Henning Carlsen

Carl Nørrested, Docteur ès lettres de cinéma de l’Université de Copenhague

Traduction de Godfried Talboom

Henning Carlsen est né le 4 juin 1927 à Aalborg (Jutland/Danemark). Il doit interrompre ses études à cause de la guerre. A l’occasion de plusieurs voyages en France, il manifeste un intérêt profond pour le cinéma.

En 1948, il est engagé comme homme-à-tout-faire de la société de production Minerva Film à Copenhague. Il y devient rapidement assistant-réalisateur et travaille sur de nombreux films publicitaires et industriels.

Dès 1949 il écrit ses premiers scénarios et réalise ses premiers films de commande : L’apprentissage du moulage (I formerlaere) et La Maison de Poupée (Dukkestuen).

En 1953 il entre au Nordisk Film Junior, où il travaille comme réalisateur. Il contribue à la réalisation des versions norvégiennes de films étrangers, entre autres African Lion et Le Monde du Silence (1956).

Cette même année, il réalise cinq films de dix minutes sur le Danemark pour Walt Disney.

C’est avec la trilogie de documentaires (inspirés par Jean Rouch et Edgar Morin) Les Vieux (De gamle, 1961), Portraits de Famille (Familiebilder, 1964) et Les Jeunes (Ung, 1964) qu’il va connaître une réelle notoriété. En choisissant le “cinéma vérité”, il rompt avec la tradition du film documentaire danois, qui jusqu’à cette époque était surtout influencé – à travers Theodor Christensen et Jørgen Roos – par le documentaire classique anglais.

Son orientation vers «le cinéma vérité» constitue une rupture avec la tradition des documentaires danois. Jusque-là, cette tradition était représentée exclusivement par Theodor Christiansen et Jorgen Roos qui étaient plutôt inspirés par le documentaire classique anglais.

Après plus de 40 court-métrages en 14 ans, Carlsen s’attaque à la fiction et réalise son premier long métrage Dilemme (Dilemma) en 1962.

Il tourne le film illégalement en Afrique du Sud. Le scénario est tiré d’un roman de Nadine Gordimer et traite des conflits raciaux dans un état dictatorial. L’aspect documentaire du film et la manière dont il est produit sont directement inspirés par le film Come Back Africa (1960) de Lionel Ragosin. Tous les rôles sont tenus par des amateurs.

Ce film marque également le début de sa collaboration avec le chef-opérateur Henning Kristiansen qui imprime désormais son style sur presque toutes les fictions de Carlsen.

Les deux films suivants de Carlsen, Epilogue (Hvad med os?, 1963) et Les Chattes (Kattorna, 1965), furent moins bien accueillis. Malgré des faiblesses de scénario et de direction d’acteurs, Carlsen a la bonne idée de confier la musique de ces films à Krzysztof Komeda (également compositeur de Roman Polanski).

A partir de 1964 Carlsen se lance, parallèlement au cinéma, dans la mise en scène de théâtre.

En 1966 il est reconnu sur le plan international grâce à un grand succès : l’adaptation pour le cinéma du premier roman de Knut Hamsun, La Faim (Sult). Ce film est un des piliers du cinéma moderniste nordique. C’est une œuvre centrale marquée par le son électronique de la musique de Komeda et les changements de point de vue dans le film, soulignés par le montage de Carlsen. Per Oscarson obtient, à juste titre, le prix de la meilleure interprétation masculine à Cannes cette année-là.

Dans une période dominée par le cinéma d’auteur français, ce ne fut pas sans problèmes que Carlsen continua à adapter à l’écran les grandes œuvres de la littérature nordique. Les meilleurs écrivains danois furent ses co-scénaristes. Peter Seeberg fut, par exemple, co-scénariste de La Faim.

Après ce film, la critique cinématographique voit en Carlsen un nouveau Dreyer.

En collaboration avec Poul Borum il adapte le roman burlesque et érotique Sophie de 6 à 9 (Mennsker modes og sod musik opstår i hjertet) de Jens August Schade et le roman satanique d’Aksel Sandemose Nous sommes tous des démons (Klabautermanden).

Ces deux films ne sont pas de grands succès publics, et l’enthousiasme, né avec La Faim, à l’égard des co-productions internordiques faiblit.

En 1971, Carlsen et Jorgen Roos, s’intéressent à la révolte des jeunes de l’époque à travers une communauté aisée de Hellerup, il en résulte un long métrage à caractère documentaire, Avez-vous peur ? (Er i bange?). Le film est inspiré du recueil de poèmes Det d’Inger Christiansen ainsi que de Ebbe Klovedal Reich.

C’est à travers son film suivant, sa première comédie populaire Comment faire partie de l’orchestre ? (Man sku’ vaere noget ved musikken, 1972), que Carlsen se montre également solidaire du monde ouvrier.

Basé sur un scénario original, écrit en collaboration avec le poète Benny Andersen, le film raconte l’histoire d’un groupe d’amis, habitués d’un bistrot. Ils tentent de gérer leur bar eux-mêmes, loin des requins capitalistes. Un rêve qui semble ne jamais pouvoir se réaliser.

La collaboration avec Benny Andersen se prolonge avec la production française d’Un divorce heureux (En lykkelig skillsmisse, 1975). Cette comédie noire, un peu forcée, réalisée avec l’aide de Jean-Claude Carrière et Claude Chabrol est sélectionnée au Festival de Cannes.

Toujours en collaboration avec Andersen, Carlsen essaie ensuite, sans grand succès, de revenir à la comédie nationale populaire danoise avec La disparition de Svante (Da Svante forsvandt, 1975).

Carlsen reprend ensuite l’écriture de ses scénarios en solitaire. Il renoue avec les thèmes du début de sa carrière en sortant de l’oubli un ancien roman ouvrier de 1940 : Un rire sous la neige (Hor, var det ikke en som lo?). Ce roman, inspiré par Hamsun, traite de la crise des années trente. Ce film et son thème ont un grand impact sur le Danemark de 1978.

En 1978, Carlsen prend la relève de Dreyer comme directeur du Cinéma Dagmar au centre de Copenhague mais il est brusquement écarté de ce poste en 1981.

Ce fait provoque chez lui une crise personnelle et économique, qu’il décrit dans La bourse ou la vie (Pengerne eller livet, 1982).

Puis, Carlsen retourne à la thèmatique artistique qu’il avait déjà abordée dans La Faim.

Le film sur Gauguin, Le passage du loup (Oviri, 1986), écrit avec Jean-Claude Carrière, décrit un artiste talentueux (joué par Donald Sutherland), rendu improductif par l’incompréhension de son époque.

Et en 1995, Carlsen referme le cercle en adaptant pour le cinéma un autre roman de Hamsun, Deux Plumes Vertes (Pan). Contrairement aux images claustrophobiques de la ville, en noir et blanc de La Faim, Carlsen utilise maintenant la couleur et le cinémascope pour peindre les paysages du nord de la Norvège. Le désespoir de l’artiste, face à son entourage et à la quête amoureuse, n’a toujours pas trouvé d’apaisement, mais, le jeu de l’acteur dans Deux Plumes Vertes est moins violent que ne l’était celui de Per Oscarson dans La Faim.

Henning Carlsen est une référence pour dans le cinéma danois : au délà de toutes ces activités de création, il fut membre du bureau de l’Institut de Film Danois de 1983 à 1986. Il enseigne à l’Ecole de Cinéma du Danemark et est, avec Jorgen Roos et Knud Pedersen, à l’origine de la création en 1993 de l’Université Européenne de Cinéma d’Ebeltoft.