Boukhara bénie

Bako Sadykov

1988 — 2h15 — 35mm — couleur

Titre original Blagoslovennaïa Bukhara Scénario Oulougbek Sadykov, Bako Sadykov Image Rifkat Ibraguimov Décors Vladimir Salimov Production Studios Tadjikfilm, Groupement Katarsis Interprétation Ato Moukhamedjanov, Oumed Sadykov

« C’était probablement un rêve. Une minuscule salle de projection. Un festival de cinéma. À Cannes peut-être ? Peut-être en 1992 ? Je suis seul, tout à fait seul dans cette salle. L’écran s’allume soudain. Une ville apparaît qui pourrait être Boukhara. Mais comment en être sûr puisque je n’ai jamais été à Boukhara. Je me sens progressivement entraîné dans un labyrinthe sans repères. Je cherche à me raisonner, à retrouver un semblant d’orientation. Peine perdue. C’est donc un rêve. Rêverais-je que je rêve ? J’essaye de me rassurer : je suis maintenant presque sûr d’être seul dans une salle de projection et d’assister au déroulement d’un film. Je décide donc de m’abandonner totalement aux fulgurances de l’écran. Que vois-je ? Où veut-on m’entraîner? Voici des ombres qui poursuivent d’autres ombres. Voici des personnages qui se laissent glisser sur des filins de coupoles en coupoles. Une bouche s’ouvre sur l’incendie d’une gorge. Un ouragan de courges et de citrouilles d’une violence inouïe traverse l’écran. Voici des livres, encore des livres, un étrange étranger, un inquiétant enfant-chanteur, une amazone vrombissante sur une moto ivre, la voix d’Édith Piaf – mais oui – qui interprète Les Blouses blanches dans le halo chaloupant d’un asile, un chanteur replet qui se prend pour le rossignol de Boukhara. Je suis donc bien à Boukhara.! Je continue donc à rêver que je rêve. Je m’imagine donc à un carrefour du temps, des religions, des langues. Un éclair cinéphilique me livre les noms de Paradjanov et de Jodorowsky. L’écran s’élargit alors. Une lumière-araignée emprisonne une ville-fantôme où je crois entendre un solo de Louis Armstrong. Un éblouissement brutal me signale que mon rêve a pris fin. Suis je resté seul dans cette salle de projection ou ai-je toujours été seul ? Ce qui est sûr maintenant puisque je vois un générique en flash-back, c’est que j’ai rêvé tadjik. Je décide d’emporter ce rêve tadjik au Festival de la Rochelle. Je me rends soudain compte que mon rêve tadjik était sous titré en anglais ! De temps à autre, je me surprends à me regarder dans les miroirs pour voir si par hasard je ne porte pas une ‘blouse blanche’. » (Jean-Loup Passek)