Naderi par Naderi

Amir Naderi

Devenir cinéaste ? C’est mon amour du cinéma, des films que j’avais vus et des réalisateurs que j’admirais qui est à l’origine de mes deux premiers films. Mais ce sentiment d’amour n’est pas éternel, il arrive un moment où l’on se dit qu’on ne peut pas faire des films par simple amour du cinéma. Je me suis dit : combien de temps puis-je encore me répéter ? J’ai su que je devais entreprendre des études de cinéma pour pouvoir acquérir une vision nouvelle du cinéma. Il était très important que je sache où j’en étais.

Douter de soi-même ? C’est en tournant Tangsir que j’ai commencé à me demander quel genre de cinéma je voulais faire. Mais cette réflexion ne pouvait pas s’exprimer dans ce film-là car Tangsir était un film à gros budget, tiré d’un bestseller, et avec l’acteur iranien le plus coté. Mes préoccupations étaient l’argent du producteur et les recettes du box office.

Autodidacte ? Au moment où j’ai pris la décision d’être cinéaste, j’aurais pu devenir un cinéaste spécialisé dans le commercial mais ce n’est pas ce que je voulais. La part la plus importante de ma réflexion consistait à voir des films et à parler avec des personnes qui pouvaient me faire part de leurs expériences et de leur savoir.

L’Attente ? Je considère ce film comme ma première expérience dans un cinéma qui ne repose pas sur la narration, c’est à dire un cinéma qui ne repose pas sur les dialogues et où le langage des images est primordial. Pendant cette période j’ai étudié des cinéastes chez qui je savais que je pouvais apprendre quelque chose. Heureusement, grâce à l’expérience que j’avais en photographie, il m’était plus facile d’apprendre des choses du langage visuel.

La découverte d’Antonioni et de Renoir ? Je me suis rendu compte qu’un film tel que Tangsir n’était pas très utile à la réflexion que j’avais entreprise. Pendant ce temps, je me suis familiarisé avec le travail de certaines personnes qui m’ont véritablement sorti de la torpeur dans laquelle je me trouvais. L’une de ces personnes fut Antonioni que j’ai beaucoup étudié après l’avoir découvert. C’est en 1970 que j’ai vu pour la première fois L’Avventura et je m’en suis senti très proche. A cette époque j’étais photographe et je faisais aussi un peu de peinture. J’ai découvert chez Antonioni une notion que je connaissais déjà en peinture : la composante impressionniste.

Bien évidemment, cette découverte ne venait pas de moi, seulement j’en prenais connaissance un peu plus tard que les autres. L’influence des grands peintres sur le travail d’Antonioni tels que : Van Gogh, Gauguin, Cézanne, m’a fait réagir. Je n’étais pas tellement sensible au réalisme de Rembrandt et de Rubens. Ce que j’aimais avant tout, c’était la peinture impressionniste.

Un intérêt singulier ? Pendant quatre ans j’ai empoisonné la vie de Karman Shirdel (un ami cinéaste iranien) parce que, plusieurs heures par jour, je lui parlais d’Antonioni. C’était pour lui également assez étrange et intéressant. Il avait du mal à comprendre que, moi, avec le travail que je faisais et la façon de voir la vie, je puisse apprécier Antonioni.

La traduction littéraire ? L’Iran est très riche en matière de traduction. Notre culture s’est enrichie, grâce à la traduction, surtout dans le domaine des Arts et de la Littérature contemporaine. J’ai lu tout ce qui pouvait être traduit sur le cinéma. Certaines disciplines artistiques comme la peinture et le cinéma ont la caractéristique d’être universelles, elles ne sont pas le propre d’un pays en particulier. J’ai donc voulu comprendre comment les artistes de par le monde avaient abordé ce langage universel. Je n’ai aucune formation universitaire, c’est à travers ma capacité à être ému que j’ai tout appris.

La force visuelle ? Je pense que c’est à partir de L’Attente que j’ai commencé à utiliser dans mes films un style impressionniste.

Maîtriser les imprévus ? Les travaux d’Henri Cartier Bresson ont énormément influencé ma façon de voir les choses et mon approche du cinéma. J’avais vu un grand nombre de ses photos sans vraiment m’y intéresser. Ce n’est que plus tard que j’ai vraiment été marqué par son travail. Une des caractéristiques de son travail était de ne pas armer sa caméra, mais de penser bien à l’avance à la photo qu’il allait faire. Et surtout, il avait une notion du temps incroyable. Quelques instants avant que quelque chose ne se passe, sa caméra était prête. La culture impressionniste, présente dans l’oeuvre de Cartier Bresson, a déplacé le point central de l’image.

La peur de copier ? Je voulais utiliser la méthode impressionniste et l’art du collage dans mes films mais je ne savais pas comment. J’ai été totalement bouleversé lorsque j’ai vu les films d’Antonioni, de Renoir, sans oublier Mouchette de Bresson. J’avais trouvé ce que je recherchais. Mais je ne pouvais pas les imiter. Cela aurait été une dangereuse erreur, on aurait pu me taxer de sympathisant de la culture occidentale.En plus, je ne pouvais pas m’exprimer à travers une culture qui n’était pas la mienne.

Une structure persane ? Quand j’ai constaté l’impact de l’Occident sur notre société, j’ai compris que je n’y arriverais pas si je ne trouvais pas une structure qui s’adapte à notre société et dans laquelle je puisse m’exprimer. Me revoilà à la case départ. C’est à Abadan, mon lieu de naissance, que j’ai retrouvé, dans le même temps, toutes les traditions de l’Iran et aussi la très forte présence du monde occidental. Ainsi, Abadan fut l’incarnation même de ce mariage culturel entre l’Est et l’Ouest. Cette ville n’était ni iranienne, ni occidentale : d’un côté il y avait un marché typiquement iranien, le bazar, et de l’autre des réservoirs d’huile et des paquebots de toutes les couleurs. On pouvait également voir une femme arabe soumise portant le voile et en même temps une femme occidentale habillée à la mode parisienne. J’ai réalisé que cette dualité avait toujours fait partie de ma vie et de ma sensibilité. C’est ainsi que je décidai de lui donner une forme différente de celle que je connaissais et d’essayer de l’intégrer à la réflexion que j’avais entreprise.

Influence littéraire ? En dehors du cinéma, j’étais très intéressé par la littérature de fiction, en particulier les romans de Faulkner et de Hemingway. Maupassant et Tchekhov m’ont aussi beaucoup influencé.

Du succès avec le public occidental ? Si aujourd’hui mes films ressemblent aux films occidentaux, j’ai perdu mon pari. Mais si, au contraire, ma culture est expliquée et dépeinte dans mes films de telle manière que les spectateurs étrangers la comprennent alors c’est que j’ai gagné. Je pense que ça a été le cas avec mon film Le Coureur.

Recherche, un film sans scénario ? Recherche symbolise pour moi le dépassement de mes doutes et la fin d’un tatonnement. Mais je pense que le succès de Recherche tient dans les vingt dernières minutes du film où l’on quitte le dialogue pour laisser place au cauchemardesque.

Une autonomie à petit budget ? Dans ce style de travail, je ne peux pas et ne dois pas chercher un producteur qui soit commercial. C’est-à-dire un producteur dont le seul souci soit l’argent. J’ai fait Recherche avec très peu d’argent qui provenait de la télévision iranienne et avec une pellicule seize millimètres noir et blanc. L’histoire de Recherche est l’histoire des réfugiés de la Révolution.

Travailler sous les feux ? J’ai tourné Recherche 2 sur le front, pendant la guerre Iran-Irak. Et en dépit de tout ce qui se passait, je préparais les prises que j’allais faire et je donnais des indications. Généralement, je me mets tellement au diapason du lieu sur lequel je travaille, que je peux obtenir ce que je veux.

Une pièce avec une poule ? Pour Le Coureur, je n’arrivais pas à trouver le lieu où tourner la maison du garçon. Finalement, quand j’ai découvert un bateau abandonné, j’ai su que c’était ce que je voulais. Je me suis souvenu qu’étant enfant, j’avais vécu un moment dans un endroit pareil. Alors j’ai tout installé. Mais lorsque j’ai voulu filmé la scène, j’ai senti qu’il manquait quelque chose. J’ai donc pris une poule et je l’ai mise dans la pièce. Tout de suite, j’ai senti qu’elle était à sa place. Amino était orphelin, il vivait seul. Aussi, la poule incarnait la vie même, sans que l’on ait besoin d’un autre personnage. La poule était une créature vivante qui dépendait d’Amino, qui lui ne pouvait compter que sur lui-même.

Plus de musique ? A partir de L’Attente, je n’ai plus utilisé de musique dans mes films. Je trouve que la musique rend l’image mélodramatique et j’aimerais éviter cela. La peinture impressionniste m’a appris que la seule façon de travailler est d’utiliser les éléments réels de la vie. Mais j’écoute quand même beaucoup de musique, et de nombreuses idées de films me sont venues en écoutant de la musique.

L’espoir dans Le Coureur ? Contrairement à mes premiers films, il y a de l’espoir dans Le Coureur. J’ai changé, et mon attitude envers la vie s’est modifiée avec le temps.

Davantage d’espoir ? Il y a encore plus d’espoir dans L’eau, le vent, la terre même s’il s’agit d’une dévastation et de la pauvreté. Cette fois ci, c’est une véritable espérance, un rêve de prospérité.

Trois mois dans une tempête de sable ? J’ai tourné L’Eau, le vent, la terre en quatre vingt dix jours dans des conditions très difficiles. Nos approvisionnements en eau et en nourriture étaient faibles. Nous dormions dans des abris sans toit et je pourrais même dire qu’à la fin, nous faisions partis intégrante de la nature.

Les raisons de trois années d’interdiction ? Je ne sais pas pourquoi L’eau, le vent, la terre a été interdit par le gouvernement pendant trois ans.

Les films à venir ? Depuis que je suis aux États-Unis (1986), j’ai écrit deux scénarios. Le premier est une fiction sur les indiens d’Amérique et s’intitule La Dixième symphonie. L’autre c’est Manhattan by Numbers qui se passe à New-York.