Leçon de musique Jean-Claude Petit

Stéphane Lerouge

« Composer pour le cinéma, c’est le moyen de vivre de la musique, d’avoir des contacts humains enrichissants, de s’exprimer dans des langages qui ne peuvent être explorés ailleurs. Qui aujourd’hui, sinon le cinéma, peut m’offrir la possibilité de composer un jour une musique d’inspiration Renaissance et, le lendemain, une partition frontalement contemporaine ? On se glisse dans un costume, à la manière d’un comédien. » Voilà les mots qu’utilise Jean-Claude Petit pour résumer sa relation incandescente avec le cinéma. Avec Gabriel Yared, il incarne une nouvelle génération de compositeurs pour l’image, apparue au tournant des années 1980. Pourtant, quand il aborde son premier long métrage en 1982 (avec » Vive la sociale ! » de Gérard Mordillat), il a déjà (quasiment) vingt ans de métier au compteur. « À quarante ans, plaisante-t-il, j’étais un jeune compositeur de cinéma et un vieux professionnel de la musique. » Une allusion à sa première vie professionnelle, celle d’arrangeur-vedette de la variété des années soixante-dix : pendant quinze ans, il habille orchestralement les albums de Mort Shuman, Gilbert Bécaud et, surtout, Claude François et Julien Clerc. À l’approche de la quarantaine, Petit prend le risque d’un choix de carrière radical : du jour au lendemain, il tourne le dos à la chanson au profit du cinéma.

Son premier grand coup d’éclat cinématographique, c’est évidemment le diptyque de Marcel Pagnol mis en images par Claude Berri, « Jean de Florette » et « Manon des Sources », en 1986. En s’appuyant sur les sept premières notes de l’ouverture de « La Force du destin », l’opéra de Verdi, Petit développe une vaste partition, où émergent l’harmonica de Toots Thielemans et quelques clins d’œil au folklore provençal. «  »Jean de Florette » n’est pas un simple drame méridional, précise le compositeur. C’est une tragédie que la musique doit tirer vers une forme d’universalité. » Le succès international des deux films sert de carte de visite à Petit, tout en conditionnant son image. En l’occurrence, celle d’un compositeur d’inspiration classique ou néo-classique, particulièrement doué pour réinventer le passé. Image confortée par son éclatante collaboration avec Jean-Paul Rappeneau sur « Cyrano de Bergerac » dont la bande (très) originale, en équilibre entre musique baroque, romantique et d’aujourd’hui, lui vaut une pluie de récompenses. Après la trompette sur Gérard Dépardieu, c’est le cor soliste qui densifie le personnage d’Angelo-Olivier Martinez dans « Le Hussard sur le toit ». « C’est aussi cela, la musique au cinéma : l’art du supplément d’âme », résume Petit. Dès lors, on ne compte plus les films d’époque sur lesquels apparaît la signature de Jean-Claude Petit, aussi bien en France qu’en Angleterre, aux côtés de Richard Lester ou Ken Russell. Cette étiquette « de compositeur de productions historiques, à dimension patrimoniale », à la fois assumée et jugée réductrice par l’intéressé, camoufle d’autres versants de sa personnalité, sans doute plus secrets, sinon plus personnels. Ecoutez par exemple la fêlure de l’harmonica du bluesman Jean-Jacques Milteau sur le visage de Sami Frey dans « En compagnie d’Antonin Artaud » de Mordillat. Ou la partition du « Zèbre » dont l’humour triste éclaire d’un élégant désespoir les images de Jean Poiret. On en retrouve des traces chez des auteurs-cinéastes du nouveau monde (Alexandre Jardin, Yann Moix, Valérie Guignabodet), venus à Jean-Claude Petit précisément pour retrouver cette « ligne mélancomique ». « Voilà trente ans que j’écris pour le cinéma et je ne suis pas blasé par l’exercice, affirme l’intéressé, dans un sourire. Car pour moi, la musique de film est définitivement la forme d’expression idéale pour faire la synthèse entre mes différentes cultures. Si vous voulez en être convaincu, jetez une oreille à la partition de « Cyrano de Bergerac » de Jean-Paul Rappeneau. » Le cinéaste sera d’ailleurs présent sur scène pour analyser l’alchimie du dialogue metteur en scène-compositeur, deux artistes d’expressions différentes. L’occasion pour Jean-Claude Petit de montrer, à l’aide d’un piano et d’extraits de films, à quel point la musique est une forme d’écriture du cinéma.