Pendant dix ans, de 1965 à 1975, François de Roubaix a été l’un des plus fascinants compositeurs du cinéma français. Chez lui, il n’y avait pas de frontière entre la vie et la création. Son existence pivotait autour de trois éléments-clés (la musique, la mer, les copains), que l’on retrouve dans les films de ses deux metteurs en scène fétiches, Robert Enrico et José Giovanni, nourris d’amitié et de grand large. Cette fascinante imbrication entre la réalité et le cinéma donne une dimension unique, presque mythique, à la fulgurante trajectoire de François de Roubaix, compositeur-aventurier épris d’océan et de fraternité.
Fils du producteur de films institutionnels Paul de Roubaix, François se prend très jeune d’une double passion pour le cinéma et la musique, qu’il apprend et pratique de manière autodidacte. Cette formation donne à son écriture une formidable impulsion de liberté. Liberté dans la façon de jongler avec l’harmonie et la tonalité, liberté d’instrumentation, liberté dans la confection même de ses partitions. En 1965, Robert Enrico lui offre son baptême de long métrage avec Les Grandes Gueules. Dès cet opus fondateur, la camaraderie virile, l’âpreté des sentiments, l’exotisme du cadre posent les premiers jalons d’une atmosphère musclée qui imprègnera les futurs films d’Enrico, puis ceux de Giovanni. D’emblée, la musique de François de Roubaix est indissociable de cet univers. Pendant dix ans, il va inventer un nouveau son au cinéma français, aussi bien pour ses deux mentors (Les Aventuriers, Dernier Domicile connu, La Scoumoune) que pour des cinéastes comme Yves Boisset, Jean Herman, Jean-Pierre Mocky, le vétéran Julien Duvivier ou encore Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, sans doute le meilleur film du compositeur). Artisan, pionnier et bricoleur de génie, de Roubaix aménage très tôt un home-studio dans son appartement haussmannien de la rue de Courcelles, avec un magnétophone huit-pistes, un orgue et deux synthétiseurs. Il s’enflamme pour l’association instruments acoustiques / électroniques et les multiples combinaisons qui en découlent. Comme un peintre qui joue avec ses couleurs, François s’amuse à marier le synthétiseur avec la guimbarde, l’ocarina péruvien ou le balafon. « Ma démarche, insiste-t-il, c’est de fusionner deux genres, musique traditionnelle et musique électronique. J’essaye de jeter une passerelle entre le folklore et la recherche. »
Le temps va lui manquer pour aller plus loin : de Roubaix ne remontera jamais d’une plongée sous-marine, en novembre 1975, aux Canaries. Pascal Jardin écrira : « La mer et ses mystères ont eu raison de lui. » En avril 1976, le premier César de la Musique de film lui est décerné à titre posthume pour l’iconique partition du Vieux Fusil, avec son dialogue entre deux pianos, l’un symbolisant Romy Schneider, l’autre Philippe Noiret. En 2019, François de Roubaix aurait eu quatre-vingts ans. Pour célébrer cet anniversaire, le Festival La Rochelle Cinéma réunit Fred Pallem, l’un de ses brillants héritiers, et Serge Korber, cinéaste de L’Homme orchestre, ébouriffante comédie musicale pop, d’ascendance psychédélique. Tous deux évoqueront sa modernité, confirmée par les artistes du Nouveau Monde qui revendiquent leur filiation à grand renfort de samples et remixes. « De Roubaix, résume Korber, c’est comme Rimbaud ou James Dean : le passage d’un ange. »