Le monde intérieur de Bruno Coulais

Stéphane Lerouge

En 1978, jeune symphoniste, Bruno Coulais découvre dans la musique de film un moyen d’expression supplémentaire, une façon d’amener l’exigence de son écriture vers le plus grand nombre. L’aiguillage s’effectue avec François Reichenbach, puis avec des auteurs comme Jacques Davila, Christine Pascal, Nico Papatakis ou Agnès Merlet. « Au cinéma, explique-t-il, le compositeur doit aller à la rencontre des metteurs en scène, entrer dans leur monde, mais sans renoncer au sien propre. C’est cela la difficulté ou le paradoxe de la musique pour l’image. En collaborant avec des cinéastes aux univers très variés, je pense avoir découvert beaucoup de choses en termes d’écriture. Ce qui m’a aidé à progresser, à explorer des territoires qui n’étaient pas naturellement les miens. » Le grand public découvre la puissance de feu de son écriture avec les séries télévisées de Josée Dayan (La Rivière Espérance, Le Comte de Monte-Cristo) et le documentaire Microcosmos du binôme Claude Nuridsany-Marie Pérennou,voyage initiatique à l’échelle du centimètre. À cette plongée dans le monde de l’infiniment petit, Coulais injecte un étrange lyrisme, entre émerveillement et fantastique. Plus largement, Microcosmos lui vaut une avalanche de sollicitations, d’Olivier Dahan à Gabriel Aghion, de Mathieu Kassovitz à Akhenaton, lui permettant à l’occasion de nouer un rapport de fidélité avec des cinéastes comme James Huth, Jean-Paul Salomé ou Frédéric Schoendoerffer. Qu’il s’agisse d’œuvres de recherche, de blockbusters à la française (Belphégor, Les Rivières pourpres, Brice de Nice) ou des documentaires de Jacques Perrin (Le Peuple migrateur, Océans, Les Saisons), Coulais envisage son art comme une fenêtre ouverte sur le monde, révélant un don d’alchimiste moderne, une manière personnelle de métisser les cultures, de créer une véritable fusion entre, par exemple, chœurs tibétains, percussions égyptiennes et polyphonies corses avec A Filetta, son groupe vocal fétiche depuis le Don Juan de Jacques Weber. Sans parler d’une griffe unique pour échafauder des climats oniriques d’une inquiétante douceur, à base de berceuses distordues au charme hypnotique, voix d’enfant et boîtes à musique. Curieusement, ses grands succès populaires ne le restreignent pas à une famille, à un périmètre déterminé. 2004, par exemple, sera une année schizophrène, écartelée entre le tsunami des Choristes de Christophe Barratier et Genesis, brillant documentaire sur le sens même de la vie, à la partition exigeante, d’une modernité frontale. De la même manière, Bruno Coulais s’impose en trait d’union entre le cinéma d’animation d’auteur (avec Henry Selick ou Tomm Moore) et Benoit Jacquot, cinéaste pourtant d’une grande défiance à l’égard de la musique à l’image, a fortiori originale. Depuis 2008, Coulais met en musique tous les longs métrages de Jacquot, des Adieux à la reine à Eva, de Trois Cœurs à Au fond des bois, pour lequel il écrit un Concerto pour violon au lyrisme tendu et douloureux, enregistré en amont du tournage. Aujourd’hui, après trente-cinq ans de composition pour l’image, Bruno Coulais a acquis un statut unique de compositeur passeur, agent triple, dynamiteur de frontières. La preuve : à l’intérieur de sa filmographie, le Marsupilami tend la main à André Gide, Diderot sourit à Isaac Hayes, Lucky Luke tutoie Bertrand Tavernier. Ses retrouvailles rochelaises avec son ami cinéaste Volker Schlöndorff permettront de mieux comprendre la singularité d’un créateur dont le calme extérieur contraste étonnamment avec l’intensité du monde intérieur.