Comment écrire pour le cinéma d’animation ?

Stéphane Lerouge, spécialiste de la musique pour l’image

Depuis toujours, j’aime l’univers de l’animation. Car l’impossible y devient possible. L’imagination n’y rencontre aucune limite, ne bute contre aucun mur. C’est l’ouverture à des mondes bien plus vastes que ceux de la prise de vue en images réelles. Musicalement, le compositeur n’a pas à brider sa fantaisie car, contrairement à un film live, la question du réalisme ne se pose plus. Le plus souvent, il faut créer une partition à deux niveaux de compréhension : accessible pour les enfants et, en même temps, portée par une certaine ambition. Ce qui a toujours été mon credo : la bonne musique de film doit autant servir le film que la musique.»

 

C’est avec ces mots que Michel Legrand résumait sa relation au cinéma d’animation, qu’il traitait avec la même rigueur, la même exigence qu’un long métrage de Joseph Losey ou Jean-Paul Rappeneau. Sa démarche rejoint celle de confrères émérites, compositeurs de deux magnum opus de l’animation d’auteur française : Wojciech Kilar sur Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault (1952) et Alain Goraguer sur La Planète sauvage de René Laloux (1973), dont on fête cette année le cinquantième anniversaire. «Pour moi, insistait Laloux, c’est un film pour enfants… mais un film dont ils n’auraient pas à rougir une fois devenus adultes.»

 

Depuis, de nouvelles générations de compositeurs ont écrit des pages décisives pour le cinéma d’animation : Gabriel Yared pour Gandahar (1987) et Azur et Asmar (2006), Alexandre Desplat pour Le Château des singes (1999), Bruno Coulais appelé en Californie par le génial Henry Selick pour Coraline (2009), Sophie Hunger pour Ma vie de courgette (2016), Laurent Perez del Mar pour La Tortue rouge (2016), Ludovic Bource pour Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? (2022)… À la charnière des deux siècles, si les films ont gagné en maturité avec des sujets davantage liés à la société, à l’histoire, aux différences culturelles, parfois même à la géopolitique, si la révolution numérique a réinventé les techniques d’animation, les problématiques liées à la bande originale n’ont pas forcément changé. À quel moment le cinéaste doit-il commencer à «penser musique» ? Des maquettes des thèmes clé sont-elles impératives en amont de l’animatique ? Comment trouver la bonne médiane esthétique, le langage juste, avec une partition lisible, compréhensible par des publics de tous âges ?

 

Pour répondre à ces questions, la rituelle Leçon de musique du Fema propose une formule au concept inédit. À la place d’un hommage à un compositeur, vivant ou disparu, c’est une interrogation essentielle qui s’impose en thématique : «Comment écrire pour le cinéma d’animation ?» Avec notamment deux compositeurs.trices du nouveau monde, l’Uruguayenne Florencia Di Concilio, découverte avec le renversant récit d’apprentissage Calamity de Rémi Chayé (2020), où elle détourne les codes liés à l’Ouest américain. Et le Français Clément Ducol avec l’ambitieux Linda veut du poulet ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach (2023), partition aux sentiments mélangés, à la fois intérieure et très rythmique, chapitrée par quatre chansons originales.

 

Milan Kundera écrivait : «La mission du roman, c’est d’exprimer ce qu’il est le seul à pouvoir exprimer.» Avec nos invités, nous pourrons décliner cet aphorisme, le variationner : «La mission de la musique dans le cinéma d’animation, c’est d’exprimer ce qu’elle est la seule à pouvoir exprimer.»