« Le cinéma, c’est un monde où les affinités, les rencontres figurent parmi les paramètres les plus décisifs. En faisant la connaissance d’une ou d’un cinéaste, on rencontre d’abord un être humain, avec lequel il faut avoir en commun une attente, une vision, une compréhension. De là naît une éventuelle envie de collaboration, de partage. Personnellement, j’aime mettre mon ego de compositeur en veilleuse pour m’inviter dans l’univers d’un cinéaste. C’est une expérience passionnante, pas toujours évidente mais enrichissante. C’est vraiment la rencontre qui crée l’œuvre. » Voilà les mots qu’utilise le compositeur trentenaire Amine Bouhafa pour résumer son approche de la musique pour l’image, dont il symbolise une nouvelle génération, on pourrait presque dire une nouvelle vague, surgie aux premières années du XXIe siècle.
Son parcours, c’est aussi celui d’un jeune prodige tunisien qui, encore étudiant au conservatoire de Tunis, commence à mettre en musique des courts métrages dès l’âge de seize ans. Après un passage par les États-Unis, il croise le chemin du cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako qui lui confie la partition de Timbuktu, fable humaniste sur l’esprit de résistance. Au festival de Cannes 2014, c’est autant la redécouverte de Sissako que la découverte de l’écriture d’Amine Bouhafa, sacré et consacré par un César, dix mois plus tard. À vingt-six ans, il est le plus jeune lauréat du trophée dans la catégorie Meilleure Musique originale. Pour lui, Timbuktu produira le même effet que Sauve qui peut (la vie) pour Gabriel Yared ou Un héros très discret pour Alexandre Desplat : un révélateur autant qu’un accélérateur. « À partir de là, souligne-t-il, il m’a fallu mieux réfléchir à la manière dont la musique pouvait s’insérer dans le cinéma, comme un hors- champ, une profondeur de champ, une façon d’exprimer les non-dits. »
Riche de sa double culture franco-tunisienne, Amine Bouhafa s’implique dans un cinéma engagé, avec un parti pris social et politique, auprès de metteurs en scène africains (Souleymane Cissé) ou nord-africains (Rachid Bouchareb, Kaouther Ben Hania, Erige Sehiri). Esprit curieux et œcuménique, au vaste panel esthétique, il noue de fécondes collaborations avec des cinéastes d’horizons très différents comme Philippe Faucon, Karim Aïnouz, Katell Quillévéré, Tristan Séguéla (la comédie Un homme heureux puis la série Tapie), Fanny Liatard et Jérémy Trouilh (Gagarine) ou encore Patrick Imbert (Le Sommet des dieux, chef- d’œuvre d’animation sur une ascension géographique, physique et spirituelle). Parallèlement, il assume des commandes de ballets et d’œuvres de concert, notamment Tolérance et interdits pour l’Orchestre philharmonique de Radio France.
À l’occasion de la projection en avant-première de La Prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy, Amine Bouhafa est cette année au Festival La Rochelle Cinéma aux côtés de la cinéaste, qui le rejoindra sur scène pour cette nouvelle Leçon de musique. Une façon également de célébrer les dix ans de sa naissance (et reconnaissance) professionnelle, de faire la synthèse de cette décennieprodigieuse et surtout d’évoquer la prochaine, afin de mieux rêver en avant.