Sortir de l’ombre

Yann Dedet, monteur, écrivain, cinéaste

Dans le projet de cette série de rencontres que j’appelle « Sortir de l’ombre », sur le berceau de laquelle les fées de La Rochelle se sont penchées, ont déjà eu lieu les face-à-face monteuse/chef opérateur en 2022, puis monteur/scénariste-réalisatrice en 2023. En attendant les croisements entre montage et production, montage et décoration, montage et interprétation, montage image et montage son, montage de fiction et montage de docu- mentaire, l’édition de cette année verra le croisement entre monteur et compositeur musical, avec François Gédigier et Grégoire Hetzel.
Je me souviens de l’enregistrement des musiques de Bernard Herrmann sur La mariée était en noir de Truffaut quand j’étais assistant de Claudine Bouché : le chef d’orchestre fait face aux musiciens mais aussi à l’écran qui lui projette la séquence pour laquelle Herrmann a écrit la partition. Comme Truffaut apprécie la musique synchrone, le chef d’orchestre attire de la baguette les musiciens dans le rythme de la scène qu’il suit d’un œil, l’autre volant sur la partition.

Une des caractéristiques des compositeurs, ces années-là, était de remettre leur musiques le plus tard possible, probablement pour qu’on ne les modifie pas, qu’on ne coupe pas dedans, ce que nous, monteurs et réalisateurs, faisions pourtant, sculptant la matière enregistrée, et souvent le dernier dimanche avant le mixage de tous les sons du film qui commencerait le lundi. Aujourd’hui, il est plus fréquent que les compositeurs interviennent bien avant, dès le début du montage de l’image et du son direct, et qu’ils fassent évoluer leur musique en parallèle avec l’évolution du montage, toujours recommencé, lui aussi, jusqu’à aboutissement.C’est ce dont nous parlerons avec François Gédigier et Grégoire Hetzel que je pousserai à répondre aux éternelles questions sans réponse : la musique doit-elle commencer cachée ou bien s’annoncer clairement, doit-elle illustrer au risque d’être pléonastique ou bien faire contrepoint à la scène, bref quelle est la place de son personnage, car c’en est un, dans le corps des films ? Dans son livre L’Offrande musicale, la claveciniste Blandine Verlet écrivait que tout se joue dans l’attente de la note à venir. C’est ce que j’apprécie dans la musique de film, ce moment où le silence permet à la musique de le relayer.