« Toi, tu es comme moi, dit la petite fille de onze ans à son père dans a Fille de 15 ans) sans trahison ni manipulation (les manipulations, on soupçonne qu’il les réserve aux adultes – mais les adultes adorent ça, jouer à manipuler et à être manipulés : c’est d’ailleurs un des leitmotiv vertigineux de toute son œuvre).
Les acteurs sont la terreur incarnée pour tout le reste du cinéma moderne, pas pour lui. Si tant d’autres n’osent pas travailleur l’acteur de front, l’interroger sous toutes ses facettes, c’est sans doute par crainte que l’acteur ne ramène le film sur les rives un peu molles du naturalisme. Ou sur celle, terrible, du théâtre. Doillon entend la question autrement ; sans doute parce que lui, le gosse du XXe, autodidacte et amoureux des westerns de série B, descendait en fait de Guitry. Disons tout du moins qu’il a su très tôt ce truc que savait aussi Eustache (qui l’avait lu chez Jouvet) : « Au théâtre on joue, au cinéma on est joué… » Le temps, la répétition, la reprise, le bégaiement jusqu’à l’animalité, les 70 prises en moyenne (économie Doillon : peu de lieux, trois acteurs pour chiffre magique, et le reste de l’argent pour pouvoir faire un nombre de prises qui lui semble suffisant…) pour transformer le naturalisme en un animal sauvage, mettre le théâtre en état de crise, le saisir à la gorge, voir les mots se déverser jusqu’à ce que la source se tarisse, et que tout ce qui a été dit se cogne à la vitre d’un moment pas comme les autres. Chaque situation réinvente ses mots, ses attaques. Ce qui est beau, au fond, chez Doillon c’est qu’il reste de la méchanceté. Pas envers l’autre, ça non : jamais ; C’est le jeu qui est méchant, dangereux. En amour, on va au feu. Les criminels ne sont que de circonstances. Ce sont plutôt des fugueurs. Qui entre eux finissent bien, un moment ou un autre, par se croiser. On s’appuie contre un mur, on voudrait sortir du champ, on rage d’en être exclu par les deux autres, on voudrait dégager cette tierce présence qui encombre la valse à deux qui commence : ah oui, on ne vous a pas dit, ses films ne parlent que de ça : des « threesome » en puissance. De nous, déguisés en pirates, en drôle ou en drôlesse, nous puritain ou nous comédie, nous donnés au premier venu, nous qui pleure et nous qui rie, nous en petit criminel, nous vengeance.
Merde alors, il faut de la peur et du vertige pour faire du cinéma.