Sortir de l’ombre

Yann Dedet, monteur, cinéaste, écrivain

Le projet de cette série à laquelle je rêvais depuis longtemps et que j’appelais Sortir de l’ombre, et dont les fées de LaRochelle se sont penchées sur le berceau, était prévu dans l’ordre de la fabrication : d’abord la confrontation entre un scénariste et un monteur, puis celle entre un réalisateur
et un monteur, ensuite entre un opérateur et
un monteur, plus tard entre un compositeur et un monteur… Puis peut-être d’autres rencontres : montage / production, montage / décoration, monteuse / acteur ou monteur / actrice, montage / image et montage / son, montage de fiction et montage de documentaire… Nous avons commencé l’année dernière dans un désordre dû aux circonstances – ce qui n’est pas pour me déplaire puisqu’un monteur est éventuellement censé remettre de l’ordre – par une monteuse, Valérie Loiseleux, et un opérateur, Renato Berta, réunis par l’œuvre de Manoel de Oliveira ; et on continuera ainsi.

Cette année, ce sera une réalisatrice, Emmanuelle Bercot, et son monteur, Julien Leloup, qui vont livrer une partie de leurs secrets de cuisine : ils sont un exemple rare de collaboration ininterrompue de plus d’une vingtaine d’années. Emmanuelle Bercot étant également, en plus de réalisatrice et cuisinière hors-concours, scénariste, ce sera sous cette double casquette qu’elle enrichira le débat entre, cette fois, trois métiers (ou arts, ou artisanats…). Je garderai néanmoins à l’esprit l’idée de faire se rencontrer une ou un scénariste avec une ou un monteur, me souvenant de la bataille spirituelle que nous pratiquions avec une scénariste, chacun de nous deux s’arrachant les feuillets du scénario final : le film. En espérant qu’un jour un compositeur vienne ajouter ses notes à la symphonie d’images qu’est déjà un film avant son arrivée concertante, en attendant les autres disciplines.

Cette année, en fonction des particularités des films d’Emmanuelle Bercot, on tentera de parler du regard du réalisateur confronté au regard du monteur, de la distance nécessaire que celui-ci se doit de pratiquer (même si complice), de la dilatation ou de l‘accélération, de la question du plan-séquence dans des films très montés, de l’éternel problème de l’entrée de musique (cachée ou surgissant nettement), et du cas particulier du dernier film d’Emmanuelle Bercot, De son vivant, dans lequel le centre de gravité s’est déplacé au fil des aléas du tournage, réalisé en trois étapes, à savoir en profondeur ce qui a modifié le film derrière le film, des stades écrits aux stades filmés.