Wojciech J. Has

Philippe Haudiquet (juin 80)

Wojciech J. Has a débuté après la guerre, en même temps que Jerzy Kawale-rowicz. Pendant près de dix ans, il a tourné des documentaires et des films éducatifs et n’a pu épanouir son talent qu’à partir de 1958. Tout d’abord, Has puise à des sources diverses (romans ou nouvelles de S. Dygat, M. Hlasko, Z. Unilowski, J. Zylinska, K. Brandys ; scénario de B. Czeszko), mais ses héros se ressemblent. Ce sont des déclassés, des personnages en marge, des êtres velléitaires qui cherchent en tâtonnant leur propre voie, un hypothétique salut que trop souvent ils n’entrevoient même pas. Dans « Le noeud coulant », « Les adieux », « Chambre com-mune », Kuba, Paul, Lucien Salis et ses amis ne parviennent pas à surmon-ter les difficultés de l’existence. L’alcoolisme a raison de Kuba, la tubercu-lose mine lentement Lucien et l’amour ne peut les sauver, ni l’un, ni l’autre. De son côté Paul est incapable de prendre une décision. Une même angoisse étreint les héros de « L’or », « Adieu jeunesse », « L’art d’être aimée » ; cependant, au terme d’expériences plus ou moins malheu-reuses, une certaine vérité s’impose à chacun, parfois positive, détermi-nante (le jeune chauffeur de « L’or » réussit à vivre simplement sans se sentir traqué), plus souvent morose ou amère (ainsi pour les comédiennes de « Adieu jeunesse » et de « L’art d’être aimée »)… Empreint souvent d’une ironie discrète, l’univers de Has est profondément attachant. Servi par un style allusif, tout en demi teintes, extrêmement subtil, par une caméra d’une étonnante souplesse (Has fait toujours appel aux mêmes opérateurs, M. Jahoda, S. Matyjaskiewicz), le cinéaste peint ses héros sans complaisance, mais avec une acuité, une compréhension, une tendresse rares. Wojciech Has pbssède au plus haut point la faculté de se renouveler. « Le manuscrit trouvé à Saragosse » adapté d’un roman écrit en Français au début du xixe siècle par le comte Jan Potocki, représente une tentative ori-ginale, totalement neuve en Pologne, une véritable gageure que lui seul, peut-être, pouvait tenir. Ce film brillant, tout à tour fantastique et picares-que, plein de charme et de fantaisie exquise, plonge le spectateur dans une euphorie très rare. C’est aussi une oeuvre charnière dans rceuvre de Has. Maîtrisant alors parfaitement un mode de récit où les histoires s’emboî-tent les unes dans les autres, et qui n’est pas sans rappeler celui des « Mille et une nuits », Has peut désormais s’aventurer dans le labyrinthe des pensées et des phantasmes de ses personnages.. Ceux-ci ne peuvent échapper, dans « Les codes », aux souvenirs d’une guerre atroce qui les a à jamais marqués. Comment vivre ? Et comment vivre aujourd’hui avec de tels souvenirs ? Il semble bien que Has pose tou-jours, inlassablement les mêmes questions fondamentales. En suivant les aventures irréelles de son Jozef dans la très étrange petite ville de « La clepsydre », adaptée de liceuvre en prose de Bruno Schulz, le « Kafka polonais », Has s’aventure plus loin encore dans ce labyrinthe des âmes que « Les codes » nous laissait pressentir. Wojciech Has est un des plus authentiques créateurs du 7e art, trop méconnu encore bien que son oeuvre ne soit pas sans affinités avec celles d’un Ophüls, d’un Kaütner ou d’un Douglas Sirk. Peut-être parce qu’il est trop modeste ? Peut-être aussi parce qu’il médite longuement ses oeuvres, aujourd’hui ?