux artistes à l’encontre de la création contemporaine, restaurations et sauvegarde de films, mise en place d’une collection d’ouvrages tant d’études historiques (en 1993 L’Age d’or de Buñuel, prochainement Man Ray et le cinéma), que la publication de textes fondamentaux (traduction en cours de Metaphors on Vision de Stan Brakhage) font partie d’un dispositif visant à affirmer cette permanence de la création cinématographique.

Par ailleurs, dans la perspective du réaménagement des espaces intérieurs du Centre et de la redéfinition des collections permanentes du Musée, une muséographie inédite s’esquisse actuellement, qui prendra en compte dans le parcours même du Musée le cinéma.