Valentin Vaala

Peter von Bagh

Valentin Vaala débute très jeune au cinéma : il a 17 ans lorsqu’il réalise son premier film, qu’il jette ensuite à la mer, dans un geste de désespoir. L’acteur qui joue le rôle principal, et qui vise alors la place du « Valentino finlandais » n’a que 15 ans. C’est Theodor Tugai, qui deviendra plus tard Teuvo Tulio, grand nom du cinéma classique finlandais toujours aux côtés de Vaala et, avant tout, maître du mélodrame.

Vaala réalise ses premiers films pour de petites sociétés de production. Le meilleur d’entre eux, Sur le large chemin (Laveaa tietä– 1931) révèle un esprit cosmopolite : les années de pérégrination du héros le mènent jusqu’à Paris.

A partir de 1935 – et jusqu’à la fin de sa vie – Vaala travaille pour la Suomi-Filmi (le Film de Finlande), l’entreprise la plus attachée, à cette époque, à une production artistique de qualité. Il est caractéristique par exemple que le directeur et principal réalisateur de cette société, Risto Orko, invite comme directeurs de la photographie pour les productions les plus ambitieuses des années 30, deux français, Charlie Bauer et Marius Raich. Ce dernier travailla d’ailleurs en Finlande pendant de nombreuses années.

Vaala est tout de suite l’homme de nombreux genres. D’abord le virtuose de la comédie citadine, ce qui est en soi un détail frappant pour un pays et un cinéma encore très ruraux. On lui reconnait aussi le talent particulier de « fabriquer des vedettes ». Nombre de ses acteurs principaux, au cours de sa carrière, étaient à l’origine des amateurs, hormis cependant Tauno Palo et Ansa Ikonen qui formèrent le couple vedette le plus apprécié de tous les temps du cinéma finlandais. Dans le meilleur des films citadins de Vaala, Le Faux mari (Mieheke), Palo a pour partenaire la finno-américaine Tuulikki Paanane. On la retrouve plus tard dans un petit rôle de L’Homme léopard de Jacques Tourneur.

En 1936, Roland af Hälström publie « Filmi – aikansa kuva » (Le film – une image de son temps), le premier livre de cinéma proprement dit d’un pays nordique. Il y déclare : « Valentin Vaala est le seul qui représenta ces années-là, l’avant-garde du cinéma européen : sa persévérance et un regard cinématographique inné sont des dons divins pour un réalisateur. »

La comédie vaalaienne fait son chemin avec succès du milieu des années 1930 jusqu’au milieu des années 1950. Une de ses données essentielles est l’utilisation presque systématique d’auteurs féminins soit comme sources, soit comme scénaristes. On trouve, à l’état pur dans ces films, la « ferveur indomptée de la couturière » de la littérature légère de l’époque et donc toute la gamme des « films de femmes » ainsi que le conflit entre les sexes, examinés d’un oeil jeune et compréhensif.

La star la plus typique des temps de guerre, Lea Joutseno, est découverte dans les bureaux de la société et la série des huit films qu’elle tourne avec Vaala est celle où celui-ci se rapproche le plus de son réalisateur idéal, qu’il mentionnait souvent : Ernst Lubitsch. Dans Avec Intensions sérieuses (Tositarkoituksella), on chante même du swing pendant les travaux des champs. Les héroïnes plus « sérieuses » ne sont pas moins marquantes : Vaala, est à la manière de Cukor, le metteur en scène des femmes par excellence, et d’autre part un militant convaincu du « jeu minimal ». Le principe était : « Devant la caméra il ne faut jouer qu’avec retenue, car la caméra renforce les expressions. Un montage bien exécuté est ensuite le moyen magique par lequel on provoque les sentiments du spectateur… ». « Un simple acteur ne suffit pas pour faire un bon film, il faut qu’il soit un artiste du cinéma, il faut qu’il se pénètre de l’idée du film, par des possibilités que le film lui offre de façon spécifique » termine Vaala.

Aux représentations urbaines succède un déplacement vers la campagne et l’apparition cinématographique d’une « deuxième réalité » parallèle : dans les films de Vaala on découvre la nature sans la lenteur ni les tergiversations qui étaient d’usage dans les films d’autres productions. La caméra se déplace, le montage est nerveux. Le drame des flotteurs de bois de La Mort dans le rapide (Koskenlaskijan morsian) est suivi de Femmes de Niskavuori (Niskavuoren naiset), première adaptation cinématographique de la série des cinq pièces de Hella Wuolijoki, saga extrêmement poignante de la région du Häme, qui constitue une sorte d’équivalent finlandais aux textes de Marcel Pagnol.

L’histoire des idées de l’époque représente également une part essentielle de l’oeuvre de Vaala, surtout présente dans trois films des années 1930, tous trois tirés de textes de Hella Wuolijoki : Niskavuori, Hulda monte à la capitale (Juurakon Hulda) et L’Or vert (Vihreä kulta).

Ces films représentent différents genres, mais ils dressent tous un excellent portrait de la « classe dirigeante », des clichés et des images de l’exercice du pouvoir de l’époque, à savoir, sur quels types de malentendus, d’illusions et de tricheries se fonde la première république. L’Or vert est un sommet des films traitant de la Laponie : une femme déçue par son mariage essaie d’aller loin au nord, pour retrouver l’amour et les vraies valeurs, autres en tous cas que celles du capitalisme ordinaire. Ceci est une trame thématique très typique à Vaala.

Les deux principales oeuvres « sérieuses » de Vaala se situent à la fin des années 1940 et concrétisent son idée de la « dédramatisation » : Loviisa, le plus fin des films Niskavuorii exprime la contradiction entre « un amour fou » et un mariage fondé sur l’accroissement de la propriété, l’affrontement du rêve et de la réalité.

Des êtres dans la nuit d’été (Ihmiset suviyössä), est tiré des textes du seul prix Nobel finlandais de littérature, F.E. Sillanpää. Le film reprend fidèlement la vision du monde et le panthéisme de cet auteur.

Au tournant des années 1950, le cinéma de Vaala devient inégal, voire même insignifiant, cependant son ancienne maîtrise se fait encore sentir à travers les sujets traités : la vie qui vaut ou non d’être vécue, la difficulté des relations humaines, le thème de l’irréalisable. Dans les années 1950 Vaala tourne plusieurs « remakes » des grands succès passés du cinéma national, parfois avec morosité et mollesse. Reviens, Gabriel ! (Gabriel tule takaisin), adapté de la pièce de Mika Waltari, est le chef d’oeuvre « sans coeur » de Vaala. Il parvient encore à élaborer quelques comédies honorables, offrant une image de Helsinki tout à fait originale – on s’est maintenant déplacés aux abords de la ville – comédies où le rôle de l’argent est souvent dénoncé de façon délectable. Lorsque surgit la crise de la production cinématographique des années 1950 et que la Suomi-Filmi cesse de produire des longs métrages, on fait « démissionner » Vaala ; mais il est vite réintégré car l’événement suscite la colère du public. A cette époque, on interrogea Vaala sur la question du « renouvellement ». Vaala, l’intoxiqué de travail, répondit : « Par deux fois j’ai été à l’étranger, une fois j’ai passé deux semaines à Stockholm et une fois, deux semaines en Union Soviétique. C’est tout. »

Qui était Valentin Vaala ? C’était un homme blond, peu loquace (comme souvent les gens très impliqués par le visuel), calme et effacé, sans aucun « tic de metteur en scène ». C’est pour cela qu’il est touchant de savoir que, souvent, au cours de ses tournages les plus heureux – et lorsqu’il n’y avait autour de lui que des amis très proches – il pouvait tout à coup se transformer en un danseur et chanteur (surtout de chansons slaves) de grand talent.

(Traduit du finlandais par Marianne Decoster)