Une expérience professionnelle, culturelle, humaine et linguistique unique au cœur du plus cinéphile des festivals de cinéma
Organisé par le Festival La Rochelle Cinéma en partenariat avec l’Auberge de Jeunesse de La Rochelle, CultureLab, projet originellement insufflé par l’Institut Français en 2013, propose à une dizaine d’étudiants et de jeunes professionnels des sphères cinématographiques, artistiques et culturelles du monde entier de venir vivre le festival en immersion totale. Pendant dix jours, ces jeunes francophones étrangers, âgés de 18 à 30 ans, suivent un programme sur mesure qui comprend de nombreuses projections de films du répertoire en copies restaurées, des avant-premières, des rencontres exclusives avec des professionnels du monde du cinéma, des ciné-concerts, des sorties ou encore des cours de critique quotidiens dispensés par Thierry Méranger, critique des Cahiers du Cinéma.
Interrompu pendant deux ans en raison de la pandémie de Covid19, la 50e édition du Fema voit renaître de ses cendres ce beau projet
Lieu de rencontre et de partage interculturel des plus foisonnants, CultureLab se donne pour objectif de faire découvrir à ses jeunes participants comment fonctionne un festival de cinéma d’une ampleur importante, de leur faire découvrir des œuvres cinématographiques aussi diverses que variées grâce à un programme éclectique, de développer leur pratique de la langue française et de créer des liens avec d’autres étudiants ou professionnels du monde du cinéma rencontrés pendant le festival.
Télécharger ici le Guide pratique des participants
Les pays qui ont participé depuis 2013 :
L’Azerbaïdjan, le Brésil, le Canada, les Comores, la Corée du Sud, les Etats-Unis, Haïti, le Ghana, l’Irak, l’Iran, l’Irlande, l’Islande, Israël, le Kosovo, la Lituanie, la Lybie, Malte, le Maroc, le Monténégro, la Russie, la Thaïlande, la Turquie, l’Ukraine.
Les pays participants en 2022 :
Cette année, le Fema a accueilli trois Irakiens, deux Irlandaises, une Indienne et une Libyenne : Ahmed Al Sudani, Yusif Al Jawadi, Hussein Al-Assadi, Fay Langley, Lucy McCabe, Kahini Kuchinad, Maryam El Saadi.
Retrouvez ci-dessous leurs témoignages, les rencontres auxquelles ils ont participé, et les textes des critiques qu’ils ont rédigé dans le cadre de leur cours de critique cinématographique.
Témoignages des participants 2022
« CultureLab fut l’une des belles expériences de ma vie ! J’ai adoré ces dix jours, rencontrer des personnes de différents pays et de cultures différentes était pour moi très beau. Si je devais décrire CultureLab en trois mots : Impressionnant, Passionnant, Inoubliable ! Merci pour tout. » Maryam El-Saadi
« Cette expérience a changé ma vie : je me suis faite de nouveaux amis, et il me tarde de comprendre la vie des autres et leurs raisons pour faire des films et des documentaires. Le programme du festival m’a beaucoup inspirée et intéressée. J’espère revenir au Festival La Rochelle Cinéma à l’avenir. Merci beaucoup ! » Fay Langley
« Cher Festival, ce fut une merveilleuse expérience de venir à La Rochelle et de rencontrer les autres participants de Culturelab. Nous avons appris beaucoup à propos du cinéma et de l’art, plus particulièrement du cinéma français et de son histoire. Nous avons mieux compris la culture française. À présent, nous avons une approche différente de la France. Merci pour tout ! » Huma et Hussein
« Une des plus belles expériences de ma vie ! Et la chose la plus importante pour moi, c’est que j’ai pu rencontrer des personnes de différentes cultures, partager l’amour et la passion du cinéma avec eux. J’ai adoré regarder des films plus anciens, des films muets et entendre des créations musicales originales en ciné-concert ! Venir à La Rochelle était une belle opportunité et j’espère participer encore une fois à une expérience comme celle-ci. Culturelab m’a beaucoup apporté à propos du cinéma. Avec amour et respect, merci pour tout ! » Yusif
« C’était un séjour plein de lumières, lumières qui sortaient des projecteurs pour nous raconter des histoires et qui ont éclairé notre âme. Merci beaucoup au festival pour ces belles lumières qui m’ont enrichi tant humainement que artistiquement. » Ahmed
Rencontres
Rencontres exclusives organisées avec, d’une part, les différents membres de l’équipe et, d’autre part, les professionnels invités du festival – Jean-Baptiste Thoret, Stéphane Lerouge, Hervé Joubert-Laurencin, Marc Olry et Serge Bromberg
Critiques 2022
Yusif Al Jawadi, Fight Club, David FInsher
Bien que ce film soit sorti il y a 22 ans, il reste pour moi à ce jour l’un des plus grands films du cinéma : je ne m’ennuie jamais en le regardant. Cet amour intense que j’ai pour le film est dû à la créativité dans la façon dont il est réalisé et aux messages cachés que David Fincher a dissimulés dans de nombreuses scènes. Regarder des films peut être vu comme une perte de temps pour beaucoup de gens, mais ce que nous ne pouvons pas nier, c’est que les films peuvent parfois changer la vie de nombreuses personnes. En regardant ce film, nous pouvons tirer de nombreuses leçons.
Au début, quand on veut parler de Fight Club, on parle du fait qu’il vise avant tout à critiquer le mode de vie consumériste de la population. La consommation est devenue une sorte de nouvelle la culture populaire pour les êtres humains. Obtenir un nouveau téléphone est parfois devenu plus important que manger et boire. Il est presque devenu normal de voir une personne avoir faim alors qu’elle porte des vêtements de marques luxueuses, ou une autre qui n’a pas de maison mais qui possède une voiture moderne et chère pour que les gens le voient de manière positive.
Dans une scène, le personnage de Tyler prononce le célèbre discours : « Tu n’es pas ton travail, tu n’es pas l’argent que tu as à la banque, tu n’es pas la voiture que tu conduis, tu n’es pas le contenu de ton portefeuille, tu n’es pas ta putain de tenue kaki ».
En fait, cette idée, bien qu’elle soit correcte, conduit à une sorte de controverse : faut-il revenir aux modes de vie antérieurs, habiter dans des grottes ou des arbres, renoncer au confort et au luxe, ou faut-il inclure plus de choses dans la liste ? Des besoins de base pour la survie afin que l’homme s’adaptent de façon continue à notre époque actuelle ? Personnellement, je n’aime pas les deux options. Il faut bien choisir ses priorités et en faire bon usage.
Le film se concentre également sur la notion de la perte du temps, ce qui n’est pas clair pour de nombreux spectateurs. Une scène se concentre notamment sur ce point : quand Tyler s’adresse aux membres du club et explique comment le nouveau style de vie les a changés, comment il a distrait leur potentiel et leurs capacités cachées en les forçant à travailler de longues heures dans des emplois souvent désagréables afin d’obtenir plus d’argent.
Ce film aborde aussi la question du sens de la vie, car il dépeint le personnage principal comme une personne qui réussit dans son travail, qui gagne beaucoup d’argent, travaille dans un travail respectable et possède un appartement élégant et moderne, un rêve que beaucoup de gens aspirent à réaliser. Mais malgré tout, cela n’a pas suffi à le rendre heureux.
Finalement, je sais qu’en écrivant cette critique j’ai enfreint les deux premières règles du Fight Club, mais parfois les règles sont faites pour être enfreintes.
Maryam El-Saadi, Inner Wars, Masha Kondakova
La colère, la tristesse, l’amour, c’est comme ça que la réalisatrice a pu décrire l’Ukraine avec l’histoire de ces 3 femmes bénévoles à la guerre (Lira, Ira et Lena). Ce film documentaire raconte le début de la guerre en Ukraine en 2014. À ce moment-là, beaucoup de personnes ont pris la décision de partir défendre leur territoire.
L’histoire de ces trois femmes m’a vraiment touché ! En sortant de la séance, j’avais beaucoup de questions dans ma tête : Comment est-ce que ces femmes ont pu abandonner leur vie et leur travail ? D’où vient leur courage ? Pourquoi avaient-elles cette envie de partir sur le front de guerre alors qu’elles savent que c’est dangereux et qu’elles peuvent mourir ?
Ce documentaire qui porte beaucoup de sincérité, de peine et de douleur, m’a appris des choses très importantes, que l’amour ne meurt jamais par exemple. J’ai pu le ressentir avec le personnage de Lira, une jeune journaliste qui a démissionné pour s’engager en tant que combattante et qui rencontre l’amour de sa vie pendant la guerre. Malheureusement, il mourra pendant les combats et Lira choisira de ne pas se remarier. A la fin du film, elle rejoindra son amour dans la mort.
Une autre chose m’a également marqué, c’est que la vie continue de la manière que l’on choisit : on a le droit de choisir de vivre comme on veut même si l’on vit des moments difficiles.
Ahmed Alsudani, Klondike, Maryna Er Gorbach
L’histoire du film Klondike tourne autour d’une famille qui vit entre les frontières de la Russie et de l’Ukraine lors de la guerre dans le Donbass en 2014 où Irka, une femme enceinte, refuse de quitter sa maison et son village alors que tous les villageois ont quittés leurs habitats. Irka est tiraillée entre un frère qui refuse d’abandonner son village et un mari ambigu qui cherche à aider les Russes, surtout après le crash d’un avion Malaysien près de sa ferme.
Le film nous montre l’horreur de la guerre et le combat entre les séparatistes et les personnes qui refusent que les Russes prennent leurs terres.
La réalisatrice, Maryna Er Gorbach, utilise une langue cinématographique très dure mais remarquable quand elle montre les événements de la guerre. Elle filme des scènes longues – certaines dure une dizaine de minutes – en utilisant de longs mouvements panoramiques et en faisant progresser sa caméra lentement. Le passage entre les événements semble lourd, parfois improbable, se déplaçant d’un endroit à un autre comme on peut le remarquer dans la première scène. Sans avoir besoin de déplacer la caméra vers un autre endroit, la réalisatrice, avec un long mouvement panoramique, nous montre le lieu en même temps qu’elle nous révèle la relation qu’entretiennent les personnages principaux. Elle utilise le son de manière que nous puissions imaginer ce qui se passe en dehors de la scène qu’elle est en train de filmer. En cela, l’explosion qui retentit dans la maison d’Irka n’a pas besoin d’être vue. Le son retentit et la caméra, seulement après la détonation, se tourne vers l’explosion. Cette première scène montre la façon dont la réalisatrice va raconter l’histoire de son film : son langage cinématographique sera très expressif.
Ensuite, nous suivons la rapidité des événements dans la longueur. La photographie se compose d’angles larges et complets des scènes, de sorte que le spectateur ressente la guerre et ses effets avec une vision d’ensemble, claire et lente.
Nous voyons la difficulté de ce film en termes de mouvements dans le cadre de l’image. Chaque élément qui se déplace dans le cadre voit le mouvement dessiné avec des lignes très précises et sophistiquées. C’est ce que nous avons vu dans la scène de l’accident de l’avion où la réalisatrice nous montre depuis le toit de la maison trois événements dans une scène (à l’avant du cadre nous voyons le mari en train de fixer le toit, au centre du cadre nous voyons les ambulances se diriger vers l’avion).
L’utilisation du son est plus visuelle qu’auditive. La réalisatrice utilise le son en l’associant au mouvement de la caméra, ce qui révèle visuellement l’événement dans l’imaginaire du spectateur. Les événements du film se produisent avec les personnages et il n’est pas nécessaire de voir l’histoire d’un point de vue différent. Ainsi, le spectateur est dans le ressenti des personnages et, à ce titre, la voix fait office de lien direct avec eux. La bande son est belle, mais son utilisation est parfois étrange dans certaines scènes.
La dernière scène comporte à mon avis un problème car l’événement qu’elle dépeint aurait eu besoin à certains endroits de plus de vitesse. Le sentiment de la scène est tendu et il n’était peut-être pas bon de le prendre de cette façon. Il est possible que la réalisatrice ait une idée spéciale que je n’ai pas comprise. Ou peut-être s’agit-il d’une crainte de briser la forme générale du film sur laquelle la cinéaste a travaillé depuis le début.
Kahini Kuchinad, No Táxi Do Jack, Susana Nobre
Le film No Táxi Do Jack de la réalisatrice portugaise Susana Nobre a été présenté en première dans la section Forum de la Berlinale en 2021. Fusionnant fiction et documentaire, ce docudrame suit Joaquim Calçada, un sexagénaire qui ressemble à un imitateur d’Elvis avec sa coiffure et sa veste en cuir. À quelques mois de la retraite, Joaquim se démène sans trop d’enthousiasme pour trouver des timbres afin de remplir les conditions administratives pour montrer qu’il a essayé de trouver un travail afin de conserver ses allocations de chômage. Il raconte son histoire d’immigration à New York dans les années 70 quand il a décidé de quitter la dictature au Portugal pour tenter sa chance aux États-Unis. Il y a occupé de nombreux emplois avant de s’installer comme chauffeur de taxi puis de limousine, tout en conduisant des célébrités comme Jackie Kennedy et Mohammad Ali.
Il est un peu accablé par les regrets – il mentionne qu’il a à peine vu son fils les yeux ouverts – et comment, de retour au Portugal, il n’est plus un fils chéri, mais un pauvre diable aux yeux de ses parents. Mais en même temps, il semble nostalgique de cette époque aux Etats-Unis – ça se voit dans les nombreuses prises de vue dans le rétroviseur des voitures. Le personnage de Joaquim est flamboyant et affable. Bien qu’à travers ses anecdotes, on puisse penser que sa vie est ordinaire ou même banale, il avoue en fait qu’il a eu une « vie merveilleuse », bien au-delà des attentes de ses parents.
Le contraste entre les scènes des petites villes et industries vides du Portugal et de la vie trépidante de New York est effectif. Mais la scène de crime, imprévisible (il s’agit d’une reconstitution d’un incident survenu il y a plusieurs décennies), est déroutante et dissonante. Le spectateur est transporté dans tous ces fuseaux horaires différents, mais pas de la manière fluide.
Le style est réaliste et particulier. Le film dure environ 70 minutes, mais son rythme lent le rend difficile à regarder. On essaie de traverser de nombreux thèmes sans entrer dans les détails – la politique, le chômage, l’immigration, le rêve américain, etc. Mais ce qui vous porte jusqu’à la fin, c’est le lien humain qui se dégage des petites anecdotes de Joaquím et des réminiscences subtiles de sa vie, de ses regrets et de ses rêves.
Lucy McCabe, No Táxi Do Jack, Susana Nobre
Rien de Martin Scorsese dans le nouveau film de la cinéaste portugaise Susana Nobre, No Táxi Do Jack (2021). Le récit-doc de Joaquim, homme à qui il ne manque que trois mois pour gagner la retraite quand il se met au chômage, choisit d’être plus méditatif que violemment appréhensif, se satisfaisant d’une lente accumulation de scènes au lieu d’un véritable point culminant.
C’est une histoire fondée sur des absences : la voix-off incomplète d’un homme d’âge mûr qui doit compter avec ses années plus turbulentes et ambitieuses en tant qu’immigrant à New York dans les années 70 d’un point de vue évidemment plus serein, mais privé des rêves brûlants d’un pays sans rien à perdre. Obligé de passer par des centres d’emplois en voiture pour satisfaire les termes de son allocation chômage, Joaquim ne surveille pas la ville comme son équivalent américain Travis Bickle, ni ne souffre d’illusions de grandeur. En revanche, dans le rétroviseur de sa Mercedes Elegance, il se regarde, plongeant dans un passé lointain qui veut joindre le présent calme et paisible, mais qui se bloque dans ce procédé de synthèse.
C’est plutôt l’usage fort de couleurs (par moments saturées) sur film 16mm et l’invocation d’un New York involontairement isolant qui rappellent le fameux Taxi Driver, alors que ce film subtil est d’autant plus expérimental que nostalgique, même si juste de manière sporadique – soit par des mises en abyme comme celle qui révèlent Jack dans son taxi sur le tournage du film, soit par la réalisation d’une scène d’intimidation violente commise par Joaquim quand un ami lui doit de l’argent, anecdote déjà racontée par notre narrateur mais rendu réel dans un style de mob boss peu devinable au sein de sa narration douce et toujours agréable, c’est-à-dire rétrospective. C’est comme si la maîtrise de Joaquim de sa propre histoire ne s’agissait que d’un scénario irréaliste du projet que Nobre veut accomplir.
Les autres épisodes sont courts et simples, et pour la plupart plaisants. Ils mettent en scène un marasme économique national dans le cadre des relations personnelles-légères de Jack avec sa femme (Maria Carvalho) et son ami (Amindo Martins Rato). Mais c’est le paysage portugais surtout qui ressort comme deuxième protagoniste, alternant entre richesse de collines vertes et sites industriels ou autoroutes ensoleillées, les lieux sacrés de ses déplacements. Pour le reste, il y a une séquence forte dédiée à son apprentissage de l’anglais avec l’aide d’un ami, étant entendu que parler une langue c’est aussi transmettre (sans parler d’accepter) ses attitudes. Si le destin cinématographique de Joaquim se caractérise par le voyage aller-retour d’un immigrant entre le Portugal et les États-Unis – un destin raté si l’on en croit la famille du personnage, qui passe à leurs yeux de ‘fils chéri’ à ‘pauvre diable’ – c’est aussi dans l’effort de montrer la stratification de deux vies et de deux cultures dans la mémoire et la conscience de celui qui les vivaient le plus intimement qui fait la réussite du film.
L’interprétation et le personnage également conquérants, il convient de noter que tous les deux s’inspirent de la vie réelle du non-acteur Veríssimo, celui qui a réussi à fasciner la réalisatrice jusqu’au point d’inspirer ce film assez long, alors que le sens d’une acceptation face à une situation peu optimiste dans l’âge avancé trouve sa propre piste dans le réalisme consciemment douteux qui charge le film. Discret et immanquable.
Hussein Al-Suadni, The Souvenir, Part I, Joanna Hogg
Le film de 2019 de Joanna Hogg, est un drame semi-autobiographique sur le passage à l’âge adulte et sur la relation tumultueuse entre une étudiante en cinéma impressionnable et un homme plus âgé, ancien soldat qui travaille pour le service extérieur britannique. Interprétée par Honor Swinton Byrne (la fille de l’actrice Tilda Swinton), Julie aspire à se libérer de sa classe moyenne, de sa famille conservatrice et de son éducation alors qu’elle travaille sur son premier projet d’école de cinéma. Anthony (Tom Burke) lui offre un aperçu idéalisé et ambitieux de l’amour et de l’intimité des adultes. Lors de leur première rencontre, Julie est prise par la voix profonde d’Anthony, son air confiant, ses histoires de pays lointains et sa maîtrise de l’art. Un moment critique du film est lorsqu’il lui montre le tableau rococo de la fin du XVIIIe siècle Le souvenir de Jean-Honoré Fragonard, basé sur le roman Julie ou la Nouvelle Héloïse de Jean Jacques Rousseau (1761). L’œuvre, dont le titre est éponyme au film, est au cœur du drame qui se déroule et préfigure ses thèmes centraux. Comme son exposition de films de 2013, Hogg situe les œuvres d’art dans les films presque comme des personnages principaux qui interagissent avec l’intrigue, l’esthétique et la crise croissante au sein du protagoniste.
La principale tension dans le film concerne les effets de la dépendance. Julie découvre qu’Anthony est un consommateur d’héroïne au début du film lorsqu’elle remarque des marques d’injection sur son bras. Cependant, elle les rejette rapidement comme une éruption cutanée afin de maintenir son sentiment de déni à propos de son amant idéalisé. Néanmoins, la dépendance d’Anthony à l’héroïne se reflète dans la dépendance de Julie à Anthony. Comme la ruée écrasante de produits chimiques tels que l’héroïne, Julie semble elle aussi piégée dans son désir d’amour sans fin. Hogg le démontre à travers le placement constant de Julie dans le cadre de la caméra.
Alors que la réalisatrice cherche à centrer son protagoniste, Julie ne se voit pas au centre de sa relation dominée par l’ombre menaçante de la personnalité et de la maladie d’Anthony. L’indication la plus directe du désir de Hogg de dépeindre Julie comme la véritable toxicomane apparaît dans une scène où la jeune femme, et non Anthony, assiste à une réunion de Narcotiques Anonymes et écoute le témoignage d’un toxicomane en convalescence. Julie semble comprendre les expériences du toxicomane. Pourtant, bien qu’elle ait été blessée à plusieurs reprises par les actions d’Anthony, Julie choisit encore et encore de retourner vers son amant, laissant le public mal à l’aise se demander « qui est le vrai toxicomane ? »
Hogg montre magistralement le passage du temps à travers des techniques telles que des transitions abruptes entre les scènes où les personnages sautent rapidement entre les conversations, les lieux et les jours. Le style narratif se rapproche d’une forme non linéaire de narration. Et ces techniques aident à développer le caractère de Julie qui est généralement sûr et conservateur, mais qui vire aussi à l’impulsif et à l’autodestruction quand il s’agit de sa relation avec Anthony. Et chaque fois que Julie subit un préjudice aux mains d’Anthony, le réalisateur insère une scène où Julie est forcée de confronter son propre reflet dans un miroir ou une surface réfléchissante. Le reflet semble quelque peu déformé pour indiquer le sens déformé de soi du protagoniste.
Fay Langley, La Leçon de Piano, Jane Campion
Une expression anglaise dit : “Les opinions sont comme des derrières. Tout le monde a quelqu’un mais la quasi-totalité du temps, ils se sentent mal.”
Quand je pense à la réalisatrice Jane Campion, cette expression me vient à l’esprit. Dans l’industrie cinématographique, il est parfois difficile de faire des films que les gens vont aimer et comprendre dès le premier visionnage. Ce fut surtout le cas pour la jeune femme Campion qui a essayé d’expérimenter avec son premier film, Peel, à l’Université. Ce film a récolté des réactions vraiment négatives de la part des gens. Si elle avait suivi les conseils qu’on lui avait alors donné et qu’elle avait arrêté de réaliser avec son propre style cinématographique, nous aurions à peine eu la chance de témoigner du talent de la meilleure réalisatrice et provocatrice à cette époque-là, voire, si j’ose dire, dans l’histoire du cinéma. Campion nous enseigne des leçons de vie. Les nombreuses batailles qu’elle a dû mener au cours de son existence font l’un des principaux thèmes de son film La Leçon de Piano.
Si nous avons progressé contre le sexisme aujourd’hui, il était encore prégnant à l’époque à laquelle se déroule le film. Campion met en scène le personnage d’Ada McGrath, une jeune femme muette qui parvient à s’exprimer avec d’autres moyens que la parole, comme ses mains, son visage, son silence effrayant et surtout par la musique avec le piano. Ce personnage principal qui ne peut utiliser sa voix pour s’exprimer met en lumière une grande problématique :
Souvent les femmes n’ont pas la même voix (ou absolument pas de voix) dans les domaines que les hommes ont le contrôle. En fait, trop souvent, si les femmes veulent obtenir quelque chose ou progresser, il faut entamer un jeu de séduction pour y arriver, comme le fait Ada dans le film avec George Baines pour obtenir son piano laissé à l’abandon sur la plage.
Cela va sans dire que le film a mis en lumière un sujet très important, et d’une manière complexe, avec une mise en abyme créative et sophistiquée. Du fond de mon cœur, ce film me donne l’espoir pour l’avenir des réalisatrices. Merci Jane pour ton courage.