Leçon de musique Bruno Fontaine

Stéphane lerouge

« Dès les premiers courts métrages d’Alain Resnais, il y a une œuvre musicale cohérente qui se dessine, malgré la disparité des musiciens. Tous se sont calés dans un moule, le sien. On peut vraiment parler d’une ligne Resnais. Cette ligne, elle ne se situe pas dans une thématique mais davantage dans sa manière d’aiguiller ses compositeurs. Car sa méthode s’avère assez perverse, presque hypnotique. Il vous fait croire que vous avez carte blanche, puis se révèle d’un interventionnisme exquis et invisible, d’une fermeté enrobée de miel. » Voilà les mots qu’utilise Bruno Fontaine pour dresser le portrait musical d’Alain Resnais, cinéaste mélomane ou mélomane cinéaste, auquel le relient deux opus majeurs, On connaît la chanson et Pas sur la bouche. Quand, sous l’impulsion de Lambert Wilson, Alain Resnais débarque dans la vie de Bruno Fontaine, ce dernier est alors un jeune compositeur, arrangeur, chef d’orchestre et pianiste du nouveau monde. Leur amitié se soude autour d’un goût partagé pour la musique moderne… et pour la personnalité non conventionnelle de Stephen Sondheim, légendaire auteur-compositeur de Broadway, qui a mis en musique le Stavisky de Resnais. « ll était logique qu’ils finissent par se trouver. Car le langage de Sondheim ressemble à celui de Resnais : une ligne de chant claire, qui parle au cœur, aux sentiments, mais troublée par un dispositif harmonique culotté, bousculé, parfois dissonant. C’est un principe d’écriture qui est aussi le mien. J’ai donc la fierté de faire partie des compositeurs qui, auprès de Resnais, ont succédé à Sondheim… mais aussi à Georges Delerue, Krzysztof Penderecki, Miklos Rozsa. »

C’est à la fois pour saluer la mémoire du metteur en scène, disparu en mars dernier, mais aussi pour nous parler de son rapport intime à l’image que Bruno Fontaine est l’invité cette année de la rituelle leçon de musique du Festival de La Rochelle. D’une certaine façon, son goût et son ouverture d’esprit pour la musique classique, la seconde école de Vienne, la variété, le jazz, la comédie musicale le prédestinaient à écrire pour le cinéma, solution idéale pour effectuer la synthèse de ses différentes cultures. Sans parler d’une passion boulimique pour le patrimoine de la musique de film, sur un éventail allant de Nino Rota à Georges van Parys, de Bernard Herrmann à René Cloërec, le compositeur fétiche de Claude Autant-Lara. Avant de rencontrer le cinéma, Bruno Fontaine s’impose comme un arrangeur et pianiste surdoué, capable de s’immerger dans les univers en contraste de Johnny Hallyday, Ute Lemper, Mylène Farmer, Julia Migenes, Lambert Wilson, les Rita Mitsouko… Son travail d’adaptation musicale et de composition originale sur On connaît la chanson va déclencher des collaborations avec Pascal Bonitzer, Noémie Lvosvky, Eduardo de Gregorio et, surtout, Jeanne Labrune sur trois fantaisies douces-amères, en correspondance avec les mélodies allègres et grinçantes du musicien : Ca ira mieux demain, C’est le bouquet et Cause toujours! La cinéaste sera d’ailleurs présente sur scène pour analyser l’alchimie du dialogue metteur en scène-compositeur, deux artistes d’expressions différentes. L’occasion pour Bruno Fontaine de montrer, à l’aide d’un piano et d’extraits de films, à quel point la musique est une forme d’écriture du cinéma.