René Allio

Guy Gauthier (mai 1980)

René Allio est né à Marseille en 1924.11 a commencé par la peinture avant de devenir vers 1960 le plus célèbre décorateur du théâtre français, alors en pleine effervescence. Pendant plusieurs années, son nom fut associé à celui de Roger Planchon et au travail du Théâtre de la Cité de Villeurbanne qui, dans le sillage de Brecht, revisitait les classiques en tentant de con-quérir un nouveau public. C’est pour une mise en scène des « Ames Mortes » de Gogol, que René Allio affronta pour la première fois le cinéma, à la faveur d’un petit film d’animation intégré à la scénographie. Peu à peu, tout en gardant la nos-talgie du dessin et du théâtre, René Allio devait réaliser, dans le cinéma, les aspirations diffuses dans sa pratique de peintre et de scénographe. Après un court-métrage (« La Meule », 1963) qui marque ses véritables débuts au cinéma, il réalisa en 1965 « La vieille dame indigne », en adap-tant à l’écran une courte « Histoire d’almanach » de Bertolt Brecht. Dans ce premier grand film, unanimement salué comme un coup de maître, on peut lire, plus facilement avec le recul, les grandes obsessions de l’oeuvre à venir : attention apportée aux gens du peuple, les méconnus du cinéma français de ces années-là ; rôle plastique des objets et des décors, qui révèle à la fois l’admirateur de la peinture de tradition française et le déco-rateur familier des formes du passé ; capacité d’utiliser les acteurs au meilleur de leurs possibilités ; attrait pour les paysages d’enfance qui nous valent un premier retour à Marseille. On a beaucoup salué à l’époque la référence brechtienne, encore renforcée par la toute récent carrière théâtrale du réalisateur, à une époque où Brecht est l’inspirateur quasi exclusif du théâtre d’innovation. Il ne faut pas s’y tromper : ce Brecht-là n’était qu’en apparence celui du brechtisme à la française, desséché par excès de théorisation ; il affleurait dans ce film une sensibilité profonde qui devait par la suite prendre le pas, au moins dans l’oeuvre d’Allio, sur une « distanciation,» entendue souvent par les brechtiens dans un sens trop strict. « L’une et l’autre » (1967), « Pierre et Paul » (1968) exercent encore ce regard sur le monde contemporain, laissant émerger de plus en plus la fas-cination du passé, non pas comme nostalgie impuissante, mais comme source authentique et féconde de notre vie quotidienne, dans ses dimen-sions matérielle et imaginaire. Quelque chose poussait René Allio vers l’histoire qui ne pouvait être, venant de lui, que provinciale, populaire, dédaigneuse des gloires établies : ainsi naquit « Les Camisards », une admirable chronique cévenole où le plasticien-décorateur libérait en lui l’authentique désir de conter. Pourtant, on devait lui reprocher de faire par-ler en français des personnages de l’histoire occitane : il n’oubliera pas ce reproche. Avec « Rude journée pour la reine » (1973), il met en scène les fantasmes d’une femme de ménage en les associant aux stéréotypes inspirés par la culture de masse. Projet ambitieux, qui lui permet cependant de camper avec justesse le milieu populaire, le décor des intérieurs modestes, et sur-tout la complexité des relations familiales, l’une des plus évidentes cons-tantes de son oeuvre. Apparait aussi dans ce film un personnage qui va s’imposer par la suite, au moins dans les deux films suivants : le jeune révolté que ne satisfait pas le monde hypocrite des adultes et que sa révolte conduit à la délinquance. Retour au passé. Toujours la province, les rapports familiaux, des gens simples, paysans normands d’hier qui seront interprétés par des paysans normands d’aujourd’hui (une leçon des « Camisards »,) d’inoubliables décors d’intérieurs, et surtout un jeune meurtrier, exceptionnel par sa vio-lence et la qualité d’un texte écrit en prison, et que devait exhumer bien plus tard Michel Foucault : « Moi, Pierre Rivière, ayant assassiné ma mère, ma soeur et mon frère » (1976). Allio maîtrise désormais le récit autant que le plastique ; on continue de lui reprocher une certaine froideur qu’on impute à Brecht, par habitude. En réalité, Brecht est désormais très loin, mais chez Allio, la retenue participe de la sensibilité la plus profonde. Son dernier film en date, « Retour à Marseille » (1980), est à nouveau un scénario original, le premier des scénarios originaux qu’il maîtrise totale-ment. Outre que ce « Retour à Marseille » arrive de façon significative dans la carrière d’AIIio (devenu entre-temps, et grâce à son obstination, directeur-fondateur du Centre Méditérranéen du Cinéma), il constitue une somme où prend forme son univers de cinéaste. Poète des âges de la vie, qu’il associe aux âges de la grande métropole redevenue son territoire d’élection, Allio est désormais en mesure d’atteindre le plus large public sans rien renier de ses ambitions artistiques. S’il y a place encore pour un cinéma populaire — qui parle au peuple du peuple, sans flatterie ni mépris — René Allio, dans la France d’aujourd’hui, est notre plus grand cinéaste populaire.