Mardi 30 juin

Eggs

Deux frères, deux vieux garçons qui vivent dans un Nord de neige (enneigé) où tout est programmé, à sa place, répété inlassablement chaque jour.

Eggs

Deux frères, deux vieux garçons qui vivent dans un Nord de neige (enneigé) où tout est programmé, à sa place, répété inlassablement chaque jour. Un film où il ne se passe presque rien de la première à la dernière image, un minimalisme de type musical répétitif, jouant sur l’absurde, non de situation, mais par rapport au décalage avec le vide et la norme : l’escalier dont les marches sont en quinconce, la chemise du frère dont les carreaux sont identiques au papier peint et à l’intérieur de sa valise la vieille TSF qui émet la même chanson des Beatles dans toutes les langues.
Ces deux frères qui font penser à un Monsieur Hulot qui regarderait Monsieur Tati dans un miroir avec son éternelle pipe, ses maladresses et son air benêt multiplié par deux.
Une scène d’anthologie : l’arrivée du fils inconnu dans une chaise roulante qui descend lentement de la camionnette pendant qu’un reporter commente les premiers pas des Américains sur la lune à la radio.
Ce fils, muet, paralysé, qui s’exprime en poussant un cri unique, ne consomme que les milk-shake à la banane et fait collection d’œufs qu’il glisse dans sa bouche avant de se chronométrer en apnée dans son bain… Un Film d’Art et d’Essai dans toute l’acception du terme.

Aliénor Ballangé

 SER-VICE autour de The Servant de Joseph Losey (1963)

Joseph Losey a beau partir d’une idée simple, celle d’un aristocrate anglais engageant un domestique pour satisfaire son bien-être, il donne à The Servant (1963) une tonalité générale bien loin du cosmétique et des productions sans saveurs. Le film relate la trajectoire dramatique d’un duo masculin, formé de Dirk Bogarde et James Fox, qui évolue dans le sens d’un renversement des statuts sociaux ; le maître devient progressivement l’esclave. On peut y voir l’image de la décadence d’une certaine classe sociale, enlisée au sein du désoeuvrement. La virtuosité de la mise en scène réside dans sa capacité à refléter l’ambiguïté des sentiments, plongeant le spectateur dans un malaise face aux vices opérés par le « domestique». Comme souvent chez Losey, tout se situe sur le plan d’une indécision ontologique, c’est-à-dire de la tombée fatale dans la subversion. Les miroirs sont là pour éclairer la déchéance ; ils deviennent des acteurs du film plus que de simple objets du décor. Hypnotiques, ils enferment les personnages dans une cellule infernale où les masques et les mensonges triomphent. Bientôt, l’oppression s’intensifie jusqu’à faire des protagonistes des animaux en cage, une situation où se joue un tour de passe-passe continu entre le bourreau et la victime. Le spectateur suit le cheminement incertain du respect vers la haine, de la fierté vers l’humiliation.
Le regard de Losey perce l’intimité et les désirs. Le cinéaste peint avec acuité la face cachée du monde, où les conventions côtoient l’immoral et où la soumission devient la règle.

Mathieu Lericq

Interview de Vincent-Paul Boncourt

Vincent Paul-Boncourt, co-fondateur de Carlotta Films et fondateur de Bodega Films, accomplit un travail précieux et rare dans la distribution cinématographique en France. Depuis quelques années, il s’occupe de la ressortie sur les écrans de chefs-d’oeuvre plus ou moins connus du grand public, comme Le Petit Fugitif (Ray Ashley, Morris Engel et Ruth Orkin, 1953) ou L’Aurore (F.W. Murnau, 1927). Cette année au Festival, nous avons la possibilité de découvrir l’étendue de son entreprise au travers de la projection des Vacances de M. Hulot (Jacques Tati, 1951) et d’Affreux, sales et méchants (Ettore Scola, 1976). A noter également la diffusion du film Ander (Roberto Castón, 2008), distribué par Bodega Films. L’Ephémère l’a rencontré pour en savoir un peu plus sur sa démarche de distributeur.

Pouvez-vous nous donnez les grandes lignes du rôle et du travail d’un distributeur ?

Vincent Paul-Boncourt : Pour être schématique, le distributeur est l’intermédiaire entre un producteur et / ou un vendeur de films et l’exploitant, en l’occurrence la salle de cinéma. C’est lui qui va faire tout le travail autour de la sortie du film pour le faire exister aux yeux de la profession ainsi qu’à ceux du public à travers un travail de presse, de communication, de publicité. Nous sommes en quelque sorte le passeur entre le producteur et le public. On dit souvent que la distribution est le maillon le plus fragile de l’ensemble de la chaîne puisque le distributeur dépend du succès ou non d’un film, sous tous ses aspects humains et financiers. Il y a donc un côté très aléatoire, une énorme part d’inconnu dans ce métier, dans la mesure où c’est véritablement le public qui décide et qui rentabilise l’action.

Vous êtes à la fois gestionnaire, co-fondateur de Carlotta et restaurateur passionné d’un certainpassé cinématographique : comment faites-pour allier ces deux univers, a priori si différents ?

V. P-B. : En fait ces deux univers sont étroitement liés. Nous travaillons sur les deux tableaux artistique et économique ; or, pour faire exister tout cela, aussi bien aux yeux du public qu’à ceux de la profession, cela implique de gros investissements et des exigences de rentabilité. Mais ce qui nous intéresse avant tout, c’est ce travail de fond sur la valorisation du patrimoine cinématographique, auprès de publics et de générations différentes, pour être au coeur de la transmission. L’une de nos missions est de toucher le jeune public pour l’inciter, par exemple, à voir des oeuvres comme Le Petit fugitif 1 En ce qui concerne Carlotta, la société a été créée il y a onze ans avec un associé, Jean-Pierre Gardelli, qui est exploitant dans le sud de la France. Notre souhait a été de nous positionner sur un cinéma récent des années 1970 et 1980 qui était peu crédité à l’époque, et un travail à destination du jeune public, au travers de films des années 50 à nos jours, ainsi que des drames et des films d’aventure.

Est-ce la première fois que vous venez au FIFLR ? Quel lien entretenez-vous avec ce festival en particulier, et avec les festivals de cinéma en général ?

V. P-B. : Non, ce n’est pas la première fois ! Nous venons à titre professionnel depuis longtemps pour montrer des films comme Les Vacances de M. Hulot, ou Affreux, sales, et méchants, projetés cette année. Mais je connaissais personnellement le Festival en tant qu’étudiant cinéphile, et ce bien avant la création de Carlotta. Il y a beaucoup de festivals en France qui projettent des rétrospectives, et nous y participons le plus souvent possible; que ce soit pour des festivals importants comme La Rochelle, ou Cannes, ou pour d’autres, plus régionaux, qui accordent une place primordiale à la transmission. Affreux, sales et méchants rentre dans une thématique que nous développons depuis plusieurs années : un travail sur le cinéma italien qui rassemble de grands auteurs comme Pasolini, des comédie des années 60, et des vedettes connues comme Marcello Mastroianni, Sofia Loren, Anna Magnani, qui correspondent à l’air du temps.

Quels sont vos projets ? Pensez-vous à nouveau vous concentrer sur une filmographie particulière comme cela a été le cas avec Pasolini ?

V. P-B. : Je dis souvent qu’avec les Grands Auteurs, on croit avoir tout fait, et finalement on découvre toujours des choses nouvelles. Pour Pasolini, on a ressorti des documentaires rares comme Carnet de notes pour une Orestie Africaine. On travaille également sur des thématiques de films étrangers : les cinémas allemand (Fassbinder plus particulièrement), italien, japonais, américain, tout en essayant d’aller vers d’autres horizons, comme la restauration de films. Il y a une telle richesse à explorer dans les oeuvres connues ou inconnues que c’est un travail sans fin et très satisfaisant.

Propos recueillis par Aliénor Ballangé

1 / Réalisé par Ray Ashley en 1953

Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman (1975)

Pour éviter la prison, Randle McMurphy (Jack Nicolson) simule la folie et se fait enfermer dans un hôpital psychiatrique de l’État de l’Oregon. Les patients sont soumis aux règles rigides de l’établissement, dirigé par l’intransigeante infirmière Ratched (Louise Fletcher). Mais bientôt l’anticonformiste et insoumis Mc Murphy fera tout pour torpiller le système en prenant la tête d’une révolte qui redonnera un éphémère souffle de liberté aux internés de la structure psychiatrique.

Tiré du roman éponyme One Flew over the Cuckoo’s Nest écrit par Ken Kesey en 1962 et adapté pour le théâtre par Dale Wasserman l’année suivante, le film de Forman dénonce âprement une société craignant et stigmatisant la diversité. Il permet ainsi de toucher aux thématiques chères au réalisateur: la diversité, l’anticonformisme, la marginalité. Le personnage de Mc Murphy, qui amène les patients à l’éveil et à la prise de conscience, est le symbole de l’opposition aux règles rigides imposées par les institutions et aux mécanismes d’oppression qui relèguent les plus faibles aux marges de la société. A coté de Mc Murphy, un des personnages centrales du film est l’indien d’Amérique nommé Chef Bromden. Sa présence crée un lien symbolique entre son territoire occupé et l’hôpital psychiatrique permettant de comparer l’isolement des malades mentaux à celle des derniers indiens d’Amérique, et d’y voir l’univers psychiatrique soumis aux mêmes lois du racisme.

Noemi Didu

Débarquement

Fraîchement importés de la célèbre ville de Dreux, nous sommes une quinzaine de lycéens d’option cinéma audio-visuel qui rendons visite au festival de la Rochelle cette année. Qu’il s’agisse de ceux d’entre nous qui le découvrent ou de ceux qui y reviennent, et qui l’an passé ont découvert avec bonheur Danielle Arbid, Mike Leigh, les Stévenin ou Nicholas Ray, nous sommes tous aussi enthousiastes à l’idée de pouvoir participer à cette grande fête du cinéma. De plus, nous allons avoir l’occasion de nous exprimer sur les films et les rencontres qui nous ont marqués dans votre Ephémère préféré. D’ores et déjà, nous attendons avec impatience de voir et revoir des Fritz Lang sous hypnose avec des garçons aux cheveux verts qui volent au dessus des nids de coucous. Et de faire connaissance avec Jacques Doillon, Bent Hamer et Nuri Bilge Ceylan. Et puis, pour ne rien vous cacher, La Rochelle, pour nous, c’est le hall démesuré de la Coursive, le planning géant, les pâtes dévorées entre deux séances, les joies du camping et de la navette qui nous fait traverser le port et les inconnus qui commentent les films dans les files d’attente… Et c’est aussi les vacances, avec ou sans M. Hulot !

Des élèves du lycée Rotrou

A Lazy Eye 1

A l’évidence, Ma demi-vie diffère de ces bio-comédies à la mode, ayant pour sujet des trentenaires encore bloqués au stade « pizza / bière / films pornos » (comme le suggère pourtant son affiche). Ce documentaire, par sa radicalité, quitte vite le terrain de la simple comédie pour gagner celui de la critique sociale. Marko Doringer s’imagine à 20 ans devenir un être exceptionnel, voué à un grand destin, tel une star défilant sur le tapis rouge de Berlin. La désillusion est de taille… une décennie plus tard ; Marko, sans compagne, sans enfants et sans « travail sérieux », supporte mal ce constat d’échec. Face au « jalon symbolique » de la trentaine, le jeune autrichien, dépassé par ses angoisses et fantasmes, est bien loin de la vie qu’il aurait souhaité avoir ; son seul acquis est une assurance-vie payée par son père, gage d’une tutelle parentale dont Marko ne saurait s’affranchir qu’en ayant à son tour des enfants. Ma demi-vie surprend par son propos gagnant rapidment en profondeur, et ce sans forcément perdre de son humour.

C’est en effet par l’ironie que l’auteur aborde son difficile passage à la maturité. La dépression rencontrée par le réalisateur-personnage dépasse alors son caractère narcissique et anecdotique, reflétant le mal de toute une génération issue d’une certaine classe moyenne occidentale. En interrogeant certains de ses parents et amis, Marko Doringer replace son discours dans un contexte plus large. Il traite d’égal à égal d’une part ses aînés qui auraient souhaité une vie meilleure ou différente, et d’autre part ses contemporains qui « désireraient bien des enfants, mais dans une vie parallèle ». La création permet une possible échappatoire pour ces jeunes trentenaires : la musique pour l’un, le voyage et l’écriture pour un autre, et pour finir la conception d’un enfant. Marko Doringer tente d’extraire de cette série de portraits un hypothétique remède à ses angoisses existentielles. Au sujet de sa douloureuse relation avec ses protagonistes, analogue sur certains points à celle d’un thérapeute questionnant ses patients, Marko Doringer va même jusqu’à comparer son travail de documentariste à celui d’un « marchand d’âmes ». Dans ce film pessimiste mais jamais simpliste, la vie nous apparaît alors comme « un éternel combat qui ne cesse jamais ».

Maël Dancette et Léonard Pouy

Remorques

De Bobok de Dostoïevski à Remorques de Grémillon, de 1873 à 1941, soixante-huit ans, et une même constatation : «La vie et le mensonge sont synonymes» : la duplicité, telle qu’elle nous est décrite par Dostoïevski, est l’une des lectures possibles de Remorques, cette œuvre-paradigme du réalisme poétique des années 1940. Le ton est donné dès le tournage : Michelle Morgan sera tantôt blonde, tantôt brune, eu égard aux aléas de la Guerre, le navire Cyclone – le lieu principal de l’intrigue – sera une maquette en bois ballottée par les flots. Le scénario, signé Jacques Prévert, n’épargnera pas non plus cette atmosphère de dupes où l’incommunicabilité des êtres pousse à l’anéantissement de la parole. Catherine, amante d’André, est certainement la plus juste à cet égard : «si vous vouliez être sincère, vous ne pourriez pas, vous parleriez tout de travers, sans le vouloir, pour tout cacher». Cacher, dissimuler, comme Tanguy qui nie l’idée que sa femme puisse le tromper afin de contrer un destin qui semble le mener irrémédiablement vers une solitude insurmontable. Dissimuler, comme Yvonne qui emportera avec elle le secret de sa maladie afin de vivre ses rêves de jeune mariée. Le mensonge comme source de drame… Un film à redécouvrir ; Grémillon reste incontestablement l’un des maîtres du cinéma français d’après guerre.

Aliénor Ballangé