John Schlesinger

Raymond Lefèvre

John Schlesinger, l’aîné des cinq enfants d’une famille de pédia-tres (il est né à Londres, le 16 février 1925), n’est pas devenu ar-chitecte . La seconde guerre mondiale, dont il a merveilleusement retrouvé l’ambiance dans le très beau « Yanks », a bousculé ce projet. Dès la fin du conflit, il s’inscrit à l’Université d’Oxford pour étudier la littérature anglaise. Il fréquente surtout les milieux actifs du théâtre expérimental, du cinéma amateur et de la photographie, avant de trouver un emploi dans les studios de la télévision. John Schlesinger appartient à cette catégorie des très grands cinéastes britanniques ayant fait leur apprentissage avec les caméras de la BBC. Renouant avec la prestigieuse tradition du courant documen-tariste, hérité des thèses fameuses de John Grierson, il débute • comme co-auteur ‘de courts métrages à vocation culturelle, tout en acceptant quelques rôles dans d’autres émissions télévisées. Il débute même une carrière d’acteur au grand écran et il est amu-sant de reconnaître un Schlesinger juvénile au hasard des images de « Single-Handed » (Roy Boulting – 1951), « Ce sacré confrère » (id – 1957), « Oh Rosalinda » (Michael Powell et Emeric Pressbur-ger – 1955), « La bataille du Rio de la Plata » (id – 1956) et « Les 7 tonnerres » (Hugo Fregonèse – 1958)… Le coup de maître vient vite : « Terminus », brillant exercice de style tourné dans la gare londonienne Waterloo Station. Ce court métrage de 35 minutes obtient le Lion d’Or du documentaire au Festival de Venise 1961. Il est devenu depuis un classique pour les écoles de cinéma.
Une consécration en amène une autre. L’année suivante, c’est l’Ours berlinois pour « A kind of loving », histoire simple et tou-chante d’un couple d’ouvriers dont le bonheur est terni par une naissance non souhaitée. Style direct, sans fioritures. On com-prend mal que cet excellent film n’ait pas été distribué en France. Puis John Schlesinger choisit un sujet qui l’apparente aux jeunes cinéastes turbulents du free cinema. « Billy le menteur » (Billy Lier), jeune commis d’une entreprise de pompes funèbres, compense une existence grise et monotone par les délires de son imagination débordante. La réalité quotidienne sert également de contexte aux aventures amoureuses de « Darling », avec Julie Christie, actrice principale de trois films consécutifs. La caméra interroge les gens dans la rue. En face du micro ou de la caméra, les passants hésitent, suggèrent ou extrapolent. Mais les répon-ses, dans leur variété, révèlent une réalité qui ne prête guère à l’optimisme. En même temps, John Schlesinger regarde vivre la classe aisée pour mieux la caricaturer. Les détails acerbes n’épar-gnent ni les personnes, ni les institutions. Le regard satirique débusque souvent l’image irrévérentieuse. Causticité payante, puisque « Darling » obtient trois Oscars à Hollywood… « Loin de la foule déchaînée », d’après Thomas Hardy, apparaît comme une mutation brusque dans l’oeuvre naissante de John Schlesinger. Cette fois, l’action se situe dans la splendide campa-gne anglaise du XIX. siècle. Amours et déboires de la belle Baths-heba Everdenne sont évoqués avec une habileté technique éblouissante, et les morceaux de bravoure (l’incendie, le duel, le chien fou…) restent inoubliables. John Schlesinger se voudrait-il le maître du mélodrame romantique ? La réponse vient des U.S.A., après « Macadam cow-boy » récom-pensé de trois Oscars (meilleur film, meilleure réalisation, meilleur scénario). Le retour au réalisme replace John Schlesinger parmi les plus grands cinéastes mondiaux. Un travail de caméra d’une rare virtuosité harmonise l’enlisement moral de deux individus et la lai-deur pittoresque de certains quartiers de New-York. La direction d’acteurs (Dustin Hoffman et Jon Voight) y est remarquable. Bref, c’est le chef-d’oeuvre. Le retour à Londres est marqué par un autre chef-d’oedne, « Un dimanche comme les autres », où le thème de l’homosexualité, évident dans « Darling » et développé dans « Macadam cow-boy », devient un élément majeur du scénario. La scène amou-reuse entre deux hommes était d’une précision et d’une audace jamais vues pour l’époque. Les difficultés sentimentales des trois personnages principaux (un médecin d’origine israélite, une jeune sculpteur de mobiles, une femme en instance de divorce) s’enraci-nent dans la peinture réussie de la banalité quotidienne. La rencon-tre entre la fiction et le documentaire y est admirable. Les multi-ples aspects de Londres servent de cadre subtilement expression-niste aux déchirements intérieurs des personnages, ressentis avec intensité et justesse. Changement de registre, avec « Le jour du fléau ». Hollywood dans les années trente. L’apogée de la fabrication des mythes est vécue à travers les espoirs déçus des candidats à la célébrité. Le film se termine par une apocalypse grandiose. La folie destructrice relève du grand art. Le film n’a pas rencontré le succès espéré pour les moyens mis en oeuvre. Il reste à redécouvrir.
Voici maintenant le thriller à résonance politique, qui oppose deux immenses acteurs aux registres si différents : Dustin Hoffman et Laurence Olivier. « Marathon man », « un thriller juif », selon une expression de John Schlesinger, « où les menaces se nomment racisme, McCarthy… Un film qui fait peur, mais aussi et surtout un film sur la peur ». Huit ans après « Un dimanche comme les autres », John Schlesin-ger revient en Angleterre. Un retour tellement bénéfique qu’on peut se demander si « Yanks » n’est pas son meilleur film. John Schlesinger retrouve avec justesse et humour la vie quotidienne d’un pays en guerre qui assume le difficile problème de la cohabi-tation avec les militaires américains, peu avant le débarquement du 6 juin 1944. Certaines séquences fortes, comme la séance de cinéma, la bagarre raciste au dancing ou la gare submergée de jeu-nes femmes en pleurs, feront beaucoup pour la réhabilitation d’un film injustement boudé par le public français. Les codes du mélo-drame sont parfaitement intégrés aux analyses de type socio-historique. On attend maintenant le petit dernier, « Honky tonk freeway », réalisé aux U.S.A. en 1981. Plusieurs actions indépendantes con-vergent vers un lieu privilégié, un village qui se bat pour obtenir une bretelle d’autoroute. Les personnages typés ont rendéz-vous au point d’orgue qui favorise le paroxysme de leurs débordements subversifs. Ce « Honky tonk freeway », on l’attend avec curiosité… et impatience.