Édito 2023

Sophie Mirouze et Arnaud Dumatin, délégués généraux du Fema

« Documenteuse »

C’est ainsi que Kaouther Ben Hania, à qui nous rendons hommage, aime à se définir, citant Agnès Varda qui en 1980 réalisait le film Documenteur. Depuis son premier long métrage, Le Challat de Tunis, la cinéaste tunisienne brouille les frontières du documentaire et de la fiction pour le plus grand plaisir des spectateurs qui découvriront, en avant-première, son dernier film Les Filles d’Olfa, qu’on pourrait tenter de définir comme un documentaire sur un faux biopic. Un dispositif surprenant, parfois déstabilisant, mais surtout très impressionnant, qui rend ce film puissant. Dans Little Girl Blue, la réalisatrice française Mona Achache invente à son tour une nouvelle écriture documentaire en confiant un magnifique rôle à une star de la fiction, Marion Cotillard. Celle-ci s’empare du personnage de la mère de la cinéaste, une femme brisée qui s’est donné la mort. Alors que dans Les Filles d’Olfa, les actrices sont aux côtés des personnages réels, dans Little Girl Blue, Marion Cotillard se fond véritablement dans cette mère disparue et lui redonne vie avec une perruque, un collier et des lentilles marron pour camoufler ses yeux bleus, mais surtout grâce à la parfaite maîtrise de son jeu d’actrice. Ces deux films et bien d’autres signés Claire Simon, Dominique Cabrera, Wang Bing, Dominique Marchais ou encore Mila Turajlić nous ont donné envie de célébrer « l’Année du documentaire ».

Dans les deux films cités ci-dessus mais aussi dans Inside avec Willem Dafoe ou Metropolis présenté en ciné-concert, le décor tient une place très particulière. Nous avons souhaité cette année nous pencher sur ses enjeux et représentations, à travers une programmation thématique et une conférence animée par Jean-Pierre Berthomé, auteur de l’ouvrage Le Décor de film.

Pour la deuxième année, une leçon de montage sera proposée par Yann Dedet en présence d’Emmanuelle Bercot et de son fidèle collaborateur, le monteur Julien Leloup.

L’animation sera très présente au Fema avec la leçon de musique orchestrée par Stéphane Lerouge et consacrée aux compositeurs de musiques de films d’animation Florencia Di Concilio et Clément Ducol, l’avant-première du truculent Linda veut du poulet ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach et un hommage à la cinéaste tchèque Michaela Pavlátová.

Les actrices, d’Asta Nielsen à Nicole Kidman, en passant par Bette Davis, crèveront les écrans de La Rochelle. Trois icônes d’hier et d’aujourd’hui qui ont chacune maîtrisé leur carrière et imposé leur style.

Cette 51e édition se veut joyeuse avec la venue de l’acteur et réalisateur Pierre Richard, irrésistible de distraction et de maladresse, avec aussi les savoureux films de Sacha Guitry, accompagnés d’un « Parcours Guitry » en présence de cinéastes, dont Nicolas Pariser, et de critiques, qui permettra de redonner à ce génie toute sa modernité. Grand admirateur de Pierre Richard, le jeune et prolifique cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov a créé un univers très singulier, entre le burlesque poétique et la fable tragique. La cinéaste québécoise Monia Chokri nous offrira une belle soirée avec son très séduisant Simple comme Sylvain, une comédie sur le désir féminin, tandis que la chorégraphe Olivia Grandville, récemment installée à La Rochelle, propose, en partenariat avec le Fema, l’exposition Faire l’idiot, sous forme d’hommage à Pierre Richard, aux Idiots de Lars von Trier – auquel nous consacrons une intégrale – mais également à toutes celles et ceux (cinéastes, actrices, acteurs, chorégraphes, danseuses et danseurs) qui incarnent le burlesque avec une virtuosité de la chute et du déséquilibre.

Enfin, autre chute, celle mortelle et conjugale brillamment décortiquée par Justine Triet dans son Anatomie d’une chute, Palme d’or 2023 largement méritée.

Bon festival à toutes et à tous !