L’année documentaire !

Julie Bertuccelli, cinéaste, présidente de la Cinémathèque du Documentaire

On le répète à l’envi, le cinéma est né documentaire. Et voilà que depuis une vingtaine d’années, cet autre genre majeur du cinéma reprend ses marques et gagne en reconnaissance. Je me souviens du titre du New York Times quand Nomadland, «inspiré de faits réels» comme le mentionne le générique, a décroché l’Oscar du Meilleur Film : «La force du documentaire». «Un film est un film, qu’il soit fiction ou documentaire»… Je me souviens de ces mots du président du CNC qui ont fait leur chemin : l’Année du Documentaire a été décrétée en janvier 2023 par la ministre de la Culture, sur une initiative de la Cinémathèque du Documentaire que j’ai le bonheur de présider et accompagnée avec enthousiasme par le CNC et la Scam. Action volontariste destinée à promouvoir le genre dans tous ses genres, elle se conjugue avec la reconnaissance du public et du milieu du cinéma. Je me souviens des mots de la comédienne Kristen Stewart, présidente du Jury de la Berlinale, lorsqu’elle a annoncé que l’Ours d’or 2023 était décerné à Sur l’Adamant de l’ami Nicolas Philibert : «Les paramètres invisibles établis par l’industrie et l’académisme ne tiennent absolument pas la route face à ce film, à cette œuvre, peu importe le nom qu’on lui donne…». Sur 19 films en compétition, le film de Nicolas était le seul documentaire. Je me souviens que Laura Poitras avait quelques semaines plus tôt remporté le Lion d’or à Venise pour Toute la beauté et le sang versé. Son film était le seul documentaire, parmi 23 films en compétition.

Dans l’élan de cette année étincelante pour le documentaire, le Fema nous offre un sacré plateau, un festival dans le festival. D’abord ma joie toute personnelle de voir figurer dans les avant-premières, l’Œil d’or 2023 (ou plutôt, un des Yeux d’or, puisque le jury a décerné deux prix ex aequo), Les Filles d’Olfa, le magnifique opus de Kaouther Ben Hania. Un prix qui s’impose peu à peu puisque les films distingués concourent désormais pour les Oscars. Le Festival de Cannes qui a mis – fait si rare depuis bien longtemps – 2 documentaires en Compétition officielle cette année : Jeunesse de Wang Bing et le film de Kaouther. C’est un film majeur dans sa forme, dans ce qu’il raconte des tourments du temps présent. On y rit, on y pleure. Du grand cinéma.

Kaouther sera bien entourée si j’en crois la programmation documentaire exceptionnelle de cette édition, avec 18 documentaires présentés. Je suis particulièrement heureuse de voir que les réalisatrices s’y taillent la part du lion. Je me suis attachée dans mon dernier film Jane Campion, la femme-cinéma, présenté au Fema 2022, à montrer à quel point le cinéma avait encore du chemin à faire pour intégrer une légitime parité. Je fais le compte : il y a plus de films de femmes que de films d’hommes dans cette brillante sélection 2023. Ce n’est que justice mais c’est un beau cadeau. Que les programmatrices du Fema en soient ici remerciées. Ils reflètent un état des lieux réjouissant qui accorde la part belle au documentaire et aux femmes cinéastes. Si beaucoup de choses restent encore à régler, j’ai l’impression qu’un vaste mouvement de fond est en marche. À l’image des femmes en cinéma, le documentaire regagne le terrain qui lui est dû ! Quelle joie… Vive l’année documentaire !