Michaela Pavlátová est une réalisatrice de films d’animation née à Prague en 1961. Depuis son premier court métrage en 1987, elle explore les relations humaines – en particulier entre hommes et femmes. Son approche caustique démontre comment l’incompréhension intellectuelle, émotionnelle ou érotique peut ruiner les rapports humains. Elle déconstruit avec un humour décapant les visions romantiques du mariage et du couple, tout en exprimant un attachement viscéral aux pulsions érotiques et aux liens amoureux. En tension entre ces deux constats, le besoin de tendresse d’une part, et la dramatique incommunicabilité entre hommes et femmes d’autre part, ses films explorent les processus émotionnels et physiques infiniment complexes de joie, de colère, d’hostilité, d’abus, d’intimité et de solitude.
L’omniprésence de la question érotique et émotionnelle du point de vue féminin la relie à une tendance omniprésente dès les années 1980 dans le court métrage animé chez certaines réalisatrices telles que l’Américaine Susan Pitt, la Française Florence Miailhe, la Britannique Joanna Quinn, la Lettone Signe Bauman, ou encore la Polonaise Izabela Plucinska. Toutes partagent l’affirmation d’un désir conquérant, d’un corps féminin débordant de sensualité et de liberté charnelle, envers et contre tout carcan patriarcal.
This Could Be Me, l’autoportrait au charme puissant que Pavlátová réalise en 1995, esquisse un art de filmer avec lequel elle reste aujourd’hui encore fidèle. Elle y affirme le lien entre sa passion pour l’observation des relations humaines et son goût pour l’intimité. La visite de son atelier, « où personne ne peut [la] déranger », permet de présenter « les choses importantes pour [elle] : [s]on jardin secret (elle désigne une plante en pot) ; [s]on ami secret (elle caresse le dessin d’un visage masculin) ; [s]es outils secrets (elle dessine avec un marqueur sur une planche à dessin) ; et le chronomètre pour mesurer l’écart entre les mouvements et l’immobilité ». Elle déclare ensuite : « La réalité peut être plus intéressante que la fiction. Les relations avec mes parents, mon frère, mes amis, ma grand-mère… et puis les relations entre hommes et femmes. J’aime regarder les gens. Observer les visages. Créer les images derrière les mots. Voilà, c’est mon monde. Et ce pourrait être moi. » Avec ce mélange de légèreté, de dérision et de profondeur des sujets abordés, elle définit un genre bien à elle que l’on pourrait qualifier de comédie philosophique, ou encore d’humour existentialiste.
Animés par l’obsession de la langue et des incompréhensions qu’elle génère, ses premiers films proposent autant de petits sketchs sur l’incommunication entre homme et femme (An Etude From an Album, 1987, ou The Crossword Puzzle, 1989), où la communication est matérialisée par des objets graphiques. Les mots, les lettres et les sons deviennent de véritables présences physiques, palpables, maniables, sources de conflits amoureux. Ce leitmotiv trouve un point culminant dans son film nommé aux Oscars, Reci reci reci (Words, Words, Words, 1991) : là encore la langue est représentée plastiquement, sous forme de bulles de bande dessinée polymorphes et douées de leur vie propre. L’échange amoureux est toujours au centre, mais la question du verbe est étendue à l’ensemble du monde social, contenu symboliquement dans le café-restaurant.
La question des rapports de couple taraude également Repete (1995), Grand Prix du festival d’Hiroshima et sélectionné pour l’Ours d’or à Berlin. Comme l’indique le titre programmatique, cette exploration s’incarne dans un travail sur la répétition poussé à son extrême. Le point d’ancrage est un homme promenant son chien qui croise trois scènes récurrentes : une femme nourrissant son mari ; une femme sauvant un homme du suicide avant de le rejeter – ce qui le ramène à une nouvelle tentative de suicide ; et la tentative d’un couple de faire l’amour, interrompue par la sonnerie d’un téléphone. Les personnages répètent leurs routines encore et encore jusqu’à ce que le chien se détache, provoquant un chaos dans lequel les trois couples se heurtent et s’entremêlent. De nouvelles possibilités sont découvertes – au moins temporairement. Le film vient ainsi briser l’ennui des cycles de vie dramatiquement répétitifs liés à la vie de couple.
Le bonheur et l’exultation érotiques sont atteints dans deux films débarrassés du carcan matrimonial, Carnival of Animals (2006) et Tram (2012). Œuvre orchestrale, Carnival of Animals mélange allègrement les genres (masculins et féminins) et les règnes (animaux et humains), dans une poursuite érotique générale touchant tous les êtres doués de vie. Si le prologue drolatique est consacré à la poussée de la puberté et du désir chez les garçons et les filles, deux autres mouvements sont dédiés à une vision fantasmatique du point de vue de la femme, qui se déploient sans alter ego ni regard masculin (les vêtements d’une femme agitée par un strip-tease solitaire s’enlèvent et se remettent tout seuls ; des mains sans corps caressent un corps de femme nue). Les femmes sirènes, amies des bancs de poissons ou des vols d’oiseaux, offrent leurs corps au soleil, aux projecteurs ou aux oiseaux qui leur picorent les seins. Mais la lubricité est résolument générale, animant les organes génitaux doués de leur vie propre comme les mouvements animaux et végétaux en une farandole finale grotesque et carnavalesque.
Pour son premier long métrage animé, Ma famille afghane, récompensé par un César, Michaela Pavlátová a choisi un sujet apparemment éloigné de ses préoccupations, en s’emparant du roman de sa compatriote tchèque Petra Procházkova racontant l’immersion d’une jeune femme européenne dans la culture afghane. Pourtant, là encore, il s’agit d’une histoire de couple, de son évolution au sein d’un contexte spécifique, et d’une plongée dans l’intimité familiale, en particulier du point de vue féminin : celui de la protagoniste principale, expérimentant les compromis nécessaires à son acclimatation. Comme elle le précise elle-même : « Je n’ai pas conçu ce film comme politique; c’est une histoire d’amour, que l’on voit évoluer au sein de la situation afghane. Pour moi, il est important de considérer les personnes comme des individus. Pour moi, ce n’est pas un film sur l’Afghanistan, mais sur la famille. » Ce faisant, elle s’inscrit dans une tendance étonnante de films sur l’Afghanistan réalisés ces dernières années, notamment par des femmes : Les Hirondelles de Kaboul d’Elea Gobbé-Mevellec et Zabou Breitman (2019), Parvana – Une enfance en Afghanistan de Norah Twomey (2017), Flee de Jonas Poher Rasmussen (2021). Tous interrogent la possibilité d’une liberté individuelle au sein d’un contexte patriarcal violent. En cela, Ma famille afghane prolonge les questionnements d’une œuvre singulièrement cohérente, dans sa capacité à explorer les ambivalences et la plasticité humaines. —