Boris Barnet

Marcel Martin

Après avoir été acteur et avoir collaboré au film de Fédor Ozep « Miss Mend », Bons Barnet devient réalisateur à part entière avec « La jeune fille au carton à chapeau » (1927) qui est déjà une manière de chef-d’oeuvre par sa vivacité, sa tendresse et sa drôlerie et un exemple typique des comédies légères qui se multiplient pendant la période de la NEP : l’action tourne autour de la crise du logement mais elle est centrée sur un billet de loterie gagnant et sur les amours de la jeune fille en question. On trouve déjà dans cette comédie alerte et amusante la poésie et l’humour qui feront le prix des grands films de Barnet ; le film est plein de situations désopilantes et de trouvailles visuelles qui font mouche : ainsi l’héroïne se pique au doigt en cousant et, comme son amoureux suce la goutte de sang qui perle, elle se pique à la lèvre et lui tend une bouche gour-mande. e( Moscou en octobre » (1927), un des films de commande réalisés pour le 10e anniver-saire de la Révolution, est le récit mouvementé des combats menés par les Bolcheviks pour s’assurer le contrôle de Moscou ; son style est d’un réalisme quasi documentaire. Barnet revient à la comédie avec « La Maison de la Place Troubnaïa » (1928), où le côté social est plus marqué sans que la vigueur satirique en souffre : ce sont les « nouveaux riches » de la NEP qui subissent le feu de la critique parce qu’ils ne respectent pas les droits syndicaux des travail-leurs ; naturellement, tout finit bien pour la sympathique héroïne du film, indûment chassée par sa patronne, laquelle est mise en demeure d’appliquer la loi. La mise en scène est extrêmement bril-lante (agilité de la caméra, rapidité du montage) et elle fourmille de gags spécifiquement filmiques (accéléré, rétroversion, etc…). « La Débâcle » (1931), d’un tout autre ton, illustre directement la campagne de « dékoulakisa-tion » alors en cours. Dans un village, les koulaks refusent de livrer leur blé, puis tuent un komso-mol et le vieux paysan qui allait les dénoncer : les villageois, scandalisés par ces crimes, se ran-gent unanimement aux côtés des représentants locaux du parti communiste. Ce beau film, injus-tement méconnu, est loin de n’être qu’une oeuvre de circonstance et de combat car Barnet y transcende le didactisme politique par une approche nuancée des personnages, positifs ou néga-tifs, et par une mise en scène qui ne trahit rien de son talent affirmé : admirables images de la campagne sous la neige, effets de montage métaphoriques à la manière de Poudovkine. Ce n’est pas diminuer les mérites de Barnet que de déceler l’influence qu’a pu avoir sur lui le réalisateur de « Tempête sur l’Asie », pour lequel il a joué comme acteur dans ce film (1925) et aux côtés duquel il a figuré dans e Le cadavre vivant » de Fédor Ozep (1929). Et puis c’est « Okraïna » (1933), son chef-d’oeuvre et l’un des plus beaux films soviétiques, une réussite merveilleusement déli-cate et tendre, traitée dans un style plus réaliste que précédem-ment (c’est son premier film parlant) mais littéralement transfigu-rée par des images d’une lumineuse beauté et par la présence de la radieuse Elena Nouzmina dans le rôle principal, celui de la fille d’un cordonnier de village qui tombe amoureuse d’un jeune Allemand prisonnier (l’action se situe durant la Grande Guerre) travaillant dans l’atelier de son père, au grand scandale du vieil homme, tan-dis qu’éclate la révolution de février et que les Bolcheviks entre-prennent leur action. On retient du film les timides tête-à-tête de Marika et de l’Allemand, scènes pleines de gentillesse et d’humour, mais aussi la vigoureuse évocation du contexte de la guerre et de la Révolution ; si le style est simple, il est pourtant rehaussé par de nombreux effets de montage métaphoriques qui montrent que le cinéaste reste fidèle à lui-même. C’est le cas aussi dans son film suivant, « Au bord de la mer bleue » (1936), dont l’action se passe dans un kolkhoze de pêcheurs : on y retrouve la délicieuse Kouzmina, qui a bien des ennuis avec le garçon qui la courtise, un mauvais travailleur, alors qu’elle est déjà fiancée à un soldat : ici encore, les images sont d’une grande splendeur plasti-que à l’unisson du lyrisme du montage et de la musique. Une nuit de septembre » (1939) est le portrait d’un mineur de choc inspiré par la figure de Stakhanov : c’est une oeuvre sévère où le thème du sabotage occupe le centre du propos didactique, mais les images sont toujours très soignées. Durant les hostilités, Barnet réalise deux courts sujets pour le magazine « Cinéjournal de guerre » : « Le Courage » (1941) et « Une tête sans prix » (1942). Après la guerre, il signe deux films qui n’ont pas fait date : « Une fois, la nuit » (1945) et « Les pages de la vie » (1948), en co-réalisation avec A. Matcheret ainsi qu’un film d’espionnage, « Personne ne le saura » (1947), récit des aventures mouvemen-tées d’un agent soviétique en territoire russe occupé. Avec « Un été prodigieux » (1951), qui a du charme et du dynamisme, « Liana » (1955) et « Le Poète i’ (1957), il semble chercher à retrouver son inspiration de l’avant-guerre, mais les résultats sont assez décevants : il est marqué, lui aussi, par les effets stérilisants de la difficile période que traverse le cinéma soviétique. Il y a plus de brio et d’invention dans « Le lutteur et le clown » (1957, en co-réalisation avec Konstantin Judin) qui se situe dans le milieu du cir-que au début du siècle et décrit avec justesse et sympathie la vie des « gens du voyage ». On lui doit encore « Annouchka » (1959), « Alenka » (1962) et « La Halte » (1963) où il n’est plus que l’ombre de lui-même ; en 1959, est finalement exploité un film qu’il avait réalisé en 1940, « Le vieux cavalier ». En 1959, il écrivait : « Je ne suis pas un homme de théories mais je prends la matière de mes films dans la vie. Bien ou mal, j’ai tou-jours essayé de montrer l’époque contemporaine, l’homme vrai des temps soviétiques. Mais ce n’est pas facile… Pour moi, j’aime les choses drôles dans un drame, et les éléments tragiques dans la comédie » (cité par Georges Sadoul). La conscience d’un idéal difficilement accessible et de la difficulté de l’exprimer, c’est peut-être ce qui l’a conduit au suicide en 1965.