« Positif » Les 60 ans d’une revue indispensable

Jean-Paul Raspiengeas

Elle tient. Va son bonhomme de chemin, traverse avec vaillance les différentes époques de la cinéphilie. En mai, pour son 615e numéro, elle propose un grand dossier Alain Resnais (en prévision de Cannes où son dernier film, Vous n’avez encore rien vu, est sélectionné en compétition) avec, en couverture, l’émouvante et belle Anne Consigny. La revue Positif, qui fête ses 60 ans, est passée à la couleur en début d’année, depuis qu’elle est éditée par Actes Sud et l’Institut Lumière, sis rue du Premier-Film à Lyon.

Comme le cinéma, Positif est née à Lyon, fondée en mai 1952 par des étudiants provinciaux qui se sont rencontrés en hypokhâgne, « scandalisés que le cinéma ne soit pas pris au sérieux », tous de Lyon et des environs: Bernard Chardère, André Ottavi, Louis Piollet et Guy Jacob.

« Tenir un cinéaste pour un auteur-créateur, parler de son style et de sa vision du monde, publier sa filmographie était alors un pas en avant dont il fallait convaincre même les habitués des ciné-clubs », se souvient Bernard Chardère. Lancée un an après les Cahiers du cinéma, la revue prend systématiquement le contre-pied de son aînée, adore en découdre, prête à sortir l’épée au moindre affront.

Esthétiques et idéologiques, leurs querelles de clochers et leurs guerres de chapelles scandent, alors, la vie bouillonnante des fous de cinoche. Positif se distingue d’entrée par un ton frondeur, agressif et libre. On y lit les meilleurs entretiens avec les cinéastes, on y découvre des dossiers inattendus et fouillés, des analyses pertinentes, des échappées excitantes.

On y sent la pâte littéraire de ses signataires, de solides connaissances en histoire de l’art, un appétit d’images, d’histoires et de formes. Positif constitue la mémoire active et réactive du septième art. Michel Ciment, qui y signa son premier article en 1963, en rappelle l’esprit: « Ni hermétique, ni savante, restée indépendante par rapport aux dogmes et aux modes. »

Au fil du temps, Positif n’a pas changé ses habitudes. Les collaborateurs écrivent pour la gloire, bénévolement. Ils se réunissent tous les dimanches après-midi. Michel Ciment, figure du commandeur, maintient avec constance la ligne de ce mensuel et attise le feu d’anciennes querelles (de vieilles lunes, pour certains), tisonne avec ardeur les braises de lointaines polémiques.

Il perpétue surtout, avec l’équipe actuelle, la tradition d’ouverture et de curiosité d’une revue indispensable que Martin Scorsese (il n’est pas le seul) considère comme « la meilleure du monde ».

Article paru dans le quotidien La Croix du 11 mai 2012