Mardi 5 juillet

Remparts d'argile - Une de l'éphémère 4

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

14h30 : Séance Braquage « Autour du burlesque » présenté par Sébastien Ronceray / Salle bleue

16h : C’était la guerre de Maurice Failevic présenté par le réalisateur / Médiathèque Michel-Crépeau

16h15 : Rencontre avec Bertrand Bonello / Théâtre Verdière

17h15 : La Chasse de Erik Løchen présenté par Joachim Trier / Dragon 1

20h15 : Soirée CCAS : Dad de Vlado Skafar présenté par le réalisateur et la CCAS/CMCAS / Grande salle

22h : passage unique de Avé de Konstantin Bojanov présenté par Xavier Hirigoyen / Dragon 5

Edito

par Benjamin Hameury

Dans le désert, un homme de cent-dix ans s’approche brusquement de l’objectif et demande « C’est toi ? C’est toi le Diable ? » Plus aucune frontière dans ce paysage défriché, on semble assister à une nouvelle naissance : le cinéma de Rulfo et ses compatriotes mexicains ne s’apparente à aucune manière de faire, il dérange et ébahit par son caractère à la fois extrêmement frontal, brut, et cependant insaisissable, car la place est désormais laissée au récit, à sa marque silencieuse sur l’espace. Des suites de visages maquillés, meurtris, burinés, exaltés par l’importance de l’histoire à raconter créent en nous un soulagement déchirant. Voilà donc, dans l’un de ces pays « en voie de développement » l’avenir du cinéma. « En voie de développement », appellation péjorative qu’il nous faut absolument détourner : accueillons avec joie ce cinéma « en voie de développement » justement, ouvrons-lui les bras et souhaitons qu’il le reste encore longtemps. Plus de références, plus de repères, nous voilà lâchés nus dans le désert, et bienheureux, sans doute. Le cinéma se renouvelle pour ceux qui continuent de le découvrir, il se fait moins ici que là-bas, et le Festival de La Rochelle, chaque année, est là pour nous le rappeler : sortez. Sortez de votre soidisant culture, prenez donc des risques. Entrez donc dans les salles, vous ne pourrez que mieux en sortir.

Bas les masques – Entretien avec Marc Lathuillière

Marc Lathuillière sera en résidence au Festival en 2011-2012.

Comment es-tu devenu photographe ?

J’ai d’abord été reporter politique étrangère. Je partais pour faire du texte, avec des photographes. Je les ai observés, j’ai essayé de les imiter, et puis je n’étais pas très bon donc j’ai laissé tomber. Et puis c’est revenu en 2003, qui est vraiment le début de mon parcours d’artiste. J’ai fait un jeu photographique quand je vivais en Corée du Sud. Je travaillais pour la radio coréenne, et j’ai eu un gros choc culturel. Ça m’a donné une problématique pour aborder ce pays, voir l’image qu’il voulait donner de lui-même, et l’image qu’on en avait à l’extérieur, ou qu’on n’avait pas, parce qu’on n’a pas beaucoup d’images de la Corée du Sud. Autour de ce malentendu et à partir de ce côté un peu carte postale, j’ai fait une première série qui s’appelait Transkoreana.

Parle-nous du projet développé pour La Rochelle.

Portrait Marc LathuillièreIl est né juste au retour de Corée en 2004. J’avais une espèce de rejet de la France. Je m’y ennuyais un peu on va dire… Je m’intéressais plutôt aux identités autres et à la manière dont on les percevait. Quand je suis rentré, j’ai eu un choc culturel, mais inversé. C’est de là qu’est née ma problématique avec la France. Je me suis senti complètement étranger, et en même temps, j’avais besoin de renouer avec la France et avec ses côtés les plus traditionnels. Tout Français a un petit paysan en soi, même s’il est né en ville. Je suis arrivé à Paris complètement largué, et je suis parti quelques jours à Noirmoutier, dans la résidence secondaire de mes parents. J’ai retrouvé mon petit terroir. La qualité de vie en Corée est extrêmement mauvaise, ça bosse ça bosse, et puis le cadre de vie est laid, et quand on rentre en France, wouah, il y a une qualité de vie qui est quand même hallucinante dans ce pays. On a un patrimoine complètement dingue quoi. En Corée, la guerre et le développement économique ont tout pété. Ou on leur a tout pété. Et puis je me suis dit : ouais mais en même temps, c’est un pays qui ne bouge plus. Rien n’a changé depuis que je suis parti. Et ça, ça m’a aussi inquiété, le rythme où se font les choses, ne serait-ce qu’au niveau économique ou artistique. On ne se rend pas compte à quel point on est un pays vraiment endormi, une espèce de Belle au bois dormant…

Comment as-tu eu l’idée du masque ?

Cette idée me trottait dans la tête, et j’ai commencé à faire des tests, à photographier des gens autour de moi en leur demandant de porter un masque, qui créé comme ça un point d’absence dans la photographie. C’était une France familière que je photographiais, et en même temps, il y avait un point d’étrangeté et d’inquiétude d’un pays extrêmement figé. Au début c’était vraiment le rapport des Français avec leur patrimoine qui m’intéressait, la volonté qu’on a de vouloir tout conserver. Y compris dans les attitudes : j’étais rentré depuis quinze jours, et une cousine organise une cousinale dans son jardin à Vincennes et hop : nappe à carreaux et chapeaux de paille. Et j’étais là : Mince ! Deux ans avant, ça ne m’avait pas frappé, et là, on était dans un Renoir ! A travers le filtre de l’impressionnisme, on rejoue une France qui nous rassure parce qu’on est inquiet sur l’avenir du pays. Et effectivement ce sont des moments très agréables et qui offrent une qualité de vie que les étrangers nous envient. Ils n’ont plus besoin d’aller au Musée d’Orsay.

Comment le projet a-t-il évolué ?

Ça fait maintenant 7 ans que je fais ça, et malgré tout, ce n’est pas aussi critique. C’est beaucoup plus nuancé… Il y a un aspect émerveillé dans le projet, pour deux raisons : la première c’est simplement que soit j’ai redécouvert des lieux que je connaissais, soit découvert des lieux que je ne connaissais pas. Du coup, ce qui était un projet artistique d’au revoir à la France, était une sorte de retrouvailles. Je découvre des activités et des personnes qui sont géniales. C’est une France de Cocagne que je photographie. On ne peut pas empêcher qu’il y ait des images avec des bons jambons… Ça veut dire que moi aussi j’ai aimé ce que j’ai vu. Donc on est vraiment en tension entre l’émerveillement et l’inquiétude, c’est pour ça que l’image de la Belle au bois dormant est juste …

Sur quoi vas-tu te concentrer à La Rochelle ?

Avec le Festival, c’est un exercice qui reste beaucoup plus expérimental. A mesure que le projet avançait, je me suis dit : quels sont les éléments culturels qui sont aujourd’hui très vivaces dans la culture française ? J’en ai trouvé trois : cinéma, mode et gastronomie. Le cinéma, j’ai commencé par Cannes. Je voulais voir les sirènes du monde médiatique, travailler l’idée de la représentation. À La Rochelle, je vais m’intéresser aux réalisateurs, aux comédiens, à tous les métiers liés au Festival. Il y a aussi cette idée de photographier un festivalier, c’est très français la cinéphilie. En ce qui concerne la ville même, je vais d’abord m’intéresser aux monuments traditionnels et patrimoniaux. Je trouve que la ville a la même identité que mon parcours. C’est une ville qui historiquement est très tournée vers l’extérieur. Ça se traduit aujourd’hui par une politique culturelle très dynamique et ouverte vers le monde, avec beaucoup de festivals. En même temps, on ne peut pas s’empêcher de voir que c’est quand même une petite ville idéale, très française avec une identité très terroir. Cette double identité de la ville m’intéresse. Par ailleurs, j’ai toujours vachement aimé L’Odyssée. Ce qui m’a frappé quand je l’ai relu, c’est qu’on ne retient que le voyage, or, la moitié du livre est « Ithacocentrée ». Dans la réinterprétation qu’en fait Joyce, on a le même déséquilibre. D’où l’idée d’utiliser le mythe d’Ulysse comme moyen de mettre en scène l’identité de La Rochelle.

Propos recueillis par Viviane Saglier

Nom de ville : la ville

Mireuil Meanders

Andrew Kötting qualifie lui-même son film Mireuil Meander de « balade dadaesque ». Mais alors que Marcel Duchamp désacralisait la Joconde en lui apposant une moustache et la peu respectueuse légende « L. H. O. O. Q. », Andrew Kötting utilise la narration en voix off de son guide pittoresque pour au contraire hisser la ville de Mireuil à hauteur du mythe. La promenade devient exploration d’une nouvelle Histoire en train de se construire, au fur et à mesure des jeux de mots et des signes visuels. Une cabane pour enfants devient « un pigeonnier pour adolescents en mal d’adolescence », le HLM dénommé Emile Zola est l’occasion de situer la naissance de l’écrivain à Mireuil, tandis que le bâtiment « Jean Manet » devient le repère de Monsieur Pinceau et Madame Palette.

D’associations d’idées en associations d’idées, la représentation de la ville se pare d’une aura nouvelle, qui se juxtapose aux autres images que la ville de Mireuil elle-même propose : des couvertures de magazines en vitrine des Tabacs, des graffiti sur les bancs, des peintures murales, qui sont autant de productions d’un art du quotidien. A ces deux imaginaires de la ville enfin se confronte la vision de Sebastian Edge, compagnon de travail de Kötting et photographe original, dont les travaux issus d’un goût pour les techniques anciennes de photographies sur verre ponctuent le récit de l’histrion narrateur. Trois visions, disséminées comme un puzzle, que l’on reconstitue comme on assemble des lettres pour former des mots. Chez Kötting, les méandres des images sont toujours solidaires des labyrinthes langagiers. Le parler de son guide renferme tout un univers, tout comme celui des quatre intervenantes du début, qui déforment avec autant de délectation qu’elles en ont eu à le prononcer le mot « autochtone ». Chaque individu a sa langue et son propre pays intérieur, et c’est à Kötting de rassembler le tout dans un montage de grand magicien, pour faire surgir Mireuil d’entre les méandres.

Viviane Saglier

Hommage au père

Juan Carlos Rulfo est le fils de Juan Rulfo, célèbre écrivain mexicain dont le très troublant roman Pedro Páramo, voyage halluciné entre les témoignages des morts et des vivants, reste une grande date dans la littérature mexicaine. Le premier long-métrage du fils se propose d’explorer la région natale du père, Jalisco, qui a fortement influencé le décor de Pedro Páramo. Entre visages et paysages hantés.

Dans votre film Del olvido al no me acuerdo, on rencontre plusieurs personnes aux témoignages épars, souvent poétiques et confus. Aviez-vous une idée de départ, un scénario, ou le film s’est-il construit au fur et à mesure ?

Juan Carlos Rulfo

C’était une sorte de recherche. Quel genre de personnes y avait-il dans ces endroits ? Et qui pouvait bien parler de mon père ? Car personne ne parle de lui là-bas, et je me sentais comme un enquêteur, ou quelque chose comme ça : il me fallait une information. Le problème, quand tu cherches quelque chose de précis, c’est que tu te retrouves vite perdu, car tout le monde te répond « Non, je ne le connaissais pas, non, j’ai oublié… » Donc j’ai décidé de ne pas le nommer, et d’écouter leurs histoires. J’essayais malgré tout d’avoir une ligne directrice assez mince, c’est l’histoire d’amour entre mon père et ma mère. Mais ma mère est perdue, on le voit bien, elle se demande « Mais où tout est passé ? » D’ailleurs, elle finit par dire à un moment « Juan était un rêve », et c’est pour moi toute l’idée du film : mon père n’est jamais évoqué directement, c’est un fantôme dont l’image transparaît à travers les histoires et les souvenirs. Tout peut être totalement vrai ou totalement faux.

En même temps tout est très concret, le film ne triche pas.

Exactement. Au cinéma, les faits sont les faits. C’est sans doute ce qu’il y a de difficile quand on passe d’un livre à un film. D’ailleurs mon père était aussi photographe, et au tournage je suis allé sur tous les lieux qu’il a photographiés afin qu’on retrouve sa marque dans le film.

Le montage du film est surprenant, car il évoque des procédés de fiction (sons aigus surnaturels, blanchissement soudain de la pellicule) alors que c’est un documentaire. Pourquoi ce choix ?

Parce que ce n’est pas un documentaire (il sourit). D’ailleurs je déteste les documentaires. Au final il y a un film : ce n’est ni un documentaire, ni une fiction, mais une manière d’explorer les choses. Jamais je ne pense « je vais faire un documentaire » sinon cela ramène tout de suite à une manière de faire très précise. Je trouve tous ces gens, je parle avec eux et j’essaie de leur faire raconter des histoires. C’est un hommage à eux, à leur incroyable manière de parler, et de se souvenir.

Propos recueillis par Benjamin Hameury

Family portrait

Las aguilas humanas

Le cirque est à la fois spectacle et quotidien : un quotidien de spectacle et un spectacle quotidien. La scène se nourrit des petits riens de chaque jour, et chaque jour de la troupe se construit par rapport à un univers personnel et un imaginaire véhiculé par la télévision. Ainsi, le numéro de clown des trois hommes de la famille des Águilas humanas rejoue les rapports de force qui structurent leur famille, mettant en scène la position subalterne du jeune frère de Bianca. A l’inverse, le frère et la soeur s’improvisent chanteurs en regardant des clips sur le petit écran de la roulotte.

Alors qu’Arturo Pérez Torres demande aux sujets mêmes du documentaire le regard qu’ils voudraient qu’on leur porte, la télévision, seule fenêtre ouverte vers l’extérieur dans ce monde autarcique, se pose d’emblée comme un modèle pour se raconter. Bianca s’invente un show qui lui serait entièrement dédié, tandis que le Monsieur Loyal réaffirme sa position double de narrateur, dont la voix off commente chaque étape du spectacle, et d’alter ego du réalisateur, qui prend la direction des acteurs que sont les spectateurs, amenés à applaudir aux moments clés de la soirée. Il imagine un film qui s’ouvrirait sur le grandiose du spectacle pour se poursuivre derrière le rideau de scène, et révéler la tristesse et la pauvreté des artistes. Arturo Pérez Torres va de fait suivre ce chemin, et construire tout son argumentaire sur cette opposition des paillettes et de la boue dans laquelle les femmes lavent le linge, tandis que les garçons se roulent dans les flaques.

Le documentariste délègue la construction du regard à la famille du cirque, donnant à ses personnages le contrôle de l’écran, recueillant les mises en scènes personnelles de chacun. Il va jusqu’à reprendre l’esthétique télévisuelle qui régit les rapports de la famille au monde, et présente les intervenants à la manière d’un soap opéra, l’un après l’autre, spécifiant les liens familiaux entre chacun. Mais ce point de vue, d’abord associé à la famille toute entière, se divise bien vite, et révèle les confrontations internes. Alors que les hommes insistent sur l’importance de la solidarité familiale, recueillant un père ingrat devenu entretemps unijambiste, ils essuient leurs colères sur leurs épouses sous les yeux de leurs enfants. Le spectacle du cirque est alors d’abord l’illusion d’une famille soudée par l’enthousiasme de Monsieur Loyal qui sert de lien aussi bien narratif qu’affectif. Les artistes de la troupe sont des conteurs qui ne croient plus à leurs histoires, et qui, ayant perdu foi en la famille, rêvent d’une nouvelle façon de conter, d’une nouvelle famille à rejoindre.

Viviane Saglier

Je m’installe tranquilement

Quelle est cette communauté livrée en pâture à la fiction ? Il s’agit de nous y installer, d’être à l’affût de ce monde étrange qui se présente à nous. Monde étrange et pourtant on ne peut plus concret, peuplade paisible dans un paysage défriché, hésitant entre hygiène de gated community et nature pleine, généreuse.

Les États nordiques, premier long métrage du cinéaste québécois Denis Côté, mêle fiction et documentaire en les opposant plus qu’en les harmonisant. Le personnage principal, en quittant sa sphère initiale pesante, en débranchant les câbles qui le relient à sa propre mort, décide de ne plus voir ce qui l’entoure à travers des vitres ou des images plastifiées (ce chat qu’il n’aura jamais), mais de véritablement se confronter au réel. Il est au fond l’incarnation du défi que se donne le film : dérouter la fiction, au risque parfois de la diluer complètement, dans le documentaire. Il faut affronter la matière, ne rien se dissimuler : se raser le crâne, oui, partir avec un fardeau. Ce corps dans le coffre n’est pas un passé à refouler mais plutôt un passé qui refoule, donc une épreuve à passer. Les cadavres chez Côté ne sont pas symboliques en cela qu’ils sont moins l’incarnation d’une culpabilité que de gigantesques objets en métamorphose… Des objets qui fascinent, pourrissent et sentent le danger, permettent peut-être une brèche dans les relations qu’on crée avec l’extérieur. Le film regorge de symboles autour de la chrétienté (le prénom du personnage principal, le Christ en bois cloué sur une croix en métal, la rencontre avec la soeur) qui pourtant sont réducteurs si l’on se rend bien compte de la sincérité totale du cinéaste, qui ne cherche pas à faire dans la métaphore, mais bien d’être à l’affût du moindre surgissement, du moindre froncement de sourcils. Dans ce combat-là, la fiction part peutêtre perdante. Christian est un personnage qui s’échappe. Issu malgré lui de la fiction, c’est toute sa « mission » d’y échapper, justement, d’échapper à la caméra en restant absolument lui-même, c’est-à-dire un être insaisissable comme les imaginait Bresson, une âme qui ne nous appartiendra jamais. Constamment, nous sommes trahis. Le bel homme muet que voici, le parricide ténébreux, voilà qu’on le surprend, ivre mort, à hurler « Baby ! » dans les toilettes avec un rire hystérique. Souvent même il nous laisse là, se fondant dans cette matière avec laquelle il souhaite tellement vouloir communier : son corps déformé et flouté par l’eau de la piscine, des gros plans chaotiques révélant des bribes infimes de son visage dans la scène du bûcher… « Il s’installe », comme il dit, « tranquillement ».

Les Etats nordiques

Il est désormais membre de la ville de Radisson, qui par un paradoxe inouï provoque en nous l’incertitude : existe-t-elle vraiment ? Doit-on croire à ces témoignages d’élèves ou du travailleur de la Baie James ? Au fond, doit-on répondre à cette question, veut-on réellement y répondre ? C’est un miracle, aujourd’hui, de voir encore des films qui créent l’incertitude plus qu’ils n’affirment quoi que ce soit, et c’est encore plus ahurissant quand cela se fait par des éléments simples. Simples au point d’en devenir déroutants : si Weerasethakul a eu l’idée géniale de sous-titrer les cris d’un singe, Denis Côté plaque un bref carton informatif sur fond de travelling forestier à propos de la ville de Radisson : historique, nombre d’habitants… Si on est vraiment curieux, on ne cherche pas à vérifier ces informations. On préfère y croire, au fond, on préfère planter les pièces dans les trous. Voilà la revanche de la fiction.

Benjamin Hameury

Le temps perdu

Oslo 31 Aout

Oslo, 31 août. Un lieu, une date, le titre résonne comme un journal intime. Il fait aussi de la capitale de la Norvège son personnage principal, et promet d’en dresser un portrait intimiste. La promesse est tenue, mais le tableau ne s’attarde pas tant sur l’environnement que sur celui qui le révèle à lui-même : Anders qui, sorti d’un centre de désintoxication, marche sur les traces de sa vie d’avant. Oslo, c’est lui, ce beau fantôme mélancolique qui esquisse des sourires désarmants de lassitude en se trainant de souvenir en souvenir, figé dans sa dégaine d’adolescent. Figurer le temps qui a passé, telle est alors la vraie gageure du film.

Dans une errance faussement ordonnée, Anders rejoue les expériences fondatrices d’une vie : la paternité, à travers celle de son meilleur ami ; l’enfance atrophiée, alors qu’il ne réussit pas à voir sa soeur ; la découverte de la sexualité, qui n’aboutit pas malgré le désir de sa jeune conquête ; l’amour déçu, dans ses retrouvailles avec une ancienne partenaire au couple instable. Mais tous ces moments respirent l’inachevé, et l’échec de créer une histoire positive : l’échec de créer un présent.

Cette déambulation devient alors un beau moyen cinématographique pour concentrer toute une vie dans l’espace-temps de la journée et des déplacements que cette durée permet. Joachim Trier évite de fait de recourir à l’artifice du flashback, s’inscrivant ainsi dans l’esprit du Dogme de son lointain cousin Lars Von Trier, mais aussi dans celui de la Nouvelle Vague à laquelle il rend hommage, adaptant, comme Louis Malle avec Le Feu Follet, le livre éponyme de Drieu la Rochelle. L’espace physique et l’espace mental, ainsi enchevêtrés de façon si profonde qu’il en devient impossible de les dénouer, tissent par là même le passé et le présent. Pour le féru de littérature française qu’est Joachim Trier, il n’est pas inconvenant d’évoquer Proust. Comme Marcel dans La Recherche, Anders cherche le secret du temps. Mais le présent lui échappe, sa parenthèse sociale dans le centre de désintoxication ne lui permet pas de créer la continuité avec le passé qui rend possible la prise de conscience du présent. Plus que perdu dans la ville après avoir vécu reclus pendant des années, Anders est perdu dans le présent.

Viviane Saglier