Jean Claude Vannier est l’homme de toutes les situations musicales. à partir de sa fracassante collaboration avec Serge Gainsbourg (il co-écrit et arrange le mythique album Histoire de Melody Nelson), il s’impose comme l’un des couturiers vedettes de la variété française, en composant et/ou arrangeant pour Johnny Hallyday, Jane Birkin, Barbara, Claude Nougaro, Michel Polnareff, Brigitte Fontaine, Michel Jonasz, Julien Clerc, Maurane… Musicien autodidacte, son goût pour l’insolite le pousse vers une écriture non formatée, aux harmonies qui frottent, aux trouvailles orchestrales surprenantes, étranges, décalées. Comme des réminiscences d’enfance, de fanfares, de limonaires, de kiosques à musique. « Beaucoup de gens avouent reconnaître d’emblée mes arrangements, souligne-t-il. Est-ce un compliment ou non, je ne l’analyse pas. Ce sont peut-être des obsessions, ou ce que l’on appelle un style, je ne pourrais pas le dire. Il est vrai que je déteste les rythmes qui ne servent à rien et les harmonies inutiles, alors j’ai toujours épuré. De même, j’adore ce qui est déglingué, les fausses notes, les instruments désaccordés. Ce n’est pas une forme de provocation mais mon expression naturelle. »
Cette griffe se retrouve dans ses albums comme interprète et dans les bandes originales qu’il compose depuis la fin des années 1960. Le cinéma, Jean Claude Vannier l’appréhende d’abord en lieutenant du compositeur Michel Magne, puis en co-écrivant avec Serge Gainsbourg une dizaine de bandes originales pour André Cayatte, Claude Berri… ou Pierre Granier-Deferre, sur La Horse, polar paysan interprété par Jean Gabin. « J’aime le piment orchestral de Vannier et Gainsbourg, insistait le metteur en scène, leur utilisation d’instruments déracinés comme le banjo ou le clavecin, très insolites dans leur rapport à l’image. Ça tire La Horse vers le cinéma, pas vers le vraisemblable. Et c’est exactement ce que je recherchais. » Ensuite, volant de ses propres ailes, Vannier met en musique des œuvres d’auteurs aux univers singuliers (Daniel Dubois, Gérard Zingg, Maurice Dugowson, Guy Jacques, Valérie Mréjen), loin de tout formatage et establishment. « Je ne suis pas soluble », aime rappeler le compositeur. Autrement dit, Vannier est un créateur qui rencontre le désir d’un metteur en scène, davantage qu’il ne s’y plie. Idée qui se confirme au gré de ses rencontres avec Philippe Collin (écoutez la petite formation de flûtes à bec d’Aux abois) et surtout Philippe Garrel. En trois jalons d’une collaboration incandescente, Vannier parvient à convertir le réalisateur aux vertus de la musique originale, notamment en enregistrant à l’image, au piano. « Nous avons appris à nous connaître, nous avons évolué l’un par rapport à l’autre, avoue-t-il. J’ai fait des concessions, Philippe en a fait de même. » Après Sauvage Innocence et Les Amants réguliers, La Frontière de l’aube marque un cap décisif : Vannier convie le violoniste Didier Lockwood à interpréter la partition originale à ses côtés, en duo piano-violon, comme deux voix intérieures, celles du couple Louis Garrel-Laura Smet. « Au départ, Philippe était un peu inquiet, comme tout cinéaste, résume Vannier. Car la musique change l’image, modifie son intention, sa couleur, son sens. Volontairement, j’ai écrit une partition en équilibre entre violence et tendresse, en évitant à tout prix l’écueil du romantisme. Garrel a formidablement réagi : c’est la première fois, dans l’un de ses films, que la musique est autant mise en valeur. » C’est notamment pour évoquer ces expériences que le Festival de La Rochelle rend hommage à la personnalité non conventionnelle de Jean Claude Vannier. Pour lui permettre également de montrer, à l’aide d’un piano et d’extraits de ses films, à quel point la musique est une forme d’écriture du cinéma.