Les vingt ans du studio Action

La création du Studio Action
Fin 1966, deux cinéphiles de province, Jean-Max Causse et Jean-Marie Rodon, auxquels se joindra, pour un temps, Roger Taverne, au sortir de leurs études supérieures (E.S.C., Science Po), constatent une carence dans la diffusion de certains films du répertoire. Pariant sur le fait que de nombreux amateurs doivent se trouver dans le même cas, ils rachè-tent à bas pris une salle moribonde de la rive droite, le La Fayette, qui deviendra le pre-mier Studio Action. Suivant l’exemple d’Henri Langlois, le Stu-dio Action, spécialisé dans le cinéma anglo-saxon, va s’efforcer de présenter l’intégralité de l’oeuvre des auteurs, c’est-à-dire non seu-lement les films « porteurs », mais aussi les oeuvres rarement projetées, voire même injus-tement méprisées. A partir de 1969, la situation va brusquement changer : les « Major Companies » fusion-nent, les stocks de copies fondent à vue d’oeil, les possibilités de programmation s’amenui-sent. Les animateurs de l’Action proposent alors aux distributeurs américains de garan-tir financièrement le tirage de copies neuves et de prendre à leur charge les frais de sortie. Cette politique, au départ très critiquée par la profession (l’exploitant n’a pas à faire le travail du distributeur), va cependant permet-tre la réédition d’un très grand nombre de titres majeurs, et, imitée par d’autres circuits indépendants comme l’Olympic de Frédéric Mitterrand et plus récemment les Reflets de Simon Simsi, va contribuer à la préservation du patrimoine cinématographique interna-tional.

Une nouvelle conception de l’exploitation cinématographique et de ses rapports avec le spectateur
Pour présenter ces rééditions, Jean-Max Causse et Jean-Marie Rodon dédoublent l’Action La Fayette puis reprennent et amé-nagent l’Action République. En 1974, ils ouvrent, en rive gauche, l’Action Christine, deux écrans destinés en particulier au cinéma américain indépendant (Underground cali-fornien, New Wave new-yorkaise). Les années passent, mais les principes initiaux de respect du spectateur et de l’oeuvre proje-tée restent : salles noires « antireflets », équi-pements techniques de pointe (70 mm, stéréophonie), pas de publicité d’écran, état des copies affichés à la caisse, rééditions en versions intégrales souvent inédites (Une étoile est née, Cléopâtre, le Crime était pres-que parfait [en relief 3 D]), réunions animateurs-spectateurs, rencontres avec de nombreux réalisateurs comme Jacques Tour-neur, Sidney Pollack, Elia Kazan, Stanley Donen, Jerry Schatzberg, Richard Brooks ou Samuel Fuller, et des comédiens comme Robert Ryan, Sterling Hayden, ou Liza Minnelli.

Les années difficiles
En 1981, Jack Lang a des propos malheureux concernant l’impérialisme du cinéma améri-cain. Des fonctionnaires zélés, prenant cette déclaration au pied de la lettre, en profitent pour adopter une politique discriminatoire à l’encontre des Action dont l’indépendance leur a toujours déplu : suppression de sub-ventions attribuées aux autres salles « méri-tantes » (entraînant une véritable situation de concurrence déloyale), refus d’accepter la moindre participation à des investissements de création (ouverture de l’Action Rive Gau-che en 1983) ou même uniquement culturels (voyage et séjour à Paris du cinéaste Douglas Sirk en 1982), et, ce qui est plus grave, cou-verture d’une escroquerie à l’encontre du groupe lors de la vente de l’Action Répu-blique. La dégradation de la situation entraînera la vente de l’Action La Fayette. Mais malgré des difficultés financières extrêmes, grâce à la fois à une gestion rigoureuse, à une politique d’investissement coûteuse mais constante, et surtout, au soutien de la presse et d’un public fidélisé, les Action voient en 1985 leur fré-quentation augmenter de 14070 alors que la moyenne de la profession accuse une dimi-nution de 8%.

Neuf écrans prestigieux à Paris
En 1987, le groupe des Actions représente 9 écrans à Paris se répartissant en : — Action Christine (4 salles) — Action Rive Gauche (2 salles) — Action Ecoles (2 salles animées et pro-grammées, propriétaire Jacques Giangrande) — Mac Mahon (1 salle animée et program-mée, propriétaire Yvonne Decaris). La grande salle de l’Action Christine a été complètement rénovée pendant l’été 1986. Elle est le creuset qui a vu se former des géné-rations de cinéphiles. Mais c’est la salle Henri Langlois du complexe Action Rive Gauche qui constitue l’unité la plus prestigieuse du groupe, dotée des perfectionnements techni-ques les plus évolués (70 mm, dolby stéréo), d’un confort unique dans les salles indépen-dantes d’Art et Essai, et surtout d’un grand écran panoramique concave, dernier progrès de la technique de vision. Toutes les salles Action ont bénéficié de trois étoiles dans le classement des salles établi par le journal l’Express.

Action-Théâtre du Temple : une société de distribution indépendante en pleine expansion
ean-Max Causse et Jean-Marie Rodon sont aussi distributeurs. En accord avec plusieurs « Major Companies » américaines (Univer-sal-MCA, MGM-United Artists), Action-Théâtre du Temple réédite et distribue dans la France entière des classiques américains. Huit films ont été réédités en 1985, quatorze en 1986 et le catalogue comporte une impor-tante réserve pour les années suivantes. Y figurent des oeuvres célèbres ou méconnues des plus grands réalisateurs. Le succès de la réédition de The Shop around the corner (plus de 140 000 entrées à Paris) est un cas exceptionnel et la récompense d’une longue ténacité à faire découvrir des oeuvres rares. C’est cette ténacité qu’a également voulu honorer la Fondation Apple pour le
Cinéma en apportant son aide aux ani-mateurs. Guy Chantin est le responsable de la société de distribution Action Théâtre du Temple.

Action : une image médiatique exceptionnelle
Le prestige médiatique des Action va bien au-delà de leur importance économique. Les Action sont avant tout la mémoire vivante du cinéma américain, et les relations exception-nelles, plus artistiques que commerciales qu’entretiennent Jean-Max Causse et Jean-Marie Rodon avec les médias sont pour beau-coup dans l’expansion de l’entreprise. L’Action est devenue la référence indispen-sable dès que l’on parle de cinéma. C’est également le symbole du dynamisme de l’ex-ploitation indépendante face aux grands cir-cuits, ce qui lui donne vis-à-vis de la presse à la fois une idée de grande compétence et une image de sympathie : « Action c’est le nom d’un circuit qui a toujours défendu le vrai cinéma américain et qui se bat seul contre les grands méchants comme dans les westerns » titre le Nouvel Observateur dans un article récent.
En 1987, l’expérience des Action aura 20 ans. Plus de 10 millions de spectateurs en auront bénéficié. Action vient de créer avec Gitanes la marque Action Gitanes qui va contribuer au dévelop-pement des activités des salles et de la société de distribution. « 20 ans de Studio Action, 50 ans de cinéma américain, et c’est toujours le même film », déclarent Causse et Rodon : la couleur, le panoramique et la Dolby Stéréo ont remplacé le noir et blanc, le format carré et le son à densité variable. Mais les pilotes d’essai qui tentent de vaincre l’impossible dans le film de Kaufman et les pionniers qui font descen-dre en rappel leurs wagons le long des Rocheuses chez Walsh sont tous de la même race : ils ont l’étoffe des héros. A l’heure des bilans, il serait donc vain d’opposer les clas-siques et les contemporains, car les Philip Kaufman, les Cimino, les Eastwood, les Cas-savetes, les Walter Hill ou les Kubrick, sont les dignes héritiers des Ford, Walsh, Hawks, Lubitsch et autres Capra. C’est ce que nous tenterons de démontrer au cours de cette Nuit des 20 ans : mélange des époques mais aussi mélange des genres : tout est cinéma, c’est-à-dire reflet de nos passions, de nos fantasmes et de nos rêves. »