En 1999, Pedro Almodóvar vient d’achever son 13e film, Tout sur ma mère, pour lequel il reçoit le prix de la Mise en scène au Festival de Cannes. Après avoir embrassé son actrice Marisa Paredes et s’être mis à genoux devant une salle comble et debout qui l’ovationne, il dédie son prix à la démocratie espagnole et aux Espagnols. « Je suis le fruit de cette démocratie espagnole. Sinon je n’aurais pas pu faire de films. » Il aura fallu la chute du franquisme et l’avènement de la démocratie pour voir émerger l’un des plus grands réalisateurs européens. Le cinéaste tourne depuis 45 ans avec une grande liberté et un style qui n’appartient qu’à lui. Alors que la démocratie est aujourd’hui fragilisée, son discours nous rappelle combien la culture et la liberté d’expression et de création sont menacées.
En mai dernier, Robert De Niro recevait une Palme d’or d’honneur, 49 ans après celle remise à Taxi Driver. Aujourd’hui, l’engagement et le discours de l’acteur américain ont résonné dans bien d’autres contrées… « Dans mon pays, nous luttons d’arrache-pied pour défendre la démocra- tie, que nous considérions comme acquise. Cela concerne tout le monde. Car les arts sont, par essence, démocratiques. L’art est inclusif, il réunit les gens. L’art est une quête de liberté. Il inclut la diversité. C’est pourquoi l’art est une menace aujourd’hui. C’est pourquoi nous sommes une menace pour les autocrates et les fascistes de ce monde. »
Au Fema, pendant neuf jours, nous vous proposons de nous réunir autour du cinéma, autour de regards et de points de vue sur le monde, autour d’œuvres du passé et du présent. Autour d’un cinéma qui rassemble, qui interroge et qui doute, qui observe et qui dénonce. Comme l’unique Palme d’or arabe et africaine, Chronique des années de braise, décernée en 1975 au cinéaste algé- rien Mohamed Lakhdar Hamina qui, 50 ans jour pour jour après la présentation de son film en compétition, aura attendu sa projection à Cannes Classics en 2025 pour mourir… Comme si la res- tauration de sa fresque épique et la promesse d’une nouvelle vie dans les salles lui permettaient de quitter ce monde en croyant encore au pouvoir du cinéma. Cette chronique, magnifique de grâce et de vérité, constitue l’impitoyable tableau de l’histoire politique et guerrière de l’Algérie coloniale. 50 ans après ce scandale politique, c’est le cinéaste israélien Nadav Lapid qui a pris tous les risques possibles avec son film Oui, une œuvre étourdissante, exaltante et dérangeante, la satire sans appel d’une société ivre de vengeance.
Autre regard, celui de la photographe palestinienne Fatem Hassona qui, pendant quelques mois, se substitue à celui de la cinéaste Sepideh Farsi. Son documentaire Put Your Soul on Your Hand and Walk est bouleversant parce qu’au-delà des frontières, et de l’écran d’un téléphone portable, il raconte la rencontre entre deux femmes, deux artistes. « Elle m’a prêté ses yeux pour voir Gaza où elle résistait en documentant la guerre », dit la réalisatrice iranienne exilée en France alors que la photographe est morte sous les bombes israéliennes.
Enfin, après Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof venu l’été dernier au Fema, c’est le film de Jafar Panahi que nous vous présentons en avant-première. Palme d’or attendue et méritée, Un simple accident est un film puissant, réalisé par un cinéaste mis en prison par le régime islamique puis placé en liberté conditionnelle mais qui a continué à tourner dans sa ville, à Téhéran… L’audace de tous ces cinéastes nous donnent de l’espoir et nous font croire que le cinéma peut modifier notre appréhension du monde.
Au Fema, votre regard traversera toutes les époques et tous les continents, de l’âge d’or du cinéma hollywoodien avec la « Queen » Barbara Stanwyck, à la transformation du Taïwan des années 1980-90 vue par Edward Yang, de la vie de la petite bourgeoisie française scrutée par Claude Chabrol à une Allemagne fantomatique explorée par Christian Petzold, en passant par le cinéma palestinien qui témoigne de la tragédie en cours à Gaza mais aussi de l’émergence de cinéastes aussi talentueux que courageux. Du cinéma enchanté de Jacques Demy à celui, merveilleux, de Michel Ocelot.
Et, pour ouvrir le bal, un film qui célèbre le cinéma, du thriller à la comédie du remariage, à travers son prestigieux casting – Daniel Auteuil, Virginie Efira, Mathieu Amalric, Vincent Lacoste, Aurore Clément, et même une apparition de Frederick Wiseman – porté, dans un français impeccable, par la géniale Jodie Foster. L’actrice qui avait tourné avec Claude Chabrol dans les années 1980 sera à l’honneur le temps d’une journée avec quatre films et celui d’une soirée avec Vie privée de Rebecca Zlotowski. Celle qui rêvait de mettre en scène la star américaine a concrétisé son rêve et signe un film réjouissant ouvrant avec brio les festivités de cette 53e édition qui se terminera en chansons avec Les Demoiselles de Rochefort en karaoké géant !
Sophie Mirouze et Arnaud Dumatin, délégués généraux du Fema