Jeudi 7 juillet

Une de l'Ephémère 6 - Curling

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

12h – 13h : Émission radio en direct des lycéens : « Au coeur du Festival » sur Radio Collège (95.9) Hall de La Coursive

16h : Passage unique : Alice de Jan Švankmayer présenté par Rodolphe Rouxel / Dragon 5

16h15 : Rencontre avec Denis Côté / Théâtre Verdière

20h15 : Soirée Conseil Régional Poitou-Charentes : Surfeurs de Julien Lucas et Daratt, saison sèche de Mahamat Saleh Haroun présentés par les réalisateurs Grande Salle

Edito

par Benjamin Hameury

Dans les salles sombres, derrière les sièges, il y a suffisamment de place pour nous tous avec nos secrets. Dans le noir, c’est mieux, on peut hurler, on peut pleurer et rire, les autres sont là et on sait qu’ils ont amené leur cadavre eux aussi. Il suffit de se retourner pour le voir, tranquillement allongé à côté d’eux, vague forme ensevelie sous le velours des sièges. Des cadavres, Denis Côté nous en offre avec une générosité malicieuse : dans un coffre, sur la route, contorsionnés au fond d’une tombe vide, figés sous la neige… Leitmotiv d’une oeuvre placée sous le signe du mystère, mystère d’une chose à saisir, un instant, mais sans le salir, peut-être, sans le « tuer », au final, par une théorie envahissante. Ancien critique, le cinéaste québécois veut peut-être se décharger de son cadavre à lui, sa connaissance, son amour de l’amour du médium cinéma, pour nous offrir quelque chose de nouveau, d’inespéré. Ahurissant de découvrir, tout au long de ses cinq longs métrages, cette volonté absolue de l’accident, ce refus de s’installer dans un système qui réduirait le film à un simple schéma. Ou alors s’il se risque à le faire, il ne le fait pas à moitié ; il faut voir, effaré, avec quelle splendide ironie il amène la lourde machinerie cinématographique à prendre un envol par la pesanteur (l’excellent Elle Veut le Chaos). Nous évoquions dans un numéro précédent de L’Ephémère la figure de l’oxymore, il serait intéressant de se poser la question, au fond, pour tout cinéaste : le génie ne naît-il pas de deux contraires qui se battent, se frottent, se dévorent ? Documentaire / fiction, Rien / trop plein chez Bonello, envol /pesanteur… Au final, un cadavre. Pour chacun de nous, les vivants. Notre secret à tous nous déchire en deux. Et alors il faut bien retourner dans les salles sombres pour le hurler avec les autres, tabarnak !

Une année de Festival – Entretien avec Nathalie Schmitt

Le Festival de La Rochelle prend toute son ampleur en juillet. Cependant, il reste actif pendant toute l’année, en multipliant les créations, en partenariat avec les locaux. Nathalie Schmitt a coordonné ces actions du Festival pendant l’année.

Pendant l’année, le Festival organise des ateliers animés par Jean Rubak.Peux-tu expliquer un peu de quoi il s’agit ?

Parce que le Festival défend les cinématographies venues du monde entier et cherche à transmettre et partager cette richesse avec le plus grand nombre, il développe depuis plusieurs années des ateliers en direction des publics dits « empêchés » ou « défavorisés », afin de leur donner accès à un cinéma de qualité qu’ils n’ont pas toujours l’occasion de voir. Il s’agit d’atelier soit de réalisation comme c’est le cas à la Maison Centrale de St Martin (depuis 2000), soit d’atelier de diffusion et d’échange autour des films. À St. Martin, cela fait maintenant 3 ans que Jean Rubak et Amélie Compain s’y collent. Ils travaillent avec un groupe de détenus autour de la réalisation de courts métrages d’animation. L’an dernier, Comme un poisson dans l’eau a reçu le prix du public à Albi, au Festival les OEillades. Preuve s’il en est, que ce genre de petit film peut avoir une vraie carrière ! Cette année, un atelier de réalisation (encore avec Jean et Amélie) a été mis en place à l’hopital. Pendant une semaine, un petit groupe de patients a imaginé une histoire. Ils ont créé les décors et les personnages qu’ils ont ensuite animés. L’idée étant de développer et poursuivre ce projet en 2012.

Le Festival soutient aussi les activités avec les jeunes de la région.

Portrait Nathalie SchmittIl y a cet autre atelier, avec le collège de Villeneuveles- Salines, où Jean et Amélie (encore!) sont venus pour encadrer une classe de 5e dans la réalisation d’un court métrage d’animation sur le thème de la naissance du quartier. Ils ont travaillé toute l’année scolaire, à raison d’une séance par semaine, avec Renan Marec, professeur d’arts plastiques. Tous ces ateliers ont été soutenus par la DRAC (c’est important de le souligner car sans eux, pas de financement). Nous avons également mis en place un autre atelier de réalisation, avec Nicolas Habas cette fois, à Aytré avec le centre de loisirs (la SLEP), la médiathèque d’Aytré et la Ville d’Aytré. Cet atelier s’est inscrit dans un projet Passeurs d’Images au départ et s’est poursuivi par la réalisation d’un court métrage sur la question du renouvellement urbain. Il s’est déroulé sur les périodes de vacances scolaires. Nous avons bénéficié du soutien de la fondation SNCF. Ces ateliers sont très importants car ils permettent au Festival d’être présent toute l’année, et de s’inscrire dans une démarche qui consiste à aller vers ceux qui ne le connaissent pas ou qui ont, pour des raisons très différentes, peu ou pas d’accès à cette culture. L’idée étant de pouvoir créer du mouvement et de permettre à ces publics ensuite de venir au Festival. Tous ces petits films seront projetés le mercredi 6 juillet à 16h à La Coursive en Salle bleue (séance gratuite).

Peux-tu donner des précisions sur le Festival Interval dont certains courts sont montrés ?

Il s’agit d’un festival organisé par les lycées de La Rochelle. Les organisateurs, les animateurs culturels des lycées rochelais, font un travail formidable et ce festival est devenu un rendez-vous incontournable, devant une salle comble du Méga CGR où l’ambiance est particulièrement bon enfant ! Il est organisé en deux parties, une programmation OFF (films réalisés hors temps scolaire) et IN (films réalisés dans le cadre scolaire). Un jury se réunit pour voir tous les films et décerner des prix. Le festival choisit un des films sélectionnés qui sera ensuite diffusé pendant le festival. Cette année, Ici sont les dragons de Jérémie Deberque. Peux-tu présenter le travail des étudiants de l’Université de La Rochelle avec la laiterie de Surgères ? Cette année, le Festival a décidé également de soutenir un projet d’étudiants qui ont mis en place un évènement autour du lait (fabrication – implication économique, géographique…) et d’y associer un aspect culturel. C’est tout naturellement que nous leur avons proposé de projeter en avant première le film de Buster Keaton Ma vache et moi; Ils ont organisé un super évènement avec ateliers de fabrication de beurre, des vraies vaches (!), démonstration de traite, dégustation de produits à base de lait bien entendu, tout ça dans une ambiance très conviviale ! Ils avaient lancé un concours vidéo sur le thème du lait. Là aussi, le festival a sélectionné les gagnants et diffusera leur film. Du côté des étudiants, cette année, nous avons également développé le partenariat avec l’université autour de la mise en place d’une avant première. Les étudiants et les professeurs de différents enseignements ont étudié le film documentaire Los que se quedan de Juan Carlos Rulfo et ont ensuite présenté leur travaux devant une salle comble (250 personnes).

Propos recueillis par Viviane Saglier

Jeu de dupes

ValmontLibre adaptation du roman épistolaire Les Liaisons dangereuses écrit par Pierre Choderlos de Laclos à la fin du XVIIIe siècle, le Valmont du réalisateur tchèque Milos Forman, sorti en 1989, souffre de la comparaison avec d’autres liaisons, tout aussi dangereuses mais bien plus connues, celles de Frears en l’occurence, sorties un an plus tôt. A tort. Substituant une approche phénoménologique à une réflexion douce amère sur la construction amoureuse et la perte des illusions, Forman réussit le pari de rajeunir tous ses personnages, ce qui leur donne une forme d’innocence et les montre moins manipulateurs et davantage en lutte avec leurs pulsions. La liberté que s’octroie le cinéaste est astucieuse et cohérente. A commencer par l’humour, très présent dans le film et idéalement distillé, auquel le scénariste Jean-Claude Carrière n’est pas étranger. De plus, on se surprend à constater à certains moments du film la pureté, toute relative, de Merteuil et Valmont en regard de l’hypocrisie des normes sociales de l’époque. Le souffle libertaire qu’ils insufflent, à travers l’éducation pas très sentimentale de Cécile de Volanges en particulier, perturbe l’ordre du jeu social.

Par ailleurs, si le roman de Laclos est polyphonique, avec toutes ces voix qui se croisent et se répondent, force est de constater que Forman met l’accent sur l’élégant Colin Firth (Valmont), légitimant par là même le titre de son oeuvre. Dans cette stratégie sentimentale où chacun avance ses pions, espérant être le roi ou la reine, à défaut de devenir fou, Valmont, le valet de ses dames, fait le plus souvent cavalier seul. Une certaine humanité se dégage du personnage, intimement mêlée à la profonde noirceur du libertin. Le parieur de sentiments se retrouve pris à son propre piège. Incapable d’aimer, excepté lorsque l’objet de son amour lui échappe. On regrette toutefois le manque de dureté et de douce cruauté chez Annette Bening, qualités que l’on retrouvait chez Glenn Close dans la version de Frears. Mention spéciale aux décors ainsi qu’aux costumes très seyants, en témoigne la très belle scène dans laquelle Valmont danse tour à tour avec Cécile, sa tante, Merteuil et Tourvel. En se démarquant de ses prédécesseurs, Forman propose donc un éclairage tout aussi intelligent du roman de Laclos et parvient à créer une atmosphère réellement libertine et insouciante, qu’un simple dialogue pourrait résumer. « Croyez-vous qu’un homme puisse changer ? » demande Valmont. Et Merteuil de répondre : « Oui, mais en pire ».

Alexandre Guillet

Denis Côté veut-il le chaos?

Les États nordiques, votre premier long métrage, est une fiction qui semble constamment s’échapper par le documentaire. Les habitants de Radisson sont-ils tous des acteurs ?

Portrait Denis CôtéJ’aimais ce début avec des regards divers qui pousse le spectateur à se dire « mais que regardent ces gens ? Qu’est-ce que je regarde ? » Le film est une hantise personnelle de 90 minutes sur le cinéma et sur un beau problème : comment mêler documentaire et fiction, comment nourrir l’un par l’autre ou comment cannibaliser l’un par l’autre ? Je travaille souvent en fausses pistes. J’aime bien abandonner des parties de narration et m’intéresser à autre chose, dans le même film, la même scène. Tout est affaire de mutation dans Les États nordiques et le film se dérobe plus d’une fois au regard du spectateur. Il y a le danger de devenir trop déroutant mais j’ai essayé d’enrober tout ça dans une douceur qui permet à la proposition de glisser, de montrer ses différentes faces. Avec le temps, je trouve le film assez audacieux. Je ne sais pas si ces ruptures de ton sont toutes réussies. Sûrement pas mais nous avons essayé beaucoup de trucs dans l’aventure.

Les États nordiques propose parfois des éclairs symboliques autour de la chrétienté.

Tout est accidentel, absolument tout, jusqu’au nom prédestiné du comédien (Christian!). Je n’ai réfléchi à rien de tout ça et souvent on note toutes les traces de chrétienté apparente du film. Merde, j’ai même donné à Christian le nom de famille… Fauteux! Ce nom est plutôt commun au Québec. Le subconscient fonctionne d’une façon terrifiante, et je conviens que le film peut se regarder comme une longue réflexion sur la Faute ou sur le Péché ou sur je ne sais quoi. Tout est inconscient, jusqu’à cette scène dans la piscine où je n’ai demandé qu’au c omédien de se mettre la tête sous l’eau. Rien d’autre.

Le costume a-t-il une importance dans vos films ?

Je n’aime pas les costumes de cinéma (ou tout artifice cinéma puisqu’on en parle). Par contre l’idée de la dissimulation, du travestissement, du besoin d’être « autre », ça oui c’est plus intéressant, et il y a une piste de ce côté dans mon travail. Mais laquelle ? Je suis très simple, mes films sont plus simples que les intentions qu’on me prête. Je déteste les métaphores, les symboles. Les hommes sont ce qu’ils sont, le cinéma dans mon cas est l’art humble qu’il est. Jamais je ne vais élaborer une idée autour d’une métaphore, je déteste ces lourdeurs. J’essaie d’être direct mais l’inconscient nous rattrape tous.

Elle Veut le Chaos. Comment vous est venue l’idée de ce titre ? La chanson de Christophe a-t-elle été une rampe de lancement pour le scénario ?

J’aime les titres décalés, qui ne donnent aucune clé particulière. EVLC vient directement de la chanson de Christophe ; sorte de coup de coeur, de révélation. La Coralie ne veut pas le chaos, elle le subit. Ce titre capricieux ou provocateur n’est qu’un miroir très déformé de ce qu’est le film.

Ce film marque un tournant esthétique important dans votre oeuvre. Comment s’est opérée cette métamorphose ?

Elle Veut le Chaos en numérique, en HD. Oui, j’ai vécu un semblant de révolte. J’ai pensé pendant un moment que la caméra à l’épaule apporte une urgence ou une vie supplémentaire aux projets. J’en ai eu marre de choquer l’oeil ou brusquer le spectateur par ce procédé. J’ai imaginé un gros film lent, mammouth, impénétrable, une sorte de western engourdi, assez spectacle dans sa forme contemplative, tout en trous. J’ai une relation amour-haine avec ce film. Quand j’y pense, il me rend mal à l’aise car il est trop figé, solennel, il déconne trop avec les attentes du spectateur puis quand je le vois, je l’aime bien… Je ne sais plus c omment le considérer.

Je remarque dans vos films des brèches vers le surnaturel. Êtes-vous intéressé par le cinéma de genre, peut-être le cinéma d’horreur ?

Absolument. Jeune, j’étais une encyclopédie du cinéma d’horreur et c’est resté en moi. J’aime les films de zombies. Je tiens beaucoup aux éléments de série B ou même de série Z (le carton-pâte du meurtre dans Nos vies privées). J’aime beaucoup la naïveté au cinéma et pourtant je suis trop cynique pour vraiment m’y mettre. Quand je touche au cinéma de genre, je m’amuse comme un gosse. Mais j’ai encore trop peur ou je suis encore trop fier pour tourner mon premier vrai film d’horreur.

Il y a dans vos films une hantise particulière : un cadavre. De l’euthanasie à la découverte sur une route la nuit, le corps en décomposition fascine et dérange, crée une tension sourde entre les personnages. Qu’est-ce qu’un cadavre pour vous?

Un cadavre dans mes films change une vie, il devient un secret, quelque chose de très lourd sur la conscience. Je ne veux pas filmer des cadavres pour le plaisir de la mort, pour le fétichisme. Un cadavre est une trace de vie, un reste de vie, une évidence. Je ne sais pas. Mais c’est vrai, pourquoi j’obsède à un moment sur un ou des cadavres dans mes scénarios ?

Propos recueillis par Benjamin Hameury

Des « losers » sublimés – Elle Veut le Chaos

Elle veut le chaosLe désordre et la confusion presque primitive suggérés par le titre du film de Denis Côté contrastent avec la composition volontariste de l’oeuvre, dont le parti pris esthétique est immédiatement frappant. Des choix forts comme l’usage du noir et blanc, la lenteur des plans, la beauté géométrique, assurent une stabilité, une régularité cultivée encore par un rythme constamment présent en arrièreplan, situé entre le chant estival des grillons et le bruissement du vent. Mais ce rythme est de ceux qui oppressent, il souligne le caractère monocorde de la vie des personnages qui habitent le film, et ce rythme répétitif est constamment menacé de brisure. En effet, que ce soit à travers les coups de téléphone répétés d’une Coralie esseulée, ou la violence verbale des dialogues crus des trois bandits du voisinage ; tout vise à rompre avec ce fond sonore insupportable,et l’ennui qu’il représente. Il constitue une sorte de toile de fond sur lequel va se détacher le chaos, de même qu’au sein des plans les personnages se découpent d’autant mieux qu’ils se meuvent dans un espace désert, néantisé, paradigme du désoeuvrement rural. Ces derniers, des paumés ou « losers » comme le reconnaît Denis Côté, vivent en marge de la société, dans une campagne comme hors-dumonde. Deux maisons se font face, microsociété singulière au sein de laquelle aucun des êtres ne se laisse jamais saisir tout à fait. Coralie particulièrement, instable dans ses désirs, arrive difficilement à s’intégrer à la pellicule. Le surcadrage de cette dernière, récurrent dans le film, s’emploie à lui apposer des contours, comme lorsqu’elle apparaît encadrée par des branches d’arbres, à l’instar de la longue focale qui essaie sans cesse de dessiner sa forme sur fond flou. Effort de définition qui dévoile en réalité la difficulté éprouvée à cerner le personnage. Et, d’une manière générale, le sens du film se dérobe, et c’est peutêtre dans cette résistance du sens et des personnages que réside la poésie. L’aspect photographique du film traduit ainsi l’opacité de ceux-ci à travers des portraits d’une étrange polysémie. Ce qui émane des êtres représentés ne se donne pas en effet à travers le langage mais par une attitude, une présence qui ne peut se résoudre aux lieux communs langagiers, qui y échappe et peut-être réalise alors une langue purement cinématographique des acteurs. En ce sens, les deux brutes subordonnées au chef des mafieux, détestables a priori en tous points, se parent alors d’une certaine noblesse, tout comme le film lui-même, par certains aspects étouffant, possède toutefois quelque chose d’étonnamment envoûtant.

Hélène Gaudu

La voie du désir

Deep EndLe dernier film du cinéaste polonais Jerzy Skolimowski, Essential killing avait été remarqué à Venise, suite à son grand retour au cinéma avec Quatre Nuits avec Anna en 2008, le réalisateur ayant arrêté de tourner depuis Ferdydurke, (adaptation de Gombrowicz) en 1991, las de devoir subir aux pressions économiques monnaie courante sur ses films. Deep end, un de ses films phares des années 1970, ressort en salle cet été. Mike, tout juste sorti du collège, trouve un travail dans une piscine. Le patron lui dit : « si tu travailles bien, tu pourras prendre ma place ». L’enjeu de l’histoire se joue dans cette première scène : l’hypothétique passage de l’autre côté. Celui de l’âge adulte, de la découverte de soi, de l’autre, de l’être aimé, et de ses illusions. Mike se fait « former » par Susan, rousse incandescente qui arrondit ses fins de mois en se prostituant dans le cloisonnement de cet établissement de bains londoniens. Tout débute avec le désir pour Susan, et de la couleur rouge qui quadrille le cadre et véhicule la tension de vie du jeune Mike, au son de la musique de Cat Stevens dans une première scène remarquable où Mike déambule sur son vélo. L’initiation se fait face au cinéma, Susan et son ami regardent un film sur la libération des femmes. Mike, venu l’espionner, parqué derrière elle, touche sa poitrine, elle se laisse faire avant d’alerter la police. En lui permettant d’entrer dans son monde, en se laissant faire, puis en l’y empêchant, elle lui permet de mettre un premier pas dans un monde auquel il n’était auparavant pas convié. Dans ce film, le désir est surtout une porte d’accès. Cachée, releguée dans des boîtes, la tension sexuelle se veut toujours camouflée. En accédant à ce qui se passe derrière la porte, on perd l’innocence, on goûte à l’après. La candeur primitive n’est plus, la piscine, symbole de l’enfance, révèle ses secrets, et ce qu’il y a « après » : l’âge adulte. Le sexe et la mort, reliés ici de manière inextinguible à la découverte des premiers émois sexuels, cristallisées par la moiteur de ces bains londoniens, donne à l’oeuvre une vision très forte de la folie en jeu dans l’éveil du désir. Chez Skolimowski, il y a toujours un objet de fascination qui est seulement un but, et non une fin, comme c’est le cas dans Walkover. L’objet du désir est moins la réelle volonté de posséder qu’un moteur de vie, qui permet de se constituer comme personnalité face à un monde qui ne nous a pas encore admis, mais dans lequel nous allons entrer. C’est-à-dire : une voie.

Natacha Seweryn

Le souffle coupé

DarattTchad, 2006. Tout commence avec cette terrible annonce : le gouvernement tchadien accorde l’amnistie à tous les criminels de guerre. Dans son village, Atim l’orphelin écoute sans broncher, auprès de son grand-père qui lui tend sans hésiter un revolver. À lui de venger ce père qu’il n’a jamais connu, dont l’assassin vit à N’Djamena, désormais en toute impunité. Atim, le regard noir et les sourcils froncés, part pour la capitale. Dans le taxi-brousse brinquebalant sur la piste poussiéreuse, il soutient sans ciller le regard d’un soldat qui braque une arme sur son visage. Daratt est un film suffoquant de violence contenue. Les blessures de la guerre civile sont encore à vif, sous une mince couche de poussière et de silence. Atim retrouve sans peine Nassara, l’assassin de son père, désormais boulanger. Ce dernier, intrigué par le jeune garçon et vraisemblablement à la recherche de quelqu’un à qui transmettre son art et sur qui s’appuyer, l’engage comme apprenti. Malgré la situation, la réserve et la répugnance d’Atim pour Nassara, une étrange relation filiale s’installe entre eux.

Daratt, la « saison sèche », c’est aussi celle de la parole. Mahamat-Saleh Haroun déploie un conte magnifique avec une économie de paroles poussée à l’extrême. Au Tchad les ravages de la guerre civile sont encore bien visibles, sur les corps comme dans les esprits. Elle coupe la parole au sens propre : le boulanger ne peut faire entendre qu’un filet de voix rocailleuse de la balafre qui lui strie le cou. « On a voulu lui trancher la gorge », explique sa femme, de l’air le plus naturel du monde. Atim ne parle presque pas, préférant fixer sans ciller ses interlocuteurs.

Daratt se joue comme dans un théâtre, une scène fermée par les hauts murs de la propriété de Nassara. Côté cour, le portail sur la rue, la misère, les enfants venus quémander un bout de baguette ; côté jardin, le relatif confort de la maison du boulanger, le rideau par lequel sa femme entre et sort tandis qu’Atim et Nassara occupent toujours le devant de la scène, infatigables de joutes silencieuses, dans la touffeur de la boulangerie, ce huis clos de sueur et de farine. Mahamat-Saleh Haroun pose avec dureté les questions les plus terribles qui soient sur la cohabitation entre anciens ennemis au sein d’une même nation, sur le pardon, l’abandon, le fait de se faire soi-même justice. Dans le dernier tableau de la fable, Atim finit par trouver le moyen d’échapper à un véritable parricide, Nassara lui ayant demandé avec insistance de le laisser l’adopter.

Sophie Garnier