Richard Lester

Richard Lester est né le 19 janvier 1932 à Philadelphie (Pennsylvanie). Son père, Elliott Lester, était professeur, scénariste et auteur dramatique. Enfant prodige, Lester entre à l’Université de Pennsylvanie à l’âge de 15 ans et passe une licence de psychologie. Durant ses études, il crée un groupe de chanteurs avec trois camarades. Il compose également pour la troupe du « Masque and Wig » et écrit une comédie musicale qui est interprétée par le groupe théâtral de l’Université, les Pennsylva-nia Players. Vers la fin de ses études, il se pro-duit sur une chitine de télévision locale, la WCAU, en compagnie de ses trois co-équipiers. Le groupe est bientôt dissout mais Lester obtient un emploi dans cette station. D’abord régisseur de plateau, il passe bientôt assistant de production puis producteur et, à l’âge de 20 ans, a l’occasion de travailler sur des pro-grammes éducatifs et commerciaux.
Il quitte les États-Unis au début de l’année 1954 et traverse successivement l’Afrique du Nord, l’Espagne, la France, le Vénézuela, le Canada, les Antilles, Tahiti et l’Australie, gagnant sa vie comme journaliste indépen-dant, guitariste, pianiste, etc… Durant cette période, il compose une comédie musicale et part finalement pour Londres dans l’intention de la faire produire. Son arrivée coïncide avec une des périodes les plus fastes de la TV bri-tannique et il réussit non seulement à faire produire son oeuvre (la première comédie musicale originale montée à la TV anglaise) mais encore à décrocher un emploi de réalisa-teur. En 1956, il monte un « jazz show » et tra-vaille sur des séries comme « Son of Fred », Idiot’s Weekly » et « Show Called Fred » dont les vedettes sont Peter Sellera, Harry Secombe et Spike Milligan. Parallèlement il crée un programme mêlant sketches musicaux et improvisations en direct (avec pour associé Alun Owen, le futur scénariste de « Quatre Gar-çons dans le Vent »).
Au début de l’année 1957, il quitte l’Angle-terre pour quelques mois en compagnie de sa femme et travaille comme gagman pour Nor-man Jewison à la CBC (Toronto). Après un court séjour en Australie, il retourne en Angleterre à la fin de l’année 1957. Il colla-bore alors à des séries comme « After Hours » (ABC), « The Goon Show » (Sellera et Milligan) ainsi qu’à la série radiophonique « Round the Bend ». En 1959, il réalise son premier court-métrage, « The running, jumping and standing still film » dont l’esprit reflète assez fidèlement celui des séries non-sensiques créées avec le concours de Sellera et Milligan. La même année, il tourne un autre court-métrage, Have jazz, will travel », conçu à l’origine comme le « pilote » d’une série télévisée. En 1960, il compose, avec Reg Owen, la musique de la série télévisée « Sea War » (pour la Rank). Il tourne enfin son premier long métrage, « It’s trad, dad ! » en 1962. Très actif dans le domaine du film publici-taire, Lester monta sa première compagnie de production de « spots » pour la TV dès le milieu des années cinquante. Il a réalisé à ce jour, selon ses estimations, plus de 500 films publicitaires. Vers la fin des années soixante, il a en particulier travaillé à la télévision amé-ricaine pour « Braniff » et a réalisé des séries pour Gillette, Carnation et Cadbury. Il a tourné, en 1966, « The Cat », une publicité pour Agrilan et, en 1969, « Dream Love Stamp », une parodie de « l’Année Dernière à Marienbad » pour L & M. Au cours des années 1970, il a principalement travaillé pour la télévision italienne, tournant en particulier des sketches sur le modèle de la comédie bur-lesque, avec pour interprète le chanteur Mas-simo Ranieri.
Olivier Eyquem (Positif n ° 175 – nov. 1975)

Richard Lester est né aux Sixièmes Journées du Festival de courts-métrages de Tours. C’était en 1960.
Il avait quelque vingt-huit ans. En ce temps là, le Festival découvrait un météorite en rupture d’humour à l’anglaise : « Running, Jumping and Standing SNI Film. » Depuis, Richard Lester est devenu le champion du cinéma en ape-santeur. Quant au Festival de Tours, il est mort, tué par le ridicule. Quel était donc l’auteur malicieux de ce bouquet de gags qu’illumi-nait la fulgurance du non-sens ? Un Américain d’outre-Manche, Philadelphien d’origine, ancien étudiant de psychologie, ami de la musique et des voyages, stagiaire à la Télévision et artisan de films publicitaires particulièrement efficaces. On attendait une seconde naissance dans la rubrique « Longs Métrages ». Elle vint trois ans plus tard. Une caméra porteuse envoyait « La Souris sur la lune », en cette merveilleuse année 1963. 1963. Swinging London. Une ville en joie qui se dévêt de ses der-niers préjugés victoriens. Carnaby Street et les mini-jupes. Le Royal Court Theatre et le triomphe des Jeunes Hommes en colère. L’apogée du Free Cinéma avec, en point d’orgue, l’euphorie libéra-trice des Beatles. Au sein de ce bouillonnement créateur, Richard Lester avait tout de suite compris que son tempérament le laisserait forcément en marge de l’admirable aventure du Free Cinéma. Au lieu d’aller à la rencontre de la littérature engagée ou du théâtre d’avant-garde provincialiste, il préfère le rendez-vous du cinéma burlesque avec la musique des Beatles. L’avenir a prouvé qu’il s’agissait du bon choix. Effectivement, le plus durable et le plus populaire se trouvait du côté des Beatles. Ces messagers de la liberté et de l’optimisme avaient enfin établi qu’il était possible de transgresser les privilè-ges d’une société guindée, malgré l’inégalité des chances au départ. La musique avait son rôle à jouer dans la remise en question des valeurs traditionnelles. Et maintenant, avec Richard Lester, on se demande si ces quatre musiciens à l’accent de Liverpool, n’ont pas plus apporté à leur pays que les écrits d’Alan Sillitoe, les piè-ces de John Osborne ou les premiers films de Tony Richardson. Les Beatles furent les porte-paroles d’une conscience populaire encore toute étourdie de. ses audaces. Les frontières du national-conformisme se brisaient, tandis qu’à l’étranger les quatre chan-teurs faisaient un malheur et devenaient le symbole d’une généra-tion nouvelle. La rencontre avec les « Quatre gerçons dans le vent » fut donc déterminante. La caméra de Richard Lester était au coeur du chan-gement. Elle enregistrait, sur le mode de la fiction burlesque, une euphorique prise de pouvoir, loin de la rage contestataire des Jeu-nes Hommes en colère, ou des grisailles cafardeuses du Free Cinema. Richard Lester trouvait l’état de grâce dans le royaume musical du non-sens irrespectueux. Expérience exaltante, car les deux films des Beatles resteront à jamais l’émouvant témoignage de cette extraordinaire lame de fond qui fit chavirer une Angleterre endormie dans son conformisme distingué. Qu’il faisait bon vivre en Angleterre au moment de « Quatre gar-çons dans le vent » et de « Help ». Pour mieux situer cette période, les nostalgiques vous diront que c’était avant l’Angleterre de la crise, avant l’Angleterre de la Dame de Fer. Donc, peu de temps après avoir réglé la hausse de sa caméra à hauteur de pleine lune, pour un fugace exploit balistique et vinicole des habitants de Fenwick, Richard Lester réalise le fameux tripty-que du non-sens poétique. Les Beatles pour chacun des côtés. A gauche et en noir et blanc, « Quatre garçons dans le vent ». A droite et en couleurs « Help ». Au centre, le Grand Prix du Festival de Cannes 1965, « The Knack », une éblouissante improvisation qui chante la joie de vivre sous forme de rêve surexposé. Les deux films des Beatles appar-tiennent désormais à l’histoire de la société anglaise, tandis que l’histoire du 7° art retiendra « The Knack » comme un grand moment de la mutation du cinéma comique britannique. Adieu films d’humour des studios de Pinewood, où il fallait attendre la fin du documentaire d’introduction pour voir fleurir un élément sau-grenu que la logique du récit poussait jusqu’à ses derniers retran-chements absurdes. Adieu « Whisky à gogo », « Passeport pour Pimlico », ou « Tortillard pour Titfielf ». Adieu les performances d’humour noir d’Alec Guinness, dans « Noblesse oblige » ou « Tueurs de Dames ». Le gag puise maintenant sa force dans le délire galopant. Drôle de film que ce « Knack ». Inclassable et précurseur. Comme pour les films de Beatles, et comme pour ses futurs « Trois mous-quetaires », Richard Lester reste fidèle à l’obsession du chiffre quatre.
Il sont quatre personnages dans le « Knack » : Tolen, le nanti, qui possède ce je ne sais quoi permettant de séduire une myriade de pin-ups oxygénées à la Suédoise. Colin, le paria du sexe, que la frustration chronique condamne aux pires tourments de l’obsédé solitaire. Tom, son frère en infortune amoureuse, qui peint tout en blanc. Murs, meubles, miroirs, jusqu’à dissolution complète dans la lumière de l’écran. Et Nancy, rescapée de l’univers cafardeux du « Goût de miel », vierge en péril à la recherche d’un « honnête » foyer féminin. Cette orgie de facéties burlesques et d’équipées poétiques (oh, la merveilleuse promenade en lit à roulettes…) exprime parfaitement ce qui sera la constante d’inspiration, thé-matique et stylistique, de Richard Lester. Tolen, Colin, Tom et Nancy représentent quatre réalités différen-tes. Chacun vit dans un monde qui semble contredire ou exclure celui des autres. Alors, Richard Lester juxtapose ces quatre uni-vers, les rapproche, les imbrique, les superpose, pour faire naître un style qui permet tous les coq à l’âne, toutes les licences, tous les affrontements cocasses et ravageurs. Dès lors, chaque film, dégagé de la tyrannie de la ligne directrice, devient un véritable foyer d’idée folles. Par la suite, la malice se fait subversive. C’est « Le forum en folie », traduction désinvolte du beau titre « A Funny Thing Hap-pened on the Way to the Forum ». Enfin, l’antiquité échappe à l’esthétique du regard classique. Les gais lurons de l’époque igno-raient la censure du bon goût et cultivaient volontiers la vulgarité agressive. En dépit d’un générique génial de Richard Williams et d’un désopilant hommage à Buster Keaton, moribond véloce, le « Forum en folie » ne suscita guère l’enthousiasme de la critique. Avec le recul, on s’aperçoit que cette coulée de gags à la Lester fut victime d’un contre-sens évident. En condamnant la vulgarité en fonction de tenaces a priori classiques, les critiques n’avaient pas trouvé leur bonne grille de lecture. Une réhabilitation s’impose. Et voici que s’épanouit une oeuvre qui harmonise parfaitement la diversité des genres et la succession des modes. L’humour désin-volte devient corrosif. Un récit d’ancien combattant (« Comment j’ai gagné la guerre ») se métamorphose en farce multicolore avec d’irrésistibles soldats-caméléons. Aux antipodes du film de guerre traditionnel à l’anglaise, la caméra de Lester nargue la sacro-sainte glorification du « stiff upper lip » (expression qui désigne la rigidité de la lèvre supérieure caractérisant l’officier à force de caractère tenace…). Retour au pays natal. Lester tourne « Petulia », sur un registre plus grave. Cette fois, la structure du récit traditionnel vole en éclats colorés pour hisser le film à la hauteur du chef d’oeuvre. « Petulia » est un de ces rares films qui échappent au vieillissement de la fameuse mode de la « déconstruction » qui sévissait à l’époque. Désormais, ce pourfendeur des carcans logiques, qui se sent plus proche de Laurel et Hardy que de Laurence Olivier, ne recule nulle-ment devant l’apologie de l’improvisation. Ne déclarait-il pas dans une interview qu’il aimait travailler avec les Italiens. « Ils ont telle-ment le sens de l’improvisation… Ce qui est fort commode lorsqu’ils ont oublié d’apporter la caméra… ». Bien sûr, ne nous laissons pas prendre à une déclaration qui a valeur de boutade. Disons plutôt que l’apparence de décontraction correspond sur-tout au plaisir de filmer qui sollicite à chaque instant la complicité du spectateur que ce soit dans le surréalisme de l’« Ultime garçon-nière », oeuvre méconnue qu’il faut absolument replacer à sa juste valeur, ou dans l’adaptation débridée des « Trois mousquetaires ». Alexandre Dumas rirait de ne plus reconnaître ses petits. Comme dans « Royal Flash », pastiche marrant du « Prisonnier de Zenda », les anachronismes savoureux servent de repères-dingues le long d’une reconstitution historique de fantai-sie. Après « Terreur sur le Britannic », film-catastrophe enrobé d’humour fin, Richard Lester est arrivé au sommet de son talent avec le plus beau des Robin des Bois. Sur fond de champ de choux, le reuelle de Sherwood, tout comme le meilleur vin, a pris du bouquet en vieillissant. Le héros vert est en plein automne de la vie lorsqu’il retrouve une Marianne moins gracile, mais fort gra-cieusement parée des attributs de nonne. Le temps de la cueillette des roses est-il passé ? Les amants vieillissants vont-ils revigorer avec ironie le mythe de Roméo et Juliette ? « La Rose et la flèche » nous apprend, avec un charme infini, que les héros de légende sont vulnérables, il suffit de les humaniser. Même l’invincible « Superman Il », à ce jeu, perd ses dons surnaturels pour l’amou-rette d’une terrienne de comédie américaine.
Et, à voir défiler tous ces films, où le non-sens ne tue jamais l’humain, on rêve à cette séquence fabuleuse où chaque specta-teur peut désormais se laisser griser par la rencontre entre Colin, Superman, Nancy, D’Artagnan, Tom, Aramis, Ringo, John, Petu-lia, Tolen, Keaton, Flashman, Robin et Marianne, et tous les autres… A la rigueur sur le Britannic. On peut alors se poser la question. Quel est le meilleur film de Richard Lester ? Réponse : c’est l’ensemble de ses films. Ce qu’il fallait ne pas démontrer.
Raymond Lefèvre, critique à « La Revue du Cinéma » et « Cinéma 81 », juin 1981

Opinion
« Il y a deux manières de maîtriser la mode : la flatter comme fit Godard, au risque de compromettre ce que certaines de ses options pouvaient avoir d’original (en résultat, qu’en reste-t-il ?), ou la précéder comme fit Lester. On a oublié en effet que le style lestérien précédait de très loin la Beatlemanie. En un sens, et sans tout à fait s’en rendre compte, Lester faisait sauter, courir et se tenir debout quatre Beatles légèrement « goonisés », surtout dans « Help », et qu’il avait été en mesure de comprendre, en fonction d’affinités souterraines aujourd’hui décelables : John Lennon, avec son « scouse » liverpoolien, était un fils putatif de Spike Milli-gan, les deux générations se tendant la main par Lewis Carroll interposé. Les Beatles choisissant Lester, car c’est ce qui se pro-duisit, savaient qu’ils trouveraient en lui, si j’ose dire, un crâne frère. L’extraordinaire diffusion du style lestérien dans le monde entier, ici repérable jusque dans les shows de Averty, les premiers Pirès, les derniers Zidi, et toute notre production publicitaire, a le même caractère de débonnaire boomerang. Le « Knack » répercutait des années de recherches publicitaires antérieures chez Lester, en sorte que ses copieurs fabriquaient du reflet de reflet. Lester, lui, avec son extraordinaire modestie, dont on a pu dire qu’elle se nuançait de masochisme, a fait les frais, plusieurs années durant, de cette surexposition, sans avoir jamais rien perdu de sa cohé-rence, ni abandonné une parcelle de son univers, finalement inimitable. La rencontre avec la mode l’isolait dans son bloc d’ambre intemporel, comme s’il avait d’avance prévu les étapes à venir : on peut dire en effet qu’il transforma les Beatles en mousquetaires, pour pouvoir éventuellement accomplir l’effet inverse, et transfor-mer les mousquetaires en Beatles. Lester a payé « The Bed-sitting room » de cinq années de purga-toire, même si cet échec financier incontestable lui a valu de sau-ter, avec quel bel élan, dans sa seconde période de triomphe inter-national, déclenchée par « les Mousquetaires ». On peut trouver le châtiment bien excessif pour une faute finalement toute relative. « The Bed sitting-room », qui est un film très passionnant, tombait en plein effondrement de l’industrie cinématographique britanni-que, en période où des films bien autrement spectaculaires que celui-ci se ramassaient piteusement. D’un coup, on n’entendit plus parler de Richardson, ni d’Anderson, ni de Reisz, ni de Schle-singer ni de Clayton ni de qui que ce soit. Les derniers fragments du cinéma anglais se reconstituèrent aux U.S.A. et Lester, cet américain d’Angleterre, n’avait rien de la mégalomanie kubri-kienne qui puisse le faire triompher, sans mal, du serpent meurtrier de la distribution. »
Robert Benayoun (Positif n° 175, nov. 1975)