Le festival de tous les cinémas

Sophie Mirouze et Arnaud Dumatin, délégués généraux

Pour sa 47e édition, le festival évolue tout en étant fidèle à son identité visuelle très identifiée, grâce aux magnifiques affiches peintes depuis 1991 par Stanislas Bouvier, qui s’est inspiré cette année de Little Big Man.

Le festival change de nom. En substituant « Cinéma » à « film », le Festival La Rochelle Cinéma (FEMA) réaffirme sa singularité et va à l’essentiel.

Au-delà du 7e art, le mot cinéma désigne aussi la salle de projection, que nous fréquentons assidûment et que nous nous devons de défendre et de réinventer pour qu’elle demeure le lieu de (re)découverte des films.

L’actualité de ces derniers mois nous a prouvé qu’il existe un besoin de se ras-sembler, d’échanger. Quoi de mieux qu’un festival pour se rencontrer ? Quoi de mieux que le cinéma pour déchiffrer l’état du monde ?Les films comme de multiples points de vue sur notre humanité. À commencer par notre film d’ouverture, It Must Be Heaven, dont le titre, quand nous connais-sons l’univers d’Elia Suleiman, paraît bien ironique. Il s’y met en scène avec son regard étonné et souvent amusé, dans un monde dévoré par la violence. La force de son cinéma tient à la composition de ces plans séquences, qui font d’un détail tout un symbole. Quand il pose sa caméra place des Victoires à Paris, en direction de la Banque de France devant laquelle défilent lentement des chars de combat, tout est dit.

Cette violence, Arthur Penn la dénonçait déjà en 1967 notamment dans Bonnie and Clyde avec la célèbre réplique « we rob banks» (nous dévalisons des banques) et le massacre final filmé au ralenti. Violence qu’il portera vers une forme de paroxysme dans La Poursuite impitoyable. Dans une petite bourgade du Texas, une chasse à l’homme à couper le souffle sert de prétexte à une véritable photographie instantanée de la société américaine, au sein de laquelle haine et violence se déchaîneront et apporteront le chaos.

Autre changement cette année : l’ouverture de la programmation au cinéma de genre, avec l’invitation du maître du cinéma de l’épouvante. Si vous ne connais-sez pas les films de Dario Argento, voyez d’abord Les Frissons de l’angoisseou Suspiria dans une salle bien remplie ! Ou lisez son autobiographie Peur dans laquelle il raconte comment, jeune journaliste doté d’un certain culot, il a réussi à interviewer John Huston, dans sa chambre d’hôtel…

Le cinéma de genre, Jessica Hausner s’y frotte avec son dernier film, Little Joe,tout en conservant son style si singulier entre étrangeté et sophistication. Ses cinq longs métrages seront programmés en sa présence et celle de sa coscéna-riste, Géraldine Bajard.

Pour donner le goût aux enfants de découvrir des films sur grand écran, nous leur dédions trois séances par jour, et toujours dans cet esprit d’ouverture de la pro-grammation, nous avons souhaité inviter la comédie populaire des années 1960 et 1990 parce que nous aimons Le Cinéma.

Un regard rétrospectif, en dix films, sur le jeu de Louis de Funès, indémodable roi du rire dont les mimiques continuent de faire rire les enfants aujourd’hui, per-mettra d’en mesurer tout le génie. Jim Carrey, seul acteur capable de le détrôner de l’autre côté de l’Atlantique grâce à son élasticité hors-normes, sera aussi mis à l’honneur le temps d’une journée.

Pour celles et ceux qui préfèrent rêver, nous vous offrons un voyage dans le cinéma animé tendre et poétique de Jean-François Laguionie, accompagné d’une riche exposition de dessins et autres trésors autour de son premier long métrage, Gwen, le livre de sable.

Autre voyage cinématographique proposé : l‘Islande, où une nouvelle génération de cinéastes aborde avec humour noir et fantaisie la vie de petites communautés, les relations familiales ou de voisinage, sous le regard de chevaux, moutons ou béliers !Cette année, autre nouveauté, nous rendrons hommage à une directrice de la photographie, une pionnière : Caroline Champetier. Elle donnera la première « leçon de lumière » et évoquera ses fructueuses collaborations avec Jean-Luc Godard, Claude Lanzmann et Leos Carax avec laquelle elle s’apprête à tourner, un film que nous attendons avec impatience.

La désormais traditionnelle leçon de musique animée par Stéphane Lerougecélébrera François de Roubaix, compositeur des bandes-originales du Samouraïet de L’Homme orchestre, présenté par Serge Korber. Quant à David Sztanke, il proposera une création ciné-concert autour d’un épisode de L’Inde fantômede Louis Malle.

La rétrospective consacrée à Victor Sjöström, l’un des maîtres du cinéma suédois, acteur dans Les Fraises sauvages d’Ingmar Bergman, sera l’occasion de décou-vrir ses mélodrames de la période muette et ses trois films tournés à Hollywood parmi lesquels Le Vent, son chef-d’œuvre avec l’immense Lillian Gish.

L’autre rétrospective, plus inattendue, vous fera redécouvrir Charles Boyer, comédien français devenu, dans les années 1930, une véritable star américaine. Dans la version d’Elle et lui de 1939, des millions de spectatrices ont rêvé de le rejoindre en haut de l’Empire State Building !À La Rochelle, les festivaliers aiment réviser leurs classiques et tous les films présentés dans la section D’hier à aujourd’hui ont été restaurés pour notre plus grand plaisir : les plus grands cinéastes tels que Frank Borzage, Kenji Mizoguchi, Fritz Lang, Stanley Kubrick et Ernst Lubitsch, présenté par Serge Brombergdans son Retour de flamme, y côtoient les contemporains André Téchiné, F. J. Ossang ou encore Jean-Luc Godard.

Quand très récemment un journaliste interrogeait Tilda Swinton sur la présence des réalisatrices dans l’Histoire du cinéma, celle-ci regrettait très justement que trop peu d’articles aient mentionné la disparition de la cinéaste ukrainienne Kira Mouratova, il y a tout juste un an… Six de ses films, fraîchement restaurés, pour-ront être redécouverts et son style très libre et proche de la Nouvelle Vague enfin apprécié à sa juste valeur.

Elle a tourné avec François Truffaut, Louis Malle, Otto Preminger et Arthur Penn dans Mickey One mais elle reste une actrice discrète même si les festivaliers la croisent chaque année au festival. C’est tout naturellement que nous avons pro-posé à Alexandra Stewart d’être notre première marraine et de nous accompa-gner pendant les dix jours du festival avec grâce et bienveillance. Une marraine de rêve pour tous ces jeunes cinéastes qui présenteront leur premier film à La Rochelle. Citons les Français Ladj Ly et Stéphane Batut, la Franco-Sénégalaise Mati Diop, l’Italienne Michela Occhipinti ou le Soudanais Suhaib Gasmelbari.

Enfin, nous pensons tout particulièrement à une autre femme qui a œuvré depuis de nombreuses années à l’organisation du festival, dans l’ombre jusqu’à sa nomi-nation en tant que déléguée générale en 2002. Une amoureuse du cinéma que notre filmeur bien-aimé, Alain Cavalier, a convié à l’une des toutes premières projections de son film Être vivant et le savoir. Prune Engler a souhaité nous passer le flambeau l’an dernier et se retirer cet été, sur la pointe des pieds…

Pour que cette édition, un peu spéciale, soit joyeuse et musicale, nous fêteronsFrançois de Roubaix lors d’un concert très festif avec Fred Pallem & Le Sacre du Tympan et nous danserons lors d’un ciné-bal en plein air ! —