Iran : les femmes à la caméra

Mamad Haghighat

Dès le début de l’histoire du cinéma iranien (1900), la problématique de la présence des femmes existe. Dans cette société traditionnelle islamique, les salles de cinéma, dont la première ouvrit en novembre 1903 à Téhéran, étaient exclusivement réservées aux hommes. Ce n’est qu’à partir d’avril 1928 que des femmes purent assister à une projection de film. Cela grâce à Khan Baba Motazedi, un ancien employé de Gaumont devenu cinéaste en Iran et Ali Naghi Vaziri, célèbre musicien de l’époque, qui eurent l’idée d’ouvrir la première salle de cinéma réservée uniquement aux femmes.

Il faut attendre 1932 pour qu’une femme participe à une activité cinématographique. Assia Ghostantanian, élève de l’école de cinéma fondée en 1930 par le réalisateur Ovanes Ohanian, joue un rôle dans le film de ce dernier : Haji-Agha, l’acteur du cinéma. C’est le premier rôle féminin du cinéma iranien !

Quant à la réalisation, c’est Shahla Riahi (née en 1926), actrice et épouse d’un réalisateur, qui ouvrit le bal en 1956 avec Marjan.

Six ans plus tard, en 1962, l’immense poétesse Forough Farroukhzad (1934-1966), réalise l’un des chefs d’oeuvre du cinéma iranien, La maison est noire, un court métrage sur l’univers clos des lépreux, filmé en noir et blanc. Ce film magnifique et courageux fait l’éloge de ces exclus qui croient encore à la vie. Il reçut le grand prix du festival international d’Oberhausen en Allemagne.

En 1977, Marva Nabili réalise La Terre fertile, l’histoire d’une jeune villageoise qui refuse de se plier à la tradition.

En 1978, Kobra Sayidi (Sharzad), poétesse et actrice, réalise Mariam et Mani.

Depuis la révolution de 1979, on voit se développer le désir des femmes de faire des films : pas moins de vingt femmes ont réalisé une cinquantaine de films : fictions, documentaires ou séries TV.

La première femme à s’imposer est Marzieh Boromand. Dans ses films, elle mêle humour et réalisme social. L’École des souris, 1985 (co-réalisé avec Ali Talebi) est un film très drôle, dans lequel les personnages sont des marionnettes et de vrais acteurs. Ses films sont de grands succès populaires au cinéma et à la télévision.

Faut-il attendre des cinéastes femmes, surtout iraniennes, qu’elles fassent des films féministes ?

Tahmineh Milani (née en 1960) le revendique haut et fort. Sa façon de travailler, à la va-vite, donne à ses films un style plus télévisuel que cinématographique. Sa préoccupation première est de dénoncer l’injustice sociale dont sont victimes les femmes dans une société macho. Ses derniers films sont plus élaborés, notamment : Deux femmes (1999), et Cessez le feu (2006). Ce dernier a obtenu un succès phénoménal en Iran.

Rakhshan Bani-Etemad (née en 1954), à mes yeux la meilleure réalisatrice contemporaine iranienne, a un style très différent, à la fois plus rigoureux et plus nuancé. À propos du féminisme, elle déclare : « Je ne sais pas ce qu’est le cinéma féminin et je déteste cette sorte de ségrégation ». Elle a d’abord tourné des films documentaires. On en voit l’influence dans ses films de fiction. Elle montre avec humour et délicatesse la société iranienne jusque dans ses bas fonds comme dans Nargess, Le Foulard bleu, Sous la peau de la ville. Elle est revenue au documentaire en 2002 avec Our Times, un film sur les femmes candidates aux élections présidentielles de 2001 et leur combat pour défendre leurs droits. Dans son dernier film, Mainline (2006), elle met en scène la relation d’une mère avec sa fille toxicomane (jouée par Baran Kossari, sa fille), la toxicomanie étant l’un des problèmes majeurs de la jeunesse iranienne d’aujourd’hui.

Niki Karimi (née en 1971) est une star en Iran, elle est passée derrière la caméra en 2005 pour réaliser Une nuit, sur l’errance d’une jeune fille dans Téhéran, la nuit, qui à travers ses rencontres, nous fait découvrir la mentalité des hommes iraniens. On y trouve des références aux films de Kiarostami, mais à l’inverse de Ten, dans son film ce sont les hommes qui se racontent.

Mania Akbari (née en 1974), l’actrice de Ten, est passée, elle aussi, à la réalisation : ses films 20 fingers (2004) et 10+4 (2007) montrent des femmes modernes dont le comportement heurte leur entourage encore traditionnel.

Les autres sujets abordés par les réalisatrices sont l’enfance comme chez Pouran Daarakhshandeh, Marzieh Boromand, Faryal Behzad ou encore chez Samira Makhmalbaf (née en 1980), l’une des réalisatrices les plus connues à l’étranger. Dans son premier film La Pomme (1997), on trouve de la fraîcheur et de l’humour sur un sujet grave, inspiré d’un fait divers : deux fillettes enfermées depuis leur naissance par un père, très pieux, soucieux de les protéger du monde extérieur.

Sepideh Farsi (née en 1965) se différencie de ses collègues par sa recherche formelle et le regard distancié qu’elle porte sur ses personnages, cela vient peut-être du fait qu’elle vit loin d’Iran (en France). Le Voyage de Maryam (2002) et Negah (Le Regard, 2005) ont pour thème la quête d’identité et l’exil.

Dans Siah Bazi (2005), Maryam Khakipour, réalise un documentaire sur les comédiens Siah Bazi, pratiquant un jeu théâtral traditionnel basé sur l’improvisation et la satyre. En 2006, la production de films en Iran a atteint un record absolu avec 105 longs métrages et 2000 courts métrages réalisés. Par ailleurs, de nombreuses femmes iraniennes occupent des postes dans le cinéma : producteur exécutif, monteuse, scénariste, etc. sans compter les actrices de plus en plus « starisées » et dont le cachet n’arrête pas de grimper !