Smita Patil

Actrice, Inde

Née en 1955 à Poona, elle est la fille du politicien Shivajirao Patil. 1975 : Alors qu’elle travaille pour la télévision, elle est découverte par le cinéaste Shyam Benegal qui lui offre un rôle dans sa comédie pour enfants, Charandas Chor. 1975-1977 : Dirigée par Benegal, elle s’impose dans le cinéma indien par des compositions de plus en plus remarquées (L’Aube, Le Barattage, Le Talis-man, Le Rôle). Depuis 1980 elle se partage entre des films d’auteur (sous la direction notamment de Mrinal Sen et Satyajit Ray) et des films à vocation populaire.

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En décembre 1986, nous avons appris, avec autant de tristesse que de stupeur, la mort de Smita Patil, la grande actrice indienne, qui nous avait rendu visite à La Rochelle en 1984. Sa mère nous a envoyé une lettre, nous demandant de la faire paraître dans notre catalogue, en souvenir de Smita. Cette lettre, la voici :
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Mon mari Shivajirao et moi-même avons tous deux participé, à notre modeste manière, au combat de l’Inde pour sa liberté en 1942. Notre fidélité est restée intacte malgré les années et il n’est pas dans notre nature de nous plaindre de notre malheur ni d’avoir été troublés par les difficultés nombreuses. L’âge n’a pas flétri notre détermination et, dans la maturité de la soixantaine, nous sommes toujours attachés à nos convictions. Smita partageait notre ardeur. Mon mari et moi appartenions au Parti socialiste Praja. Les portes de notre maison étaient ouvertes aux ouvriers de ce parti. Chez nous, la division des tâches était souple. Mon mari consacrait son temps et son énergie au travail du parti pendant que je m’occupais de faire marcher la maison. Je ne pouvais me glorifier d’aucun diplôme, et il fut souvent difficile de joindre les deux bouts. Mais nos parents nous avaient légué un héritage essentiel. Celui de la foi dans l’honnêteté, dans l’ardeur du travail accompli avec dévouement. J’encourageais Smita à participer avec son groupe culturel, aux camps Sevadal. Rashtra Seva Dal (RSD) était l’Organisation des Volontai-res du Congrès du Parti socialiste qui démarrait, avec pour objectif, de sensibiliser les jeunes esprits au sens de la discipline, à servir la communauté, au patriotisme et par dessus tout de leur apprendre à dédier leurs vies à la laïcité. Ce dernier but avait pris de l’importance du fait que les musulmans et les hindous organisaient leurs propres mouvements de volontaires, comme « Muslims National Guards » et « R.S.S. ». Le RSD possédait également une branche culturelle qui, à travers les programmes de danse, de théâtre et de musique, diffusait le message du RSD. Smita a fait activement partie de cette branche, dès l’âge de 6 ans. A cet âge impressionnable, Smita allait d’un endroit à l’autre, soutenant le message de l’intégration nationale. Toutes les fois qu’il en trouvait le temps, son père lui portait un déjeuner à l’école. Souvent aussi, il la coiffait et l’emmenait au parc. Pendant les fêtes religieuses, mon mari s’occupait des enfants tout en continuant à travailler autant que possible. Toutes ces expériences contribuèrent à enrichir la vie de Smita. Les nombreux aspects de l’activité humaine : arts, musique, littérature, sports, politique, social, faisaient partie de son envi-ronnement. Il est probable que personne n’a aussi bien compris son père que Smita. Quand Smita eut 16 ans, elle voulut se marier. Je rencontrai le garçon et lui demandai s’il accepterait que sa femme joue sur une scène. Il me répondit par un non définitif. Aussi, je conseillai à Smita d’attendre encore les quatre années jusqu’à l’obtention de son diplôme. Le garçon comprit ce que je voulais réellement dire. Mon mari devint membre du Cabinet Maharashtra, nous partîmes pour Bombay. Smita préférait rester à Poona pour poursuivre ses étu-des au collège Ferguson. Finalement, nous la convainquîmes de nous rejoindre et de s’inscrire au collège Saint-Xavier. Elle opta pour des cours de communications, psychologie et philosophie. En même ternps, elle faisait partie d’un groupe de garçons et filles qui s’occu-paient d’aider tous ceux que le Maharashtra attirait. Un jour, Smita et sa soeur Anita allèrent au centre de télévision de Bombay. Smita passa une audition, une chanson bengali, le directeur de la station fut très impressionné et aussitôt après, elle devint lectrice d’actualités. Sans doute ses yeux et son visage expressifs attirèrent-ils l’attention du réalisateur Shyam Benegal, car un jour de 1974, un jeune Bengali vint à la maison pour nous apprendre que « Shyambabu » désirait rencontrer Smita afin qu’elle joue dans sa prochaine production, un film pour enfants. Nous ne connaissions rien au monde du cinéma. Moi-même, je n’avais vu aucun film. J’avais mes propres opinions sur l’éducation des femmes et leur émancipation, j’ai toujours pensé qu’un esprit oisif est l’atelier du diable aussi désirais-je que mes enfants fassent de bonnes études et soient au service de ceux qui sont dans le besoin. Avant l’âge de 16 ans, Smita n’avait pas vu plus de 8 films dans sa vie, et c’étaient des classiques comme Sant Tuka-ram, Ramaraj et Bharat Bhet. Si j’avais pu imaginer à cette époque que Smita deviendrait actrice un jour, je serais tombée des nues. Nous nous laissâmes persuader d’autoriser Smita à jouer dans le film de Shyam. Quand Monsieur Benegal me montra Charandas Chor je fus très impressionnée par le jeu de Smita dans le rôle de la reine. La simplicité avec laquelle Shyam et toute son équipe travaillaient me frappa également. Ils ressemblaient à une famille ou à un groupe de gens qui poursuivent le même idéal, comme ceux du Rashtra Sevadal. Cela me confirma qu’avec eux, Smita était en aussi bonnes mains qu’à la maison. Ce fut le début inattendu de sa carrière cinéma-tographique, sous la houlette d’un réalisateur de la stature de Shyam Benegal ; aussi personne ne nous reprocha le choix de Smita de faire des films. Au contraire, tout au long de ces années, elle fut grandement appréciée. Film après film, elle n’était pas Smita, l’actrice, mais le personnage qu’elle incarnait à l’écran. Ma fille a tourné avec les plus grandes personnalités du cinéma indien : Satyajit Ray, Mrinal Sen, G. Aravindan, Kumar Shahani, Govind Nihalani, Jabbar Patel, Ketan Mehta pour n’en citer que quelques-uns. En 1980, elle entra dans le monde du cinéma commercial où elle connut également un grand succès. Son but n’était pas de gagner beaucoup d’argent. Elle se sentait surtout concernée par le genre de rôles qu’on lui proposait et par le contenu social des films. Elle avait toujours le sentiment de n’avoir pas fait assez, par le biais puissant du cinéma, pour que changent les attitudes envers les femmes, pour dénoncer les injustices qu’elles ont sans cesse à subir. Smita excellait dans les personnages de femmes luttant pour leurs droits. Ce fut particulière-ment vrai pour le film de Jabbar Patel le Seuil (présenté au Festival de La Rochelle en 1983 et 1984). Je me souviens que quand j’étais sur le point de partir à New York, en 1981, Jabbar Patel vint à la maison. Je le connaissais bien car j’avais travaillé dans le même hôpital que lui (Jabbar est médecin). Il raconta l’intrigue du film à Smita, convaincu qu’elle seule pourrait jouer le rôle de cette femme qui choisit de quitter le confort de sa maison pour combattre la corruption qui règne dans un hôtel de femmes. Quand il eut terminé son récit, Smita le manaça de le tuer s’il donnait le rôle à une autre comédienne. Ils rirent de bon coeur tous les deux. Le film obtint un très grand succès public et beaucoup de récompenses. On décerna à Smita de nombreux prix. Elle fut la première actrice indienne à être invitée par le Festival de La Rochelle, la Cinémathèque française, et, pendant l’année de l’Inde, par le Centre Georges Pompidou. Ses films ont été vus dans le monde entier. Le 9 décembre 1986, onze jours après avoir accouché, Smita eut une forte fièvre. Un médecin s’occupait d’elle et la soignait sur les conseils d’un spécialiste. Ni l’un ni l’autre ne jugèrent utile de la faire examiner par un gynécologue et la fièvre continua de monter. Le 12 décembre, elle fut admise à l’hôpital Jaslok dans un état très grave. Elle sombra dans le coma ce même jour et ne reprit jamais connaissance. Smita quitta ce monde sans revoir son enfant qui lui était si cher. A l’âge de 31 ans, après avoir, en seulement 10 années, atteint un succès mérité dans le monde du cinéma, après avoir été désignée deux fois comme la meilleure actrice indienne, reçu le prix Padmashree à 28 ans, avoir été déléguée à la Conférence internationale des femmes à Nairobi, jury du Festival International du Film de Montréal, après avoir assisté à plus de 15 festivals de films internationaux dans le monde entier, et par dessus tout, gagné le coeur de millions de spectateurs dans son pays et à l’étranger, sa merveilleuse clarté s’est éteinte. Smita n’est plus.
Madame Vidya Patil (texte traduit de l’anglais par Prune Engler)

Filmographie 1975 : Charandas Chor (Shyam Benegal), L’Aube (Nishant, Benegal) 1976 : Le Barattage (Manthan, Benegal) 1977 : Le Talisman (Anugraham/Kondura, Benegal), Le Rôle (Bhumika, Benegal) 1980 : Cercle vicieux (Chakra, Rabindra Dharmaraj), Un conte populaire (Bhavni Bhavai, Ketan Mehta), Le Cri du blessé (Aakrosh, Govind Nihalani), A la recherche de la famine (Akaler Sandkane, Mrinal Sen), Qu’est-ce qui met Albert Pinto en colère ? (Albert Pinto Ko Cossa Kyon Aata Hai, Saeed Mirza) 1981 : Délivrance (Sadgati, Satyajit Ray) 1982 : Le Seuil (Umbartha, Jabbar Patel), Shakti (Ramesh Sippy), Namak Halal (Prakash Mehra) 1983 : Arth (Mahesh Bhatt) 1984 : Ardh Satya (Nihalani)