Concours de la jeune critique
Le Festival La Rochelle Cinéma organise pour la troisième fois, en partenariat avec Sud Ouest, l’Hôtel Saint Nicolas – Groupe COSY HOTELS et LaCinetek, et dans la continuité des nombreuses actions menées en direction des lycéens et étudiants, un Concours de la jeune critique.
Toute personne âgée au plus de 26 ans, pouvait participer en rédigeant entre le 21 mars et le 21 avril 2019 un texte sur Dario Argento, auquel le Festival consacre cet été un hommage.
Un jury composé de membres de l’équipe du Festival, de Jean-Baptiste Viaud (La Cinetek) et de Luc Bourrianne (Sud Ouest), a désigné les cinq lauréats.
Le premier prix : deux accréditations et le logement, pour deux personnes et deux nuits, à l’Hôtel Saint Nicolas.
Le texte remportant le premier prix sera publié sur le site de Sud Ouest au moment du Festival.
Lauréats 2019
1er prix : Alexiane Trapp, 21 ans
Le frisson de la découverte.
Dario Argento se remémore dans son autobiographie que toutes les lectures de son enfance, en grande partie des romans policiers, font partie intégrante de lui-même et c’est comme si, en lisant, un souvenir refaisait surface. Cette même évidence m’est apparue lorsque j’ai découvert Ténèbres. J’ignorais tout de lui, jusqu’à son nom. J’ai eu la sensation étrange d’avoir trouvé quelque chose qui me comblait, une certitude qui avait toujours été quelque part au fond de moi.
J’ai trouvé la clé des portes condamnées jusqu’alors. Il les a ouvertes avec ses dédales de couloirs envoûtants, grâce au malaise installé par les longues traversées et aux éléments qui viennent surprendre les protagonistes. Il me désoriente en me plongeant au cœur d’architectures labyrinthiques aux multiples reflets, me trouble avec ses jeux de regards et de prise de vue subjective, et me déboussole en m’emportant dans ses mouvements de caméra ensorcelants. Mais c’est l’horreur macabre, toujours à la frontière du comique, qui me trouble le plus.
Le premier meurtre dans Ténèbres fit naître en moi le début d’émotions contradictoires qui m’apparaissent devant ses films, de l’angoisse au rire, passant par la fascination. Cette scène anima cette passion qui allait me poursuivre : les mains gantées d’Argento, un rasoir planté dans le cou de la femme, les yeux grands ouverts qui s’éteignent et beaucoup de sang. La musique synthétique lors de l’assassinat suivie par un silence sépulcral qui laisse sans voix, dénote d’une violence inattendue, annonçant une suite de meurtres similaires. L’artiste assassin, maître peintre du rouge ; couleur de désir et de mort.
C’est dans le cauchemar du tueur, qu’est apparue une image toujours ancrée en moi : les escarpins écarlates suivis en rythme par Goblin, qui martèle le glas de la vengeance avec des notes enfantines, puis en découle un côté inquiétant et aqueux. Ce sont ces chaussures accompagnées de cette fureur, force sacrée, qui m’éblouit, chez toutes les femmes de ses films. Univers onirique rouge, noir et jaune. C’est cette intensité esthétique qui tâche ma mémoire, et accentue la perte de repères. Du rose au bleu pour Inferno, le bleu et noir de Phenomena, la saturation des primaires dans Suspiria, jusqu’au blanc dérangeant avec Ténèbres. Mais restera toujours ce rouge profond et passionnel.
Quand, dans Inferno, Rose Elliot vêtue de sa jupe rouge, tente d’échapper au tueur, elle arrive au fond d’un long couloir qu’elle doit traverser. Ce n’est pas tant l’urgence de la situation que cette lumière rouge clignotante, qui a pour moi été le point culminant d’angoisse. Persuadée qu’au bout de l’étroit passage, elle atteindrait la couleur symbolique de sa fin. Dans la pièce suivante, elle sursaute, son pied est teinté par la lumière. Entre le vent et la pluie, le bleu et le rouge, la panique est à son apogée, scandée par le tonnerre. Avec elle, au milieu de ces tons surnaturels, j’ai peur. L’eau envahissant la pièce est mêlée à la couleur annonciatrice, source d’angoisse. Surgissent d’une fenêtre des mains crochues immobilisant Rose et l’écorchant. La vitre écarlate devient guillotine, le sang jaillit, comme de la peinture jetée sur une toile. Le rouge à en faire pâlir les roses et à en faire mourir le désir.
C’est ce que me laissera Argento, le goût amer de la satisfaction mortuaire. Son horreur poétique. Je continuerai à plonger dans son univers viscéral et cathartique, qui a changé mon rapport à l’épouvante et à la couleur. Ce magicien de la mise en scène a acéré mon regard, rendu les tons plus vifs, les détails plus présents, rien n’est là au hasard. Les spectateurs non plus.
2nd prix : Arnaud Pouzargues, 23 ans
Pluie de vices embaumés,
Attente.
Eclatement délecté de stupeurs, de chair blonde, humaine, érotique
Cris : de verre, cri fin d’horreur, cri drapé de lin blanc, cri dont les hanches habitent, font habiter, pour un temps, le territoire des ombres
L’acharnement esseulé d’une pulsion, la foule interne, organique, d’une exaltation morne –
les dents, ici se déchaussent presque, tant la folie abonde entre les gencives, dont les vaisseaux gorgés de sang prônent leur déchirement –
L’expulsion n’aura lieu, refoulée sur le marbre, qu’à travers l’amoncellement des organes. La lame met bas ce qui, du corps, semble propice à l’œil frénétique, à la délectation vivace, à un plaisir non feint que seule l’obscurité persistante de la pièce cache encore, malgré les éclats d’Argent sur l’écran.
Eclats rythmiques, intensité du découpage, maintenus par l’orgue électrique aux puissances symphoniques multiples, irascibles et collant aux plans d’une merveilleuse grâce. L’indicible est donné, mis en branle, la poitrine intense laisse échapper derrière elle le frisson sardonique d’un rire, recueillement évanoui devant l’imminence, préscience instantanée du fait –
la main se glisse, gantée, le long d’une nuque docile, elle atteint sans peine une âme simple, éprouvée déjà par les sévices de sa vision –
Trop confiante, celle d’un corps immobile, spectateur, ignorant le caractère irréversible du rite. Elle n’aura pour elle aucun sanctuaire, aucune issue.
Juste le face à face deversé d’une lame sur l’écran-peau.
Blonde, mince, agile, douce, futile ou absente, au nom d’Asie ou à l’inconnue fragile, danseuse éclatante de blanc, d’innocence, à celle qui, dans l’entre-temps des plans de glace, parcourait les rues de Rome, aux regards azur d’une vestigiale enchanteresse – en bref: à celle qui n’auront pas eu le temps de faire les comptes du vide, juste avant que l’heure sonne, avant qu’elles croisent le chemin de croix du prêtre Dario Argento.
3ème prix : Juliette Sergent, 23 ans
Le cinéma m’a appris à quel point s’endormir dans une salle de projection est risqué. On peut facilement déraper et traverser l’écran, devenir détective, travailleur de nuit meurtrier ou magicien.
Certains univers sont cauchemardesques. Mon espérance de vie dans un film de Dario Argento, par exemple, me paraît limitée.
Je serais danseuse, archéologue, poétesse, inspectrice, soprano. Talentueuse mais hantée par des démons visibles ou non, proie de psychopathes ou de sorcières, somnambule, anorexique et amnésique.
Dans le monde de Dario Argento, je peux vivre un cauchemar teinté de bleu ou de rouge, dans une architecture vertigineuse truffée de couloirs interminables. L’évanouissement n’est pas conseillé, de peur de me réveiller séquestrée par un tueur en série… ou de ne pas me réveiller du tout.
Dans une logique onirique chère au cinéma policier et d’horreur, ma terreur sera toujours surpassée par ma curiosité. Je dois résoudre l’énigme, trouver les trois clés, traquer l’assassin quitte à en mourir. Et si les bâtiments ont des étages et des sous-sols interdits, des passages secrets qu’il vaudrait mieux ne pas découvrir, je les trouverai.
Mon songe est principalement urbain. La musique résonne mieux dans un hôtel ou une bibliothèque. Lorsque mes enquêtes m’entraînent vers un extérieur, il est hostile et m’oblige à retourner me réfugier dans les lieux clos qui auront ma peau. La nature est magique et vicieuse : l’homme qui n’obéit pas aux lois naturelles occultes est puni. Insectes et rongeurs peuvent se révéler tout aussi meurtriers qu’un tueur en série, et au-delà de la mort, l’animal peut maudire celui qui l’a tué.
Je m’appelle Suzy, Rose, Aura, Anna, Sarah, Jenifer. Je suis héroïne ou victime, parfois les deux. Si je survis, ce n’est jamais sans séquelles ; je suis menacée, séquestrée, torturée, possédée, harcelée (ou pire).
Sortir de l’écran est un soulagement, ce qui ne m’empêchera pas d’y retourner à la première occasion.
4ème prix : Alessia Petrozzi, 18 ans
Maître de l’horreur ou psychanalyste de l’humain?
Reconnu pour ses œuvres policières et de suspense dites “giallo”, ce genre qui deviendra sa prédilection naît dans les années 1960 en Italie. Argento débute dans le cinéma aux suites de nombreuses rencontres qui le poussent à réaliser.
Ses histoires construites de manière classique ouvrent à une intrigue moderne grâce à l’apport de réflexions et de critiques sur l’ambiguïté et la complexité du monde.
Une mission: déceler le comportement des Hommes.
Médiateur de la pensée intérieure de l’homme, Argento nous donne une vision sur les prémisses de l’attitude humaine à travers une conception psychologique et par l’ajout d’une esthétisation de la forme.
Couleurs, lumières, musiques sont des éléments primordiaux pour la construction d’un récit fictif, à la fois captif et intriguant pour le spectateur.
Par une mise en scène travaillée et des décors aux allures flamboyantes évoluent des personnes aux modèles de vie respectables qui s’avèrent être psychologiquement atteints par un mal intérieur.
Une thématique de la société et de sa dureté interrogée par le réalisateur qui prétend donner un idéal parfait et conforme des hommes.
Intransigeante et oppressante, elle impose un cadre aux personnes; punissant les unes et récompensant les autres.
C’est la société, cette entreprise elle-même, qui construit ses membres. Elle est le berceau d’un ensemble de règles, d’exemples qui les dirigent. Ces individus, appréciés car indifférents et égaux entre eux, ne marquent pas ainsi de contrastes vis-à-vis du pouvoir mis en place par le modèle institutionnel.
Au contraire, les hommes déviants vivant leurs mal-êtres deviennent des monstres à éradiquer.
Injustice ou idée d’équité ? Une réflexion abordé dans ses œuvres.
Un travail de la forme et du contenu indissociable pour rendre le discours d’Argento pertinent. Une somme d’idées, également déterminée, selon le contexte historico-politique d’un pays et de sa restructuration au cours de l’Histoire.
5ème prix : Coline Drouhaud, 18 ans
Au plus profond de la nuit, là où seules les âmes torturées osent s’aventurer, il marche tranquillement, silhouette écarlate parmi les ombres. Dans les longs couloirs sombres de ses cauchemars, où violence et sexe le tourmentent, il s’inspire.
Je ne sais si je suis éveillée. Je suffoque, les mains portées à ma gorge. Mon cœur s’emballe, les palpitations me décrochant la poitrine. Je ne vois plus, les yeux pourtant grands ouverts, mais seulement, je vois rouge. Si vous vous aventurez dans l’univers de Dario Argento, n’espérez pas en ressortir indemne.
C’est un artiste qui n’a peur de rien, et pour qui Suspiria (ayant eu le droit à son remake en 2018) fut un tournant décisif pour sa carrière. Préparez vous à mettre les pieds dans un univers fantastique aux graphismes crus, aux métaphores visuelles puissantes, où les seules limites sont celles de l’imagination, son imagination. Avec des mises en scène toujours plus ingénieuses dans lesquels il assassine sans remords, et avec toujours plus d’originalité, ses personnages. Souvent des femmes, elles qui ont pourtant une place toute particulière dans son univers. Des femmes puissantes, des femmes fortes. Mais dans la nuit pourpre, tout le monde finit par perdre la tête. Lorsqu’il est accusé de sexisme ou de misogynisme au vu de ces nombreuses mises en scène, il se contente de rétorquer que “Dans mes films, il y a des hommes et des femmes qui se font couper en pièces”. Et en effet, Dario Argento est un vrai mécanicien de la mort, un passionné qui repousse toujours plus les limites de la violence, allant parfois jusqu’à l’insoutenable, le dérangeant. Et puis il y a cette musique, la musique. Les murmures, les gémissements, qui vous rongent au rythme fou des guitares du groupe Goblin. Je ne peux écouter les bandes originales sans cesser de me sentir observée, menacée. Je comprends alors pourquoi Alice Cooper est un si grand fan du réalisateur.
Mais surtout, ne pensez pas vous retrouver devant le Hitchcock italien. Le cinéma d’Argento est tout sauf linéaire, froid ou distant. Ici on vous entraîne de force dans des histoires passionnées, fantaisistes, hypnotisantes. Un cauchemar qui pourrait-être tout droit sorti d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe. Par ailleurs certains acteurs ne se sont jamais remis d’avoir tourné avec lui. Quant à sa femme, rencontrée sur un tournage, et ses filles, il les a assassinées sur grand écran plus d’une fois dans ses contes de fées macabres. Peut-être comme moi, resterez vous coincés, à errer dans ses délires nocturnes, où ses muses dansent entre les cadavres et où chaque petit détail a son importance. Une simple couleur d’yeux peut changer la perception d’un personnage, un simple effet visuel peut apporter à la terreur du spectateur. C’est avec un style unique qu’il se démarque de la foule de films d’horreur qui s’abattent sur nos écran. Si vous entrez dans son monde, vous ne pourrez en sortir que la rétine gravée de rouge.
• Conditions de participation :
Être né après le 21 mars 1992, et rédiger en français un texte (entre 300 et 600 mots) sur Dario Argento, auquel le Festival rend hommage cette année.
• Calendrier :
21 mars 2019 : ouverture du concours
21 avril 2019à minuit : date limite de réception des candidatures
16 mai 2019 : annonce des résultats
• Récompenses :
1er prix : Deux accréditations + Le logement pour deux personnes et deux nuits à l’Hôtel Saint Nicolas pendant l’un des 2 week-ends du Festival + la publication du texte du lauréat sur le site de Sud Ouest
2ème prix : Une accréditation + 1 an d’abonnement à LaCinetek
3ème prix : L’affiche et le catalogue du Festival + 1 an d’abonnement à LaCinetek
4ème prix : L’affiche du Festival + 1 an d’abonnement à LaCinetek
5ème prix : L’affiche du Festival
Les 5 lauréats verront leur texte publié sur le site du Festival
• Le jury :
Sophie Mirouze (Déléguée générale & Co-directrice artistique)
Arnaud Dumatin (Délégué général & Directeur administratif)
Prune Engler (Co-directrice artistique)
Anne-Charlotte Girault (Chargée de mission relations publiques, partenariats & logistique)
Etienne Delcambre (Responsable site web & réseaux sociaux)
Jean-Baptiste Viaud (Délégué général, LaCinetek)
Luc Bourrianne (Chef de rédaction, Sud Ouest)