Łódź – Casablanca : La Pologne pour devenir cinéaste marocain

Léa Morin et Marie Pierre-Bouthier

En pleine période des « indépendances » (années 1960 et 1970), les jeunes cinéastes marocains étudiant à l’École de cinéma de Łódź s’interrogent, avec leurs camarades venus du monde entier (et notamment d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud) sur un monde, et un cinéma, à venir. Quel sera la place de l’artiste dans ce nouvel agencement du monde tant espéré ? Quel cinéma national veulent-ils pour leurs pays récemment indépendants ? Comment vont-ils affronter les réalités sociales et politiques de leurs pays ?

En Pologne, ils vivent ensemble des années de militantisme politique et de lutte en exil, d’apprentissage de la langue et de la culture polonaise, de combats collectifs en solidarité aux peuples opprimés, d’accès aux cinématographies du monde entier, de découverte et d’exploration de nouveaux milieux artistiques, notamment du free-jazz, de l’art conceptuel et du cinéma politique radical, d’amitiés, d’amours, d’études mais aussi de rencontres avec les marges et les réalités politiques et sociales de la Pologne communiste.

Venus pour apprendre le cinéma dans un pays communiste, les étudiants marocains bénéficient à la fois d’une solide formation théorique et technique, mais aussi d’une ouverture sur le monde et ses agitations politiques. Ils n’hésiteront pas alors à affronter avec un regard critique les marges de la société polonaise et à proposer un nouveau cinéma, engagé et inventif, qu’ils tenteront de prolonger à leur retour au Maroc.

Des premières « études » documentaires, critiques de la société polonaise, aux films politiques et expérimentaux, liés aux « années 1968 », on découvrira, à travers ce programme de 7 courts métrages, le nouveau cinéma marocain à venir, imaginé et expérimenté par les pionniers Hamid Bensaïd, Mustapha Derkaoui, Abdellah Drissi et Idriss Karim – dont plusieurs seront ensuite réduits au silence à leur retour dans le Maroc autoritaire de Hassan II.

Ce programme séquencé en 3 mouvements entend défendre la beauté et la valeur intrinsèque de ces productions étudiantes inédites, en même temps que leur intérêt pour écrire l’histoire des écoles de cinéma, celle des années 1960, et celle des cinémas transnationaux. Ce corpus de films est l’une des pièces manquantes des récits de la constitution des cinémas décolonisés.