La nuit inattendue de la Cinémathèque française

Jean-François Rauger, directeur de la programmation de La Cinémathèque française

Il n’y a pas de films de genre. Ou alors ce sont de mauvais films. Les titres présentés durant cette nuit exceptionnelle ne sont pas remarquables parce qu’ils constitueraient une incarnation aboutie, un état irréprochable de ce que l’on appelle un genre cinématographique. Ils occupent bien plutôt une place particulière dans une histoire idéale, une histoire où le cinéma d’exploitation rejoindrait le cinéma dit « noble », où la série B se confondrait avec la série A, où ces notions, en fait, cesseraient enfin d’être perçues contradictoirement.

Le Cauchemar de Dracula révolutionne le cinéma de terreur gothique en introduisant, en 1957, la couleur dans ce qui la rejetait depuis toujours. Les vampires, figures avouées du libertin du xviiie siècle lâché en plein xixe siècle bourgeois et rationaliste, s’abreuvent d’un sang enfin écarlate. Au-delà du génie de la société de production britannique Hammer qui ressuscite le cinéma des grands monstres, il y a aussi l’expression d’un véritable auteur, Terence Fisher, dont toute l’œuvre va paradoxalement s’en prendre à l’imaginaire et à sa vénéneuse fascination.

L’Horrible Docteur Orloff (1961) pourrait être la réponse de l’Espagne à l’Angleterre, de Jess Franco à Terence Fisher. Ce récit d’un savant qui défigure les jeunes femmes pour redonner vie à sa fille se moque des grands thèmes du genre, se concentre sur un érotisme malade, soumet les frissons à la dissonance d’un jazz résolument moderne et trouve dans les figures rhétoriques obligées de l’horreur la source d’un lyrisme inouï.

Sergio Sollima fut celui qui réalisa une poignée de westerns en Italie qui comptent parmi les rares susceptibles d’être comparés à ceux de Sergio Leone. Il s’agissait souvent de pertinentes métaphores politiques tout comme cette Poursuite implacable, réalisé en 1974, à la fois thriller trépidant et réflexion morale sur les classes sociales et la position éthique des individus qu’elles déterminent.

Pourquoi Le Cri de la chair (1961) ne serait-il pas vu comme un film qui a participé au bouleversement du cinéma français opéré par la Nouvelle Vague? L’érotisme cinématographique y sort de la niaiserie des récits édifiants du cinéma des boulevards des années 1950. Un sens de la composition du cadre, un formalisme à la fois distanciateur et romantique s’y affirme. José Bénazéraf, un grand cinéaste français moderne.

Enfin, retour en Italie, en 1970 avec Et le vent apporta la violence également connu sous le titre Un homme, un cheval, un fusil. Le film est signé Anthony Dawson, pseudonyme d’Antonio Margheriti. Le fantastique gothique y rencontre le western, les cow-boys deviennent des fantômes, les pistoleros des spectres vengeurs. Modèle de cinéma baroque, à la fois par le mélange des styles et les idées plastiques, le chef-d’œuvre d’Antonio Margheriti est en soi une méditation poétique sur l’image « classique » et son effacement, son autodévoration.

Des films de genre ? Non, de grands films.