Alexandra Stewart

Nicolas Thévenin, rédacteur en chef de la revue Répliques

Alexandra Stewart, dont l’humour est une plaisante évidence après quelques mots échangés, s’amuse d’avoir publié des mémoires – Mon bel âge, en 2014 – en forme de name dropping. Ce sont effectivement les rencontres induites par ses nombreux voyages, depuis celui qui la fit quitter son Québec natal pour gagner Paris à la fin des années 1950, qui ont dessiné les lignes de la vie toute en mouvements de celle qui dit avoir un goût inaltérable pour la découverte des cultures étrangères. Le titre de l’autobiographie de l’actrice, inspiré par celui du film de Pierre Kast – Le Bel âge, en 1960 –, pourrait ainsi ne circonscrire aucune période en particulier mais décrire au contraire un parcours général romanesque et passionné, qui ne semble pas affecté par la nostalgie. D’abord mannequin pour des photographies de mode et des films publicitaires, côtoyant Boris Vian, croisant Ernest Hemingway ou Orson Welles, elle fait ensuite « partie d’une bande » devenue légendaire, celle que constituent les audacieux cinéastes de la Nouvelle Vague, dont elle devient l’une des égéries, non loin d’Anna Karina. Pierre Kast, Jacques Doniol-Valcroze, Louis Malle, plus tard François Truffaut lui offrent ainsi des rôles à la mesure de sa prestance, qui aimantera pendant plusieurs décennies le regard de réalisateurs aux sensibilités diverses : Otto Preminger, John Huston, Roman Polanski, Luigi Comencini, Claude Chabrol, François Ozon, pour n’en citer qu’une poignée. La multitude de personnalités qu’Alexandra Stewart a fréquentées, de plateaux de tournage qu’elle a arpentés et de registres cinématographiques qu’elle a abordés ne l’ont néanmoins jamais incitée à se départir de sa modestie caractéristique : « Il m’a toujours été plus facile d’apprécier le travail des autres plutôt que le mien », nous dit-elle.

Trois films comme autant d’incarnations saisissantes viendront illustrer pendant cette édition du festival, dont Alexandra Stewart est nouvellement la marraine, une carrière irréductible à une époque ou à une langue, encore moins à un courant. En 1963, dans Le Feu follet, elle a un « rôle-détonateur » : celui de Solange, « l’ange de la mort » tel que la définit celle qui lui prêta sa beauté, fatale à Alain, qui se suicidera peu de temps après avoir mené avec elle la dernière conversation de son existence alors qu’elle lui signifiait la possibilité d’être aimé. Cette présence de l’actrice dans le film de Louis Malle, tardive dans l’intrigue mais cruciale dans la mémoire cinéphile, attira l’attention d’Arthur Penn, qui la mit en scène deux ans plus tard aux côtés de Warren Beatty dans Mickey One, lui faisant expérimenter de nouvelles méthodes de travail afin de la plonger dans un film en trompe-l’œil, dont seul son personnage semble pouvoir canaliser la folie formelle en même temps que celle qui anime la cavale de son héros. Enfin, en 2015 dans La Duchesse de Varsovie, elle évolue pour Joseph Morder dans un Paris idéalisé, à l’artifice ostentatoire, propice au déploiement du dialogue avec un petit-fils retrouvé et à la révélation des secrets enfouis par l’Histoire, pour pouvoir enfin s’en délester afin de s’envoler, littéralement. C’est ainsi dans les airs que nous saluerons Alexandra Stewart, avant de la retrouver dans des contrées où le vent aura ensuite choisi de la porter. —