Mohsen Makhmalbaf

Mamad Haghighat

Mohsen Makhmalbaf est né en 1957 dans un quartier pauvre du sud de Téhéran. C’est dans ce milieu qu’il puisera plus tard les sujets de ses films. Vingt jours après sa naissance, son père quitte le foyer, sa mère est obligée de travailler. Il est élevé par sa grand-mère – une femme très pieuse qui l’emmène à la mosquée et lui transmet « l’idée d’un Islam attachant et chaleureux ».

Makhmalbaf dit que les convictions religieuses des Iraniens, surtout des plus défavorisés, sont plus profondes que leurs convictions révolutionnaires. « Les Iraniens ont eu une vie difficile et certains ont toujours une vie difficile aujourd’hui… Ce sont des sentiments religieux qui ont fait naître la révolution islamique. C’était comme l’accomplissement d’un acte religieux. Il n’existait aucun décalage entre les mots d’ordre donnés par l’Islam et l’action de descendre dans la rue. « 

Très jeune, il milite au sein d’une organisation islamiste luttant contre le régime du Shah. Il est emprisonné à la suite d’une attaque contre un commissariat de police. Il est alors âgé de 17 ans. Il restera en prison de 1974 à 1979 et sera libéré au moment de la révolution. En prison, il côtoie des militants de « groupuscules religieux et révolutionnaire de gauche ». La situation que ces derniers avaient crée là-bas était si insupportable, dit-il, qu’il fut dégoûté de leur société idéale. Au début de la révolution, il s’aperçoit que les politiciens commettent les mêmes erreurs que ces gens-là. Il se met à penser que la politique ne pourra résoudre tous les problèmes. Selon lui, le problème des Iraniens est un problème d’ordre culturel et éducatif. Il décide de s’orienter vers l’art. Entre 1980 et 1981, il publie un roman et plusieurs nouvelles. Il fonde avec d’autres artistes musulmans un « Centre de propagande pour la pensée et les arts islamiques ». Il écrit ses propres thèses sur le théâtre islamique.

Puis il se lance dans le cinéma. Il réalise en 1982 son premier long métrage, Nassouh le repentant, un film maladroit et d’un parti pris très religieux. Il faut signaler qu’avant cette période il n’était presque jamais allé au cinéma et que son fanatisme était tel qu’il se bouchait les oreilles dans la rue pour ne pas entendre la musique profane.

Trois ans plus tard, en 1985, quand le contexte politique est favorable à un renouveau du cinéma en Iran (notons la sortie, cette année-là, du film Le Coureur d’Amir Nadéri1), Makhmalbaf réalise un quatrième film, Boycott, lequel révèle sa maîtrise de l’art cinématographique. Cependant, le héros du film, Valeh, incarne bien l’engagement religieux de son auteur. On peut dire que Makhmalbaf est le plus pur produit de la révolution islamique dont il est cependant, par un surprenant paradoxe, le critique le plus implacable.

Il cherche à mieux connaître le cinéma. Saisi d’une boulimie d’images, il s’enferme aux Archives du film iranien pour visionner, stupéfait d’admiration, tous les films importants de l’histoire du cinéma iranien, ainsi que celui du reste du monde. Il est fasciné par la création d’images (rappelons que toute représentation des êtres animés est interdite par le Coran). Son film Le Camelot (1987) connaît un véritable succès. Il est montré dans une vingtaine de festivals internationaux. En trois sketches, ce film met en scène trois laissés-pour-compte du système, dans les styles les plus divers, mais à chaque fois réussi : style néo-réaliste pour le premier, hitchcokien pour le second et fellinien pour le troisième.

Son film suivant, Le Cycliste (1988), remporte un grand succès auprès du public et des critiques iraniens. Il relate l’épreuve que doit subir, pour pouvoir payer l’hôpital où se trouve sa femme, un réfugié afghan contraint de tourner en rond pendant une semaine sur sa bicyclette (rappelant le marathon de danse du Film On achève bien les chevaux de Sydney Pollack). La Noce des bénis (1989) traite des difficultés de réinsertion d’un photographe de presse à son retour du front de la guerre Iran-Irak.

Entre 1990 et 1991, Makhmalbaf tourné deux films, Le Temps de l’amour et les Nuits de Zayandehroud, qui jusqu’à ce jour n’ont pu être montrés. Les autorité leur reprochent une certaine déviance par rapport à ses idées religieuses d’origine. Nasseredin Shah, l’acteur de cinéma (1992) est un film plein d’humour et d’une grande élégance formelle, dont le sujet est le cinéma iranien à travers son histoire et auquel il rend hommage de façon délirante. Un fait historique sert de point de départ au film : le voyage en Europe au début du siècle du Shah Nasseredin, qui, de passage à Paris, découvre le cinéma et rapporte en Iran le premier appareil de projection. Le cinéaste, utilisant au début du film des images d’archives, imagine la suite : de retour en Iran, le roi assiste à la projection du film La Fille de Lor (premier film parlant iranien, tourné en 1933), tombe amoureux de l’héroïne, oubliant ses 84 épouses et ses 200 enfants. La cour toute entière restera mille et une nuits devant la lanterne magique, occasion pour Makhmalbaf de montrer des extraits de films iraniens les plus importants de son histoire.

Mohsen Makhmalbaf est devenu tellement populaire en Iran qu’un homme au chômage, amoureux du cinéma, parfait sosie du célèbre cinéaste, usurpa son identité : en se faisant passer pour lui, et sous prétexte de faire des repérages pour son prochain film, il s’installe dans la villa d’une famille bourgeoise. Ce fait divers a eu un grand retentissement en Iran et Abbas Kiarostami en a tiré le sujet d’un film fabuleux : Close Up. Son dernier film, L’Acteur, vient de sortir en Iran. C’est une comédie qui raconte les déboires d’un acteur de cinéma, tiraillé entre ses ambitions artistiques et sa vie de couple.

1Présenté à La Rochelle dans le cadre d’un hommage en 1992.