Lester James Peries

Philippe Haudiquet (Juin 80)

« La ligne du destin » fut une dés réVélations du Festival de Cannes 1957. Pour la première fois sur un écran étaient présentées des images quoti-diennes du petit peuple cinghalais. Le film introduisait le spectateur dans l’intimité d’un village, dont il montrait les habitants vivant et travaillant au rythme des saisons. Mais il allait bien au-delà d’un simple constat. S’il décrivait les moeurs et les coutumes des villageois, il en révélait aussi les préjugés et les obsessions, en particulier celle de la sécheresse. Le spec-tre de la famine hantait les images d’un film qui dénonçait aussi cette plaie des pays sous-développés : le prêteur sur gages. Tourné en extérieurs, à la différence de « Deux hectares de terre », film indien présenté à Cannes quelques années auparavant, « La ligne du des-tin » retenait l’attention par son authenticité, par son lyrisme discret et par le jeu subtil de ses coloris (le film était bien entendu tourné en noir et blanc). Il avait pour auteur Lester James Peries, jeune cinéaste cinghalais dont c’était là le premier long-métrage, riche de promesses. En dehors de « La chanson de Ceylan » de Basil Wright, qui avait su capter dès les années 30 quelques-unes des richesses du patrimoine cinghalais, on n’avait guère de références sur l’île en dehors du thé et des timbres à l’effigie de la Reine Victoria… On avait désormais une référence de plus, et des plus importantes, un film qui révélait un univers inconnu. Depuis Cannes 57 aucun autre signe cinématographique de Ceylan n’est parvenu en France. On serait tenté de croire que « La ligne du destin » fut une tentative sans lendemain, si on ne lisait, par exemple, les publications anglo-saxonnes. On y apprend beaucoup de choses. Loin d’en être resté à ce premier film, Lester James Peries en a réalisé treize autres depuis. Sa femme et collaboratrice Sumitra est, elle aussi, passée à la mise en scène. Fidèle au Ceylan de sa jeunesse, Basil Wright consacre plusieurs pages enthousiastes de son Histoire du Cinéma à Peries que le critique Donald Ritchie n’hésite pas à comparer à Ozu, Dreyer et Bresson. L’hommage rendu cette année à Lester James Peries par le Festival de La Rochelle constitue donc un véritable événement. Mieux qu’à une « grande première », les spectateurs auront la possibilité d’assister à une « seconde naissance », pour reprendre une expression du poète Boris Pasternak.
En France, cela s’entend. La référence à Pasternak ne vient pas ici par hasard. C’est un contemplatif comme Lester James Peries. Chrétien par son éducation, le réalisateur cinghalais puise son inspiration dans la riche tradition bouddhique de son pays. Mais comme tout vrai créateur il sait aussi orienter son cinéma vers des voies nouvelles. A côté de films du quotidien (comme « Changements au village »), Peries a multiplié des méditations sur l’existence (« Les silences du cœur », « Le trésor », « Des Fleurs blanches pour les morts ») et, à l’écoute des voix qui ne cessent de monter du Tiers Monde, il a aussi réalisé un grand film anti-colonialiste (« Rébellion »). Comme naguère celles de Satyajit Ray et Yasujiro Ozu, l’ceuvre de Lester James Peries reste à découvrir, et à travers elle, un petit peuple et toutes ses richesses.
Pour qui sait regarder et entendre, le cinéma n’a pas fini d’être une source d’émerveillements.