L’art naturel de Jan Troell

Peter Cowie (Traduit de l'anglais par Martine Millon)

Un thème parcourt le cinéma scandinave : celui de la symbiose entre l’homme et la nature. Cela peut sembler curieux si l’on songe à ces deux caractéristiques proverbia-les des pays nordiques : là rigueur du climat et l’inhibition émotive des habitants. Pour-tant le fait est là, dès l’époque du muet, des cinéastes comme Victor Sjôstrôm et Maurice Stiller s’aventurèrent hors des studios à la recherche de nouveaux effets tirés directe-ment de la nature, ainsi qu’en témoignent des films comme Terje Vigen, Les Proscrits, Johan, et Le Trésor d’Arne. Dans ces pays, la nature pèse de tout son poids sur les êtres, les sentiments s’y expriment en termes physi-ques. Et l’on comprend aisément qu’en Suède l’interminable mauvaise saison éveille un sentiment d’attente fiévreuse et nostalgi-que pour les éphémères semaines de soleil et de bonheur estival. L’été apparaît donc sou-vent dans le cinéma suédois comme l’incar-nation physique (et parfois symbolique) des espoirs élevés et des rêves paradisiaques que nourrissent les êtres, comme dans Jeux d’été, Monika, ou encore Elle n’a dansé qu’un seul été. Si l’été et les espaces ouverts évoquent la joie et les forces vives, la forêt épaisse et sombre cache dans ses mystérieux recoins la Mort et ses émissaires, par exemple dans Le Septième sceau. L’ambivalence de la nature ressort clairement des documentaires d’Arne Sucksdorff où se côtoient la tendresse et la brutalité. Aucun metteur en scène actuel n’incarne mieux ces tendances que Jan Troell qui, à cinquante-trois ans, s’est affirmé comme l’héritier de Victor Sjôstrôm sans pour autant renoncer à sa propre personnalité d’artiste. Les plus réussis et les plus émouvants de ses films se situent tous dans des décors natu-rels. Ses rares réalisations « urbaines » pèchent par un curieux manque d’équilibre comme si leur auteur souffrait de se sentir confiné dans les étroites limites de notre civi-lisation du béton. Troell, comme les plus grands metteurs en scène, s’interdit la pré-cipitation qui caractérise les productions de routine, c’est un artiste exigeant et minutieux qui parfait son travail avec amour pendant des mois ou des années. Quand les lois cor-poratives le lui permettent, Troell cumule les fonctions d’opérateur et de monteur avec celle de la mise en scène. Son refus des com-promis lui vaut parfois de pénibles embar-ras financiers (comme dans le cas du Vol de l’aigle), mais le résultat artistique prime tout à ses yeux. Une telle rigueur trouva par deux fois sa récompense : Les Emigrants et Le Vol de l’aigle furent successivement sélectionnés pour les Oscars à Hollywood, ce qui n’est pas un mince exploit pour des productions en langue suédoise. Les deux éléments clés dans un film de Troell sont le sens de l’observation et le rythme. Même dans ses courts métrages réalisés pour la plupart entre 1961 et 1965, Troell observe ses sujets avec la plus grande attention et il attend toujours la fin d’une action ou d’une phrase pour couper et passer au plan suivant. « J’ai débuté comme un amateur enthou-siaste », explique-t-il, « je prenais photo sur photo, je regardais bouger les choses, jouer les enfants — mes films étaient une simple prolongation de mes intérêts quotidiens ». L’un de ses courts métrages, Le Garçon au cerf-volant (Pojken och draken), dont il par-tage la mise en scène avec Bo Widerberg, raconte une journée de la vie d’un petit gar-çon de six ans. Un autre, intitulé Johan Ekberg, et qui représenta la Suède au festi-val de Cannes de 1964, s’aventure à l’autre bout de l’échelle des âges pour étudier la soli-tude croissante d’un vieillard à la retraite. Parmi toutes ces oeuvres de jeunesse, Séjour dans les marais constitue de loin la plus amu-sante et la plus habile. Réalisé à partir d’une nouvelle du Prix Nobel Eyvind Johnson, le film devint en un sens une sorte d’ébauche de l’adaptation de la tétralogie du même Johnson, que Troell devait ultérieurement tourner sous le titre Les Feux de la vie. Le film reçut le Grand Prix à Oberhausen en 1967. Max von Sydow, qui en est l’interprète principal, joue un vieux serre-frein qui quitte son train à un arrêt de campagne et fait trois kilomètres à pied le long de la voie pour aller déplacer un énorme rocher perché sur une colline proche. Il n’explique pas ses mobi-les, mais paraît extrêmement satisfait à son retour à la gare. Dans le cadre étroit de cette anecdote, Troell révèle son talent d’observa-teur des caractères et des comportements et son art du rythme narratif. Peu loquaces, les cheminots expriment d’un sourire ou d’un geste leur tranquille assurance. Les rares dia-logues sont laconiques et d’une banalité vou-lue, car l’essentiel est dans le non-dit. Comme dans un western de Ford, les hom-mes sont relégués par le paysage dans des rôles de comparses, cependant Troell, grâce à une astucieuse combinaison de gros plans et de plans longue durée, réussit à créer une impression d’intimité parmi les grands espaces. A certains égards, le premier long métrage du cinéaste, Les Feux de la vie (1966), cons-titue sans doute sa meilleure réussite. Les quatre romans d’Eyvind Johnson qui for-ment Le Roman d’Olof furent publiés entre 1934 et 1937, mais ils évoquent les années de jeunesse de l’auteur passées à Norrbotten pendant la période 1914-1918. Sans avoir eu l’expérience directe de la guerre, en raison de la neutralité de la Suède, cet adolescent, que l’on envoyait loin de chez lui quérir sa subsistance et la fortune, apprenait à consi-dérer la vie comme un combat. Olof (Eddie Axberg) fait tous les métiers : flotteur de bois, apprenti dans une scierie, projection-niste de cinéma, cheminot. Et il ne cesse d’observer ses compagnons d’un oeil aigu et de s’éduquer lui-même par ses conversations avec eux ou sa lecture d’ouvrages politiques. La vision de Troell reste poétique jusque dans les circonstances les plus tragiques qu’il dépeint : il n’est que de songer à la scène où Allan Edwall, le flotteur, évoque le souve-nir de sa femme et de ses enfants morts dans une tempête. Ou encore à celle où Ulf Palme interprète le bûcheron qui lutte désespéré-ment pour libérer un petit garçon coincé par un tronc d’arbre. Enfin, ce souvenir récur-rent dans le film et qui apparaît en couleurs alors que le reste est monochrome, ce sou-venir qui hante Olof : enfant, à la campa-gne, il joue avec sa mère, et soudain, reste fasciné devant un oiseau insaisissable qui d’une certaine façon symbolise ses rêves. Troell reprendra l’image qu’il utilisera dans le même sens dans Le Vol de l’aigle. L’humour tient une place non négligeable dans Les Feux de la vie, en particulier dans le portrait de certains personnages comme le propriétaire du cinéma qui annonce avec superbe chaque séance par ces mots lancés d’une voix de stentor : « Par ici la culture ! Par ici la culture ! » ou encore comme la maîtresse d’Olof, Olivia, qui a peur de vieillir et déclare dans un sanglot : « tout ce qu’on sait c’est que la terre est ronde » et elle ajoute après une pause : « Alors qu’elle est tout bonnement plate comme une fichue crêpe ! » « Tant que le metteur en scène s’en tient à sa propre vérité », dit Troell, « je pense que sa description des choses est juste, même s’il a fait un très gros travail de découpage. C’est seulement quand il dévie consciemment de cette vérité que le film devient faux, à mon avis — et par conséquent non documen-taire ». Car Troell méprise les éclairages théâtraux et le maquillage raffiné si chers à Bergman et Sjôberg. Dix pour cent seulement des Feux de la vie fut tourné en studio, l’essentiel du film donne du paysage du nord de la Suède une image aussi fidèle que les pre-miers chefs-d’oeuvre de Victor Sjôstrôm. Pourtant la nature, bien qu’elle cause la mort de plusieurs personnages du film, n’apparaît pas comme une force du mal. Le jeune Olof, informé de la guerre par des on-dit et les actualités au cinéma, comprend peu à peu que la violence. et le malheur proviennent davantage de l’injustice sociale et de l’ambi-tion inconsidérée de l’homme que de la nature. Les Feux de la vie célèbre certaines qualités typiquement nordiques telles que l’indépendance, la sagesse, le courage, grâce auxquelles l’homme peut affronter les con-traintes et les aléas de la vie bucolique. Jan Troell est originaire de la province la plus au sud de la Suède, ou province de Skâne, et il a commencé par y exercer le métier d’ins-tituteur avant de se lancer dans une carrière cinématographique à plein temps. De nom-breux personnages du cinéma de Troell reflè-tent la mentalité et les qualités du Scanien type : le goût de la beauté pastorale, une approche calme et non hâtive des problèmes, un jugement des autres fondé non sur les apparences mais sur les actes. Mârtensson, le héros de Ole dole doff (1968), enseigne dans une école à Malmô, capitale de la pro-vince de Skàne. Incapable de maîtriser l’indiscipline qui règne dans sa classe, piégé par un mariage amer et stérile, Màrtensson se sent de plus en plus menacé, écrasé par les contraintes de la vie. La bande-son, comme les images de Ole dole doff se réfèrent de manière frappante au comportement des oiseaux : le regard de Martensson se tourne fréquemment vers des oiseaux au repos bu mourants dans les rues. Les cris des oiseaux dominent la musique classique que l’instituteur aime à écouter et que Troell utilise à certains moments cru-ciaux du film. Il a même été insérer un extrait du documentaire symbolique de Arne Sucks-dorff, La Mouette, qui est clairement un commentaire sur la tyrannie que subissent les faibles, évoquant pour le spectateur la haine que Martensson inspire à ses élèves. On voit ce personnage malheureux passer ses jours de congé sur les docks de Malmô, comme un oiseau blessé, à regarder charger les bateaux que l’on appareille pour des terres lointai-nes. Ce n’est pas une coïncidene s’il rencon-tre là un ancien ami devenu photographe professionnel et qui parcourt le monde avec enthousiasme. L’instituteur raté, l’artiste qui a réussi, sont les deux faces, brillante et som-bre, de leur créateur. « Le film montre un homme faible » commente Troell, « un hbmme qui échoue vis-à-vis de lui-même, et par conséquent aussi vis-à-vis des autres, ses élèves, sa femme. Sa tragédie est d’autant plus intense qu’il se sent, face à ses jeunes persécuteurs, à la fois coupable et impuissant ». Sans vouloir préjuger de l’avenir, c’est sans doute avec Les émigrants et Le Nouveau monde (1971-1972), totalisant sept heures de projection, que Jan Troell atteint le sommet de sa carrière. Non seulement il parvient à surmonter les multiples hasards logistiques, les considérables problèmes d’organisation inhérents au tournage en pays étranger (les Etats-Unis), non seulement il réussit à condenser la riche matière contenue dans la tétralogie de Vilhelm Moberg sur ces fermiers qui, au dix-neuvième siècle, ont traversé l’océan à la recherche de la sécurité et de la prospérité qu’ils espéraient trouver en Amé-rique, non seulement, donc, Troell vient à bout de toutes ces difficultés, mais il renou-velle entièrement, ce faisant, le genre du film à grand spectacle dans sa version euro-péenne. Ces deux films sont lents sans solen-nité excessive. La force émotionnelle et visuelle est telle que l’on s’identifie totale-ment avec Karl Oscar (Max von Sydow) et sa femme Kristina (Liv Ullmann). On nous peint tout d’abord un tableau émouvant de leur vie pénible et besogneuse dans une ferme du sud de la Suède, puis leur départ pour les Etats-Unis, leur embarquement dans l’enthousiasme général, la traversée périlleuse et éprouvante, et enfin l’arrivée sur la terre promise suivie du voyage en chariot jusqu’au Minnesota qu’ils choisissent pour s’y arrê-ter parce que le paysage leur rappelle leur pays natal. Mais leur nouvelle patrie n’est pas dépourvue de dangers, et Troell les filme avec son souci très particulier du détail et son goût pour le spectacle de la nature. Certai-nes scènes laissent dans la mémoire une mar-que indélébile : par exemple, la tempête de neige dans laquelle le fils de Karl Oscar man-que de mourir ; ou le massacre des Settlers par les Indiens ; la guerre de Sécession ; ou encore la tragique équipée de Robert, le jeune frère de Karl Oscar, dans les déserts de l’Ouest. D’autres images plus paisibles s’attardent dans l’esprit : un vol d’oiseaux groupés en V qui fendent le ciel bleu comme un symbole d’espoir ét d’idéal ; les différen-tes physionomies que prend le lac, dans le Minnesota, auprès duquel s’établit la famille Nilsson. Troell transmet fidèlement la vision de Môlberg qui considère la maison des Sett-lers comme une arche protégeant ses habi-tants des éléments autant que des indésira-bles, comme un avant-poste lointain de la vie de fermier suédois que Kristina ne peut jamais tout à fait oublier. Ces deux films remarquables témoignent en même temps de l’esprit d’équipe que Troell engendre tou-jours dans ses productions. Bengt Forslund, le producteur, conseiller, ami et co-scénariste ; Eddie Axberg, qui donne non seulement un merveilleux portrait de Robert, mais collabore également à la prise de son, qui est ici, comme toujours chez Troell, d’une importance capitale, Max von Sydow, Liv Ullmann, Allan Edwall, Monica Zetter-lund (surtout connue en Suède comme chan-teuse de jazz, mais ô combien émouvante dans son rôle d’Ulrika dans Les Emigrants et Le Nouveau monde), et les nombreux autres comédiens et comédiennes dont on peut dire qu’ils habitent leur rôle plus qu’ils ne l’interprètent. En 1973, le producteur Harvey Matofsky fit venir Troell à Hollywood pour tourner Zandy’s Bride pour la Warner. Le sujet (un fermier austère choisit sa femme à partir d’une petite annonce) et le cadre (la rude Californie du dix-neuvième siècle) conve-naient à son talent. Le film fut un échec com-mercial uniquement parce que la délicatesse d’expression de Troell ainsi que son style éco-nome d’effets s’opposaient à la vogue pour les films d’action qui régnait à l’époque. Cer-taines scènes sont pourtant d’une grande beauté et, sur le plan de l’émotion, égalent les plus grandes réussites du cinéaste. Les rapports humains ne sont jamais faciles dans l’univers de Troell. Les couples se chamail-lent, s’affrontent sans cesse l’un à l’autre, masquant leur désarroi sous des accès de rage contre l’être le plus proche et le plus cher. L’âpre rugosité de la côte californienne qui sert de cadre au film renforce le caractère conflictuel de la fiction. Au milieu des années soixante-dix, Troell s’initia à un registre complètement différent avec Bang ! . Il s’inspire du roman de Sven Christer Swahn : Le Professeur d’orgue où le même acteur interprète deux rôles, celui d’un flûtiste, professeur de musique et celui d’un organiste qui mène une vie de reclus. Mais Bang ! se résume à une série de réflexions philosophiques auxquelles Troell fait correspondre une métaphore visuelle dif-férente pour chacune. Ayant, à ce stade, lar-gement dépassé la quarantaine, il désirait de toute évidence se poser un certain nombre de questions sur lui-même et la vie en géné-ral par le biais du cinéma. Malheureusement ce genre d’exercice pèche souvent par obscurité : ce qui paraît le plus signifiant à l’auteur est fréquemment perçu par le public comme quelque chose de confus et fumeux. Les souvenirs d’enfance ont toujours été chers à Troell ; ils assument ici comme dans Les Feux de la vie une connotation presque mystique : ainsi en est-il, au début du film, avec l’image de l’enfant qui joue dans une prairie en fleurs, et plus tard, avec l’évoca-tion du rêve qui hante le jeune garçon dans lequel il entend la voix de son père lui ordon-ner de venir le rejoindre. L’impression dominante qui reste de Bang ! est celle de la solitude vécue comme destin inéluctable par l’artiste comme par tous ceux qui sont trop timides pour s’abandonner à leur sensualité et à la séduction du monde. Un autre thème parcourt le film, celui de la peur de la vieillesse et d’une retraite solitaire, comme seul la peut éprouver un quinquagé-naire, et le pessimisme du film trouve son expression dans le personnage de l’organiste, dont Troell souligne qu’« il pensera toujours qu’hier était préférable à aujourd’hui et que demain sera pire qu’aujourd’hui ». Déprimé par l’échec commercial de Bang ! Troell accepta une offre de Dino de Lauren-tiis. Il s’agissait d’aller tourner dans l’île de Bora-Bora dans le Pacifique un film à grand s
ectacle : L’Ouragan, avec Sven Nykvist à la prise de vue. Le résultat fut un pur désas-tre, une expérience d’autant moins mémo-rable, qu’au montage De Laurentiis ne donna pas à Troell la liberté à laquelle il était habitué. En 1980, il était de retour dans son cher pays et il s’attela à un scénario qu’il vou-lait intituler, de manière significative, Le Rêve impossible. Le film sortit en 1982 sous le titre Le Vol de l’aigle, qui était le nom du « docudrame » originel qu’avait écrit Per Olof Sundman à partir de la tragique expé-dition au Pôle Nord effectuée en ballon en 1897 par l’ingénieur Andrée et ses deux com-pagnons. La plupart des scènes furent tour-nées dans le nord de la Suède sur la surface gelée de la Baltique et à Spitzbergen. Max von Sydow interprète Andrée, un rêveur exalté qui persuade à la fois le roi et Alfred Nobel de financer sa dangereuse expédition. Ses deux compagnons Strindberg et Fraen-kel savent que l’expédition est vouée au désastre, mais ils se laissent entraîner par l’ardente conviction et la puissante person-nalité d’Andrée qu’anime un idéal Kiplinges-que de patriotisme et d’indépendance. La partie centrale du Vol de l’aigle offre l’une des meilleures démonstrations de mise en scène réussie de grands espaces naturels et d’intelligence du montage que le cinéma suédois d’après-guerre ait à offrir. Troell combine, avec un sens très sûr du rythme, la limpidité cristalline de l’image, la solitude palpable de ces étendues glacées, avec le por-trait de la dégradation physique subie par les trois explorateurs. Tout comme Scott, l’explorateur britannique de l’Antarctique, Andrée empreint sa mission d’une sorte de noble futilité. Et lorsqu’on le voit, après la mort de ses compagnons, laisser errer son regard avec désespoir autour de lui, on oublie son entêtement et son orgueil, pour ne plus voir, et secrètement admirer, que la beauté de son geste romantique. En Max von Sydow, Troell a trouvé le seul acteur capa-ble d’explorer dans sa complexité les profon-deurs de l’idéalisme fourvoyé d’Andrée. Le Vol de l’aigle fut sélectionné pour le titre de meilleur film étranger aux Oscars en 1983.
Troell n’a cessé tout au long de sa carrière de rester fidèle à ses idéaux : montrer des individus résolus à jauger leur caractère en s’affrontant avec la nature et les éléments, ou peut-être avec leur propre nature. A une époque où le patriotisme est un sentiment dévalué, Troell n’a pas craint de souligner l’aspect le plus suédois de ces Suédois. En un temps où la convention narrative paraît dépassée dans les arts fictionnels, Troell réus-sit à raconter une histoire avec une convic-tion devenue rare. Là où le naturalisme le plus plat est devenu la règle d’or, Troell per-« siste à s’exprimer grâce à une poétique de l’image. C’est en ce sens que l’on peut dire que Jan Troell, loin d’être un passéiste attardé, devancerait plutôt son temps en se ▪ servant du cinéma pour exprimer les plus grands dons de l’homme, sa faculté inépui-sable d’adaptation et son idéalisme, bien ou mal compris. A ses yeux, le metteur en scène doit se préoccuper avant tout de « la manière de rendre justice au monde visible tout en laissant soupçonner l’existence de cette autre réalité qui est celle de l’esprit ».