Samedi 5 juillet

Entretien avec Pierre-Yves Borgeaud, réalisteur de « Retour à Gorée »

Est-ce que vous pouvez nous parler des retombées de votre dernier film, Retour à Gorée ?
Alors, c’est un film à progression lente, qui a été tourné il y a deux ans et qui est sorti il y a plus d’une année. L’avant-première a eu lieu à New York, à l’ONU. C’était un immense honneur de pouvoir le présenter et puisse toucher des gens du monde entier,des hommes politiques par exemple. Il fait énormément de festivals. Moi, ça m’échappe un peu mais les retombées, on n’a pas fini de les mesurer. On ne peut pas parler de retombées puisqu’il est encore en mouvement ascensionnel. C’est un projet avec Youssou N’Dour. Il n’enregistre pas de disque, il ne fait pas de tournées ; il en fait un film. On fait un film ensemble. Et en fait, j’ai adopté son point de vue sur la traite des noirs. C’est un projet musical qui aborde la question de la traite des noirs et du commerce triangulaire de l’esclavage atlantique via la musique. C’est-à-dire voir l’aspect positif. Il y a un drame historique et de ce drame est né un merveilleux métissage entre l’Afrique et l’Occident, qui est pour moi une des plus grandes inventions du siècle : le jazz.

Vous êtes inspiré pour le projet que vous allez concevoir ici, en résidence ?
Je suis en train de découvrir plein de choses : le Musée du Nouveau Monde… Ca cogite, ça cogite. J’ai un an pour le concevoir ici, je l’écris et je le présenterai l’année prochaine. J’ai trop d’idées : trois pistes qui se rejoignent. Mais c’est pas tout à fait le même film que je vais faire. En ce moment, ça m’intéresse bien la mémoire. Le prochain projet surlequel je travaille est de filmer le métissage qu’il y a à Lausanne, chez moi. Nous avons 38% d’étrangers : Sri-Lankais,… et personne n’a l’idée ou même l’image de cela à l’étranger. A l’entrée de ma rue, il y a un restaurant vietnamien, un chinois qui tient un petit magasin, après un indien qui fait du traiteur, après une boutique de produits skrilankais et juste après des zaïrois qui tiennent un commerce : voilà, cela, c’est sur 50 mètres. Je devrais juste faire un plan de l’arrêt de bus et on verra les gens, et ce serait impossible de dire que cela se passe en Suisse !

Vous écoutez quoi en ce moment ?
L’artiste que j’écoute le plus est un artiste compositeur, qui est aussi un ami et qui s’appelle Don Li. Il fait une musique extrêmement novatrice et très inspirante pour moi. Et j’étais un fan avant d’être un ami. On est fan l’un de l’autre. C’est un très très grand créateur qui amène vraiment quelque chose de nouveau dans la musique. Pour moi, il incarne ce que pourrait être la musique au XXIème siècle. Moi, j’aime beaucoup la musique, j’écris avec la musique, je pense avec la musique. Et là, il n’y a qu’à écouter la radio, il n’y a que des répétitions, des reprises. Non seulement, ça se mord la queue mais en plus, il n’y a plus de création. J’ai été pendant dix ans critique musical, en jazz et musique électronique et je suis toujours à la recherche de cela. Je vais plus chercher dans le passé finalement qu’aujourd’hui. Ce musicien m’inspire beaucoup, on travaille ensemble puisqu’on fait des performances vidéo ensemble et on mêle vidéo et musique. Il ouvre des perspectives dans un certain minimalisme.

Anecdotes : Pierre-Yves Borgeaud raconte que le film a été présenté au British Film Institute et au London Film Festival, en présence du prince Charles et de Camilla Parker Bowles. Suscitant l’intérêt sincère de ces deux derniers, un vrai dialogue s’est engagé entre l’artiste et le couple princier. Ce sont les « valeurs positives véhiculées par le film » qui ont marqué ce dernier d’une curiosité profonde.

entretien réalisé par Dorothy Malherbe

Entretien avec Véronique Aubouy, artiste

D’où vous-est venue cette idée de filmer des personnes lisant Proust ? Etes-vous une inconditionnelle ? Ou au contraire faisiez-vous partie des effrayés de la Recherche ?
Au début, comme beaucoup de gens j’ai eu un peu du mal. J’ai commencé deux ou trois fois sans y parvenir. En fait j’ai fait un voyage en Amérique du sud quand j’avais 26 ans. Je suis partie toute seule pendant un an. J’avais au fond de mon sac le premier tome de la Recherche. Au bout de six mois j’avais vraiment le blues, j’ai donc sorti le livre, j’ai commencé et j’ai été happée… Puis, un jour quelqu’un m’a dit : « tes films sont très Proustiens ». J’ai donc essayé de diffuser Proust au cinéma, surtout à la télévision, genre dix minutes tous les soirs à minuit, mais ça n’a vraiment intéressé personne. Finalement, seul le milieu de l’Art a accueilli mon film. Il s’agit ici d’une longue projection, où on met le public dans une situation la plus confortable possible ; il peut donc se retrouver dans l’état du narrateur au tout début de La Recherche : « longtemps je me suis couché de bonne heure… ». Il raconte cet état entre deux consciences, entre le « je suis éveillé », et le « je suis endormi ». Ce sont des réalités différentes et tout le livre a été écrit dans le prisme de ces deux consciences.

Etes-vous déjà venue au festival de La Rochelle ? Que pensez-vous que cela va apporter à votre projet ?
C’est la première fois que je fais un festival. Pour moi être ici c’est vraiment la reconnaissance du milieu dont je suis issue, le cinéma. Ce qui m’intéresse c’est que mon film passe sur quatre jours, il y a cette notion de continuité. Je suis là comme une espèce de phare, de lanterne allumée qui permet de dire, « venez à n’importe quelle heure, après le dernier film, après votre dîner, je suis là, mon film est là, Proust est là ». Et c’est d’ailleurs le propre de ce film dans ma vie : quand on est cinéaste, il y a de longues périodes pendant lesquelles on ne fait rien, on attend la réponse à l’envoi d’un scénario, on attend, on n’a pas d’argent, on est tout seul. Grâce à « Proust lu » ces périodes sont plus faciles à passer ; c’est aussi ma propre lanterne magique… La notion de la lecture est très importante : j’ai grandi en regardant les films de la Nouvelle Vague – les dialogues c’est pas mon truc – mais, en revanche un livre lu, je trouve que c’est une forme qui permet exactement de voir à qui on a affaire, de voir comment le lecteur – et le spectateur – surmonte l’exercice.

Quelles sont les retombées de « Proust lu » ? Comment a-t-il été accueilli par la presse ?
C’est super, la presse : il y a des réactions assez passionnelles. Parfois il y a des gens qui s’emballent complètement sur ce projet et qui écrivent de très belles choses. Les gens qui se donnent la peine de réfléchir à ce travail sont super justes dans leurs appréciations.

Une fois la totalité de La Recherche terminée, que pensez-vous faire ? Avez-vous déjà une idée de votre prochain projet ?
Je compte terminer le film le plus tard possible, quand je serai très vieille. Je ne sais pas ce que je ferais si ça devait s’arrêter. Mais il y a aussi le projet Internet : « les baisers de la matrice ». Les personnes s’enregistreront sur leurs propres webcam, et passeront ensuite dans le désordre. On pourrait voir la fin du « côté de chez Swann » avant son début !!!

entretien réalisé par Aliénor Ballengé

Eloge de la permanence chez Werner Herzog, der Übermensch

Choisir l’Éphémère pour aborder la question de la permanence chez Herzog peut à première vue paraître paradoxal. Il serait en effet plus sage de réserver l’approche d’une telle thématique pour les arts immobiles, ceux-la même auxquels un autre « F.M.R. » est consacré, dans un luxe et un faste interdisant toute comparaison avec l’humble impression qui se trouve actuellement sous vos yeux.

Mais quoi de mieux qu’un paradoxe pour en évoquer un autre, à savoir la question de la permanence chez Herzog au sein de cet art fugitif qu’est le cinéma.

Des paysages pré-historiques de Fata Morgana, au Gasherbrum de la Montagne Lumineuse, l’éternel est chez Werner Herzog particulièrement présent. Un éternel sans retour cependant, car ses héros/surhommes sont ici davantage romantiques que Nietzschéens, mais témoignent cependant d’une même germanicité.

La notion de surhumanité apparaît en effet comme un héritage chez le philosophe, et daterait plutôt du XVIe siècle. On la rencontre en outre dans la littérature romantique, chez Byron ou chez Leopardi, pour désigner un idéal impossible ou mettre en lumière les limites de l’existence humaine.

Ainsi chez Herzog, le sculpteur sur bois Walter Steiner, excelle dans la discipline du « vol à ski » (plus spectaculaire encore que le simple « saut à ski ») et se voit contraint de sauter depuis des échelons moins élevés pour atterrir en deçà des 200m et ainsi sauver sa vie mais aussi prévenir les autres skieurs.

Ainsi le navire-cathédrale de Fitzcarraldo ou l’alpiniste sisyphique Reinhold Messner franchissent les montagnes, ainsi enfin le compositeur-comète Gesualdo enjambant les siècles par la modernité de sa musique.

Si Herzog l’orpailleur creuse dans les âges pour en faire jaillir des faits bien réels qu’il restitue en tant que tels, sans trucages, il reste d’une contemporanéité absolue. Herzog oeuvre dans un genre véritablement « anhistorique » et confère à ses personnages l’immortalité. Doit-on alors s’étonner de voir Herzog aborder lui aussi le thème de l’odyssée spatiale pour voyager « au-delà de l’infini » ?

Léonard Pouy