Yilmaz Güney

Cinéaste, Turquie

Yilmaz Güney est né en 1937 près d’Adana, ville principale du Sud-Est rude et lointain. Fils d’un paysan kurde, Güney a été balloté pen-dant son adolescence d’un travail subalterne à l’autre, qu’il exerçait à temps partiel – porteur d’eau, ouvrier agricole, ramasseur de coton, apprenti boucher – ce qui lui permettait de sui-vre les cours d’une excellente école où il fonda une éphémère revue littéraire. Puis il étudia le droit à l’Université d’Ankara et l’économie à celle d’Istanbul. En 1958, il entra dans l’indus-trie du cinéma, car ses intérêts littéraires et ses relations l’avaient mis en contact avec la com-munauté artistique et intellectuelle ; il devint bientôt acteur et scénariste, et travailla régu-lièrement avec le cinéaste Atif Yilmaz, de solide réputation. En 1961, Güney publia un roman intitulé « Équations à trois inconnues » qui fut considéré comme une propagande com-muniste et lui valut une peine de prison de dix-huit mois. A sa libération en 1963, il se remit à jouer et fut la vedette de plus de quarante films, surtout des mélodrames commerciaux qui forment le plus gros de la production turque (300 films par an). Son visage hâve et son style de jeu très intério-risé firent de lui l’acteur de cinéma le plus populaire de Turquie, surnommé « Le Roi Laid ». Il travailla durant cinq ans dans le système commercial, y prenant des leçons de mise en scène et écrivant souvent lui-même ses propres scénarios grandiloquents ; il goû-tait pleinement sa richesse et sa gloire toutes neuves et se fit une réputation de play-boy. Mais en 1968, année cruciale de la révolte étu-diante et de la radicalisation du Tiers-Monde, Güney rejeta les pièges du vedettariat et gagna une indépendance totale, fondant sa propre société de production, Güney-Filmcilik et fit une série d,e films à commencer par « Umut » (Espoir), qui remporta un grand succès critique ; ce film analysait les problèmes sociaux avec un réalisme et une rage absolument sans pré-cédent. Il produisit un effet extraordinaire. En 1972, Güney fut arrêté pour avoir soutenu des groupes révolutionnaires et condamné à deux ans de prison. A l’arrivée au pouvoir du gouver-nement de centre-gauche de Ecevit en 1974, Güney bénéficia de l’amnistie générale appli-quée aux délits politiques. Il se mit aussitôt à travailler à l’un de ses meilleurs films, « Endise » (L’inquiétude), qui parlait des ramasseurs de coton près de sa ville natale d’Adana. Le tournage avait commencé depuis une semaine à peine lorsqu’un dispute violente s’éleva dans un bar où se trouvait Güney en compagnie de certains de ses collaborateurs ; un magistrat de la ville reçut une balle mortelle. Güney fut arrêté pour meurtre et condamné à vingt-quatre ans de travaux forcés, peine réduite plus tard à dix-huit ans. Il semble diffi-cile de prouver sa culpabilité, mais si l’on étudie les déclarations des témoins oculaires, il semble qu’il y ait eu en tout cas une provocation considérable. « Endise » fut terminé par Serif Gôren.
Adrian Turner (trad. : Jeanne Ciment)
Yilmaz Güney — toujours en prison — continue de faire des films par « réalisateur interposé » : ainsi Zeki Ôkten a-t-il tourné « Le Troupeau » en 1978 sur les indications de son ami scénariste. Il en va de même pour « L ‘Ennemi » (1979-81).

A propos de Yilmaz Güney
Les lois de censure, en Turquie, s’inspirent de nos jours encore de l’exemple italien de 1939. Les cinéastes turcs sont totalement dépen-dants des distributeurs, car ce sont eux qui reçoivent des banques les crédits nécessaires ; ils décident ainsi ce qui sera produit ou non. L’état ne montre aucun intérêt pour le cinéma et n’accorde donc aucune subvention aux cinéastes. Cette attitude négative du gouvernement a pour effet positif que de plus en plus de per-sonnes reconnaissent au cinéma sa significa-tion culturelle en tant que média. Des organisa-tions syndicales, par exemple, tentent de met-tre le film au service de leur cause. On est alors en présence d’une situation typiquement dia-lectique : d’un côté, le film et la création ciné-matographique sont de plus en plus réprimés, d’un autre côté, les jeunes intellectuels qui se sentent concernés par les conditions sociales et politiques régnant dans leur pays, sont de plus en plus nombreux à vouloir faire des films. C’est le cas de Güney. Comme ses idées n’allaient pas dans le sens du pouvoir, celui-ci fit tout son possible pour le gêner dans ses projets, sans tenir compte de la grande popularité de Güney, en tant qu’écri-vain, comédien et cinéaste. En 1961, on le condamne à deux ans de prison pour avoir publié un poème, soi-disant de propagande communiste. En 1972, il est à nouveau condamné pour avoir hébergé des étudiants recherchés par la police comme anarchistes, à l’époque où la lutte contre la dictature semi-militaire était par-ticulièrement violente. Une campagne de pro-testation internationale fut alors déclenchée pour obtenir sa remise en liberté. Mais il est actuellement de nouveau en prison, condamné pour meurtre à 18 ans de réclusion. Il est accusé d’avoir abattu un homme, qui était juge de profession, au cours d’une altercation. Or : — on n’a jamais mené d’enquête balistique ni d’examen médico-légal complémentaire du cadavre, — l’arme utilisée pour le crime n’a jamais été identifiée, — d’après les résultats d’autopsie, les points d’impact de la balle excluent pratiquement que Güney puisse être l’auteur du crime, — 11 semble que les témoignages aient été manipulés, — le procureur général de la ville d’Adana fut muté juste avant l’ouverture du procès — le procès fut ensuite transféré d’Adana à Ankara sans raison impérative — à Ankara, le président du tribunal fut rem-placé après que la défense eût demandé qu’il soit procédé à une enquête ballistique. Est-ce que ce ne sont que des hasards ? Tous les films de Güney défendent l’inviolabi-lité de la dignité humaine.