Dimanche 3 juillet

De la guerre - Une de l'éphémère 2

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

10h : Leçon de musique Maurice Jarre avec : S. Bourguignon, J.-P. Rappeneau, J.-C. Carrière et J.-M. Bernard au piano, animée par Stéphane Lerouge.
Dédicace du coffret Maurice Jarre par Stéphane Lerouge / Salle bleue
16h – 17h30 : Rencontre avec Jean-Claude Carrière
18h : Vernissage de l’exposition «Jean-Claude Carrière, un hétéroculturel à La Rochelle»
19h30 : Soirée Conseil Général de la Charente – Maritime : Les Bien-aimés présenté par Christophe Honoré et Chiara Mastroianni

Edito

par Viviane Saglier

Si l’art de Bertrand Bonello pouvait se réduire à une figure de style, ce serait l’oxymore, cette alliance des contraires qui fait jaillir l’étincelle. Douce violence, silence musical, voyant aveugle, ces mélodies contradictoires sonnent harmonieusement aux oreilles de ce musicien de formation. Il assemble les impressions pour mieux les confronter, et cerner ce que lui appelle « l’indicible » et qu’on pourrait aussi nommer la Grâce. Point de mysticisme chrétien cependant, mais plutôt une fascination païenne pour la mythologie antique. Celle-ci recèle en son sein la violence originelle, celle qui ne se traduit ni par les mots ni par les images, que l’on devine plus qu’on ne comprend, qu’on ressent sans pouvoir l’expliquer. Il s’agit alors de trouver un nouveau langage, primitif mais jamais bestial, toujours à l’état de suggestion. L’art et l’artifice deviennent les lieux où se cristallisent la fascination du monde, et la recherche de cette « autre chose », qui n’est peut-être que le sentiment d’ « être au monde ». Chez Bonello, la plénitude et la sensation d’être vivant passent davantage par le Rien que par le tropplein. Le silence devient plus éloquent que n’importe quelle protestation, l’inaction plus épanouissante que le travail, les nuits blanches successives plus tonifiantes que le sommeil. Le Rien comme valeur positive absolue, c’est là peut-être le plus bel oxymore de Bertrand Bonello.

L’énergie brute

Natacha Missoffe, Manuel Attali et Fabrice Leroy composent la sympathique équipe de choc de Ed Distribution, qui présente cette année au Festival Putty Hill de Matt Porterfield et les films d’Andrew Kötting.

Comment s’est créée la boite ?

Manu et moi étions au chômage, alors on a décidé de monter notre propre boîte. C’était en 1995. Le premier film qu’on a décidé de sortir, Les Habitants d’Alex van Wamerdam, a vraiment beaucoup plu à la fois à la presse et aux spectateurs. Avec les salles c’était plus dur, après ils ont bien aimé parce que le film marchait. On reproche souvent à nos films d’être originaux mais répétitifs, parce que les gens au début sont surpris par cet univers, et puis après, s’ils n’y adhèrent pas trop, ils commencent à s’ennuyer. Au début, on avait beaucoup ce genre de réflexions de la part des salles, et puis avec le temps ça s’est amélioré parce qu’une nouvelle génération d’exploitants est arrivée.

Décrivez-nous un peu votre univers.

Le point commun principal de tous nos films, c’est qu’on se sent très proches d’eux. C’est l’idée de sortir un cinéma différent, pas sortir un film de plus. On aime beaucoup les films anglo-saxons. Au départ, on aime surtout la musique anglo-saxonne, celle qui découle du punk, tous ces groupes qui dans les années 1980 se sont dits, voilà, on n’a pas besoin de super studios, on prend notre guitare, on joue dans notre garage, avec l’énergie brute. C’est un esprit qui nous plait. D’ailleurs, l’équipe de Putty Hill avait au départ un projet plus ambitieux financièrement mais ils n’arrivaient pas à trouver d’argent. Ils ont alors écrit quatre pages sur ce nouveau projet avec les bases du précédent et ont tourné en trois semaines, avec 20 000 dollars. Comme tous les autres films qu’on sort, il est fait avec peu d’argent, mais ce n’est pas du bricolage pour autant, les films sont vraiment aboutis esthétiquement. Pour Putty Hill, ils ont réuni autour d’eux des gens qui avaient vraiment envie de faire le film, un chef opérateur très bon qui a dû faire le travail plus ou moins bénévolement. Cette énergie, on la sent après dans le film. Mais il y n’a pas beaucoup de films comme on aime, et la grande chance, c’est qu’il n’y a personne d’autre en France qui aime sortir les mêmes films que nous. On n’a jamais été en concurrence avec un autre distributeur.

Comment avez-vous découvert Putty Hill ?

Andrew Kötting

Au départ, le producteur nous avait contactés, mais il nous avait envoyé une carte postale qui nous a donné une mauvaise idée du film. Et puis je l’ai vu sans le savoir dans un festival, mais la qualité était vraiment désastreuse pour du numérique, même si j’aime bien quand c’est assez sale au niveau du son et de l’image. Finalement, on a vu le film en dvd quelques mois plus tard et on a été surpris de la qualité, alors on a accepté. Soit on sortait le film en numérique seul, mais dans un an et demi, car les salles Art et essai sont encore très peu équipées, soit on le sortait aujourd’hui mais avec une copie 35. Mais comme le CNC a mis une subvention en place pour les films qui sortent à la fois en numérique et en 35, on a décidé de le sortir, en pensant que c’était un peu dommage de le montrer en 35 alors qu’il y avait une génération de plus. Mais quand on a vu le résultat, on a été stupéfait, parce que c’est bien plus beau en 35 qu’en numérique.

Comment avez-vous découvert Andrew Kötting ?

On l’a vraiment découvert avec Gallivant, qui est un documentaire avec un côté expérimental. Mais il y a toujours une grande émotion dans les films qu’on choisit, ce n’est pas que de la forme. Andrew Kötting est quelqu’un qui travaille beaucoup au niveau du son, qui a tendance à couper les dialogues, et à rendre les choses absurdes. Du coup, quand ce n’est pas sous-titré, c’est un peu dur. Alors on a dû revoir le film avec une liste des dialogues. On voulait vraiment le cerner pour pouvoir le sortir, pas juste l’apprécier de façon tronquée. Et puis on a continué à suivre le travail de ce réalisateur parce que ça correspondait vraiment à notre univers.

Êtes-vous intéressés par la production ?

On s’est longtemps posé la question mais le gros avantage dans la distribution c’est que le film est fini. Si on avait assez d’argent pour financer seuls les films, ça irait, on fait entièrement confiance aux réalisateurs. Mais il y a tellement de pression de la part des autres producteurs pour rendre le film comme une espèce de produit standard qu’on n’a pas envie de prendre le risque.

Propos recueillis par Viviane Saglier

2 ou 3 vertus cardinales

Les Bien-aimés

Légèreté : Paris, années 60. Y vit Madeleine. Il y a là un décor, une époque et un corps qu’on dirait faits pour le bonheur. Mais du bonheur, Madeleine s’en fout un peu. Son thème principal à elle c’est plutôt la légèreté dont le véhicule idéal est une paire d’escarpins haut de gamme dérobée dans la réserve du magasin où elle travaille. A peine les chausse-t-elle que sa vie décolle, ces bottes sont faites pour marcher et bientôt à la légèreté s’ajoute l’imprudence. C’est qu’en prenant place sur le tapis volant de son existence, Madeleine s’expose au vertige. Vertiges de l’amour et de l’Histoire incarnés par le beau Jaromil qui lui donnera une fille, Véra. A peine a-t-elle le temps de chanter cet amour que le camion de l’Histoire vient la presser, préfigurant les pesants chars russes qui laboureront et Prague et son mariage. Etre légère, c’est aussi expérimenter une certaine fragilité ; la sienne comme celle du monde. «La planète avance dans le vide sans aucun maître. La voilà, l’insoutenable légèreté de l’être.»

Fidélités : Autre vertu cardinale d’Honoré : la fidélité. Fidélité à ses influences, à ses acteurs mais fidélité aussi de ses figures d’amoureux qui malgré leurs écarts sont incapables de ne plus aimer ceux qu’ils ont aimés ne serait-ce qu’une fois. Ce qui me tue mon amour, c’est que je ne peux vivre sans t’aimer. D’où certaines tensions. Surtout lorsque les fidélités s’accumulent. Placés au centre de plusieurs fidélités qui les interpellent en même temps, les héros d’Honoré doivent composer. Geneviève Brisac, à propos de Non ma fille, résume bien cette « permanence d’un choix inéluctable, la maman ou la putain, la mère ou l’amante, la fille ou la mère, la soeur ou la fille. Mais en fait, il n’y a pas de «ou», il y a cette superposition des rôles qui est si difficile sinon impossible à assumer, et cette question qui revient sans cesse, comment peux-tu être ceci si tu es cela, il faut choisir. »

Danses : Dans Les Bien-Aimés, ce point de convergence tragique s’appelle Véra. Elle est l’aimant noir vers lequel se polarisent les mots-clés de chacun. Parmi toutes les fidélités qui la déterminent, il en est une particulièrement pesante : sa famille et son lot d’impossibles transmissions. Véra se vit littéralement comme la «relation sexuelle de ses parents», quelque chose qui n’en finit pas puisque c’est jusque dans son lit d’adulte qu’elle vient à les découvrir tous les deux, venus là remettre le couvert. Haute Fidélité Familiale en mode stéréo dont elle n’accouche jamais. Comment sortir de l’histoire de Madeleine ? Comment laver du sperme et commencer une autre histoire ? Par le courage certainement. Par la danse aussi, dernier refuge des âmes perdues et ultime tentative de mobiliser sa légèreté en vue d’une noce qui viendrait la sauver. Ainsi fit Katell. Ainsi Véra qui dansera à deux reprises pour défier la pesanteur de son existence et de son époque. Mais déjà, dans les talons aiguilles du monde occidental deux Boeings se crashent en boucle. Septembre hélas est arrivé. Déjà nous regardons ailleurs. La mort est invisible.

Luc Lavacherie

La violence et le sacré – Entretien avec Bertrand Bonello

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

J’y suis arrivé par hasard. Je viens de la musique. D’abord classique, et puis du rock, de la pop. J’ai été musicien de studio, j’accompagnais les chanteurs et les chanteuses sur scène. Et puis j’ai commencé à m’ennuyer, alors comme j’avais mis un peu d’argent de côté, je me suis payé un court métrage. Mais je n’ai jamais eu aucune formation. J’ai tourné ce court métrage en Pologne. C’était un documentaire un peu surréaliste sur le metteur en scène de théâtre Tadeusz Kantor, qui venait juste de mourir. J’ai filmé sa troupe de comédiens. Mais ce film n’est plus montré.

C’est vous qui composez la bande originale, quel rôle lui donnez-vous ?

La musique raconte quelque chose, elle n’est pas illustrative. Je l’écris en même temps que le scénario, c’est vraiment un élément narratif. Je n’attends pas le montage. Elle est associée au travelling parce qu’elle est utilisée pour les moments lyriques, elle donne un mouvement général aux choses. J’ai beaucoup de passages sans dialogues, la musique parle à la place.

Vous utilisez beaucoup la voix off.

Bertrand Bonello

La voix off permet d’entendre quelque chose et de voir autre chose. Elle permet des accélérations pour passer d’un deuxième plan à un troisième plan. Pour moi, elle n’est pas du tout anticinématographique. Et puis, la plus belle musique est encore la voix humaine. La voix, c’est être là. Matthieu Amalric dit, dans De la guerre, « J’aurais voulu savoir chanter : produire du son, c’est être là. ». C’est être présent aux choses, être capable de les accueillir pleinement. Dans Le Pornographe, la voix devient obscène parce qu’elle fait écho à une exagération des sentiments, qu’on trouve beaucoup dans le porno actuel. Il faut jouer sur ce qu’on ne montre pas. Jean-Pierre Léaud (le réalisateur de films pornographiques dans le film, NDLR) dit à ses acteurs de se taire pendant la scène de sexe pour qu’on ressente au lieu qu’on entende. Mais on peut en dire de même du jeu d’acteur en général. Il vaut toujours mieux jouer avec sobriété.

Oui, vos films traitent de sujets violents, mais avec la plus grande sobriété.

La violence n’est pas forcément ce que l’on voit, c’est aussi ce qu’on décide de ne pas montrer mais qui est là. C’est ce qui m’intéresse dans la mythologie grecque. Elle montre la violence des rapports et raconte l’indicible. C’est pour cela aussi que le silence est intéressant. C’est une grande force, un repli total, une coupure avec le monde extérieur et le monde réel. Quand on est coupé du monde, autre chose se met en route. On peut recréer un monde, faire une copie du monde original, un monde pensé et maîtrisé.

Vous serez en résidence avec le Festival en 2011-2012, avez-vous un projet précis ?

Le but de la résidence est de filmer la ville de Mireuil et ses habitants. J’ai déjà des embryons d’idées et un carnet de notes. Mais j’attends de me confronter au lieu. Je ne suis jamais allé à Mireuil. Je ne veux pas arriver avec une idée trop précise, je veux me laisser porter par les rencontres.

Propos recueillis par Viviane Saglier

Mémoires de jeunes filles dérangées

Caca, la Juive, et l’Algérienne, la Poilue, la Petite et Belles Cuisses sont les déesses du temple de l’Apollonide. À première vue elles pourraient être issues de la littérature populaire, et on n’aurait pas tout à fait tort d’y songer. Le dernier film de Bertrand Bonello s’introduit dans un lupanar peuplé de créatures qui enchantent de curieux amateurs de chairs fraîches, et ces derniers amènent les demoiselles dans des jeux dangereux. Au milieu du tout, et assumant comme elle le peut son déficit bancaire, la tenancière lutte sans cesse pour entretenir sa maison et y renouveler son luxe, son calme et sa volupté.

Avec L’Apollonide, souvenir de la maison close, Bonello convoque le tournant du XXe siècle. Il se souvient de son esthétique sinueuse propre à l’esprit art nouveau, de ses lumières de velours et de ses femmes coup de fouet. On y trouve une ambition très picturale, étayée par une narration qui gonfle et enfle sans qu’on ressente toutefois le besoin qu’elle s’arrête. Le récit est construit à l’image de la langueur des étreintes qui se font et se défont dans les chambres de ces filles de joie. Pictural, le film l’est également par les moeurs qui y sont dépeintes avec un vérisme pointu. Fiction documentaire ou reconstitution poétique, l’impact des liaisons entre les hommes qui paient et les femmes qui reçoivent décrit un univers à la fois excitant et malsain dans lequel valsent le mensonge et le crime.

ApollonideUn coup de maître pour ce cinéaste qui renoue ici avec le goût du plan séquence sans pour autant reproduire le mystère contemplatif des Fleurs de Shanghaï d’Hou Hsiao Hsien. Bonello finit par interroger la prostitution en tant que valeur marchande atemporelle. Il réussit avec audace le transport du plan final vers une époque contemporaine où les actrices, qui étaient fardées et parées à la mode 1900, se retrouvent en tenues toutes ordinaires le long du périphérique parisien. En posant la caméra à l’extérieur de la maison close, on s’extirpe du coeur du sujet qui ne peut alors sombrer dans l’anecdotique. Les signes de l’espace se modernisent à une vitesse brutale mais les corps sont toujours là, à se vendre. Seule l’enveloppe du monde a changé.

Antoine Scalese

Le sublime et le grotesque

Le film de David Lean sorti en 1945 obtient le Grand Prix du 1er festival de Cannes en 1946, et est nommé trois fois aux oscars en 1947. Brève Rencontre rendit Lean célèbre, et devie are de Milford, un homme et une femme se disent adieu. Troublée par l’arrivée fortuite d’une amie encombrante, Laura, la femme, fait un malaise au moment où l’homme la quitte pour prendre son train. De retour à la maison, elle passe la soirée en compagnie de son mari et imagine secrètement qu’elle lui confesse sa liaison. Le Piano Concerto N°2 de Sergei Rachmaninoff ouvre la voie aux pensées de Laura et entraîne le spectateur vers les flashbacks audacieux qui nous racontent l’histoire de ce drame romantique. Si le film est imprégné de réalisme et d’intimisme, c’est parce que « le caractère du drame est le réel. Le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. » (Hugo, préface de Cromwell). En effet, les amants de Brève Rencontre ne brillent pas par leur beauté, leurs vies sont d’une banalité assommante, et la narration méticuleuse de Laura se perd dans l’accumulation de détails pragmatiques ennuyeux. Pourtant, ce sont ces mêmes personnages qui vont se prendre l’un pour l’autre d’une passion violente. Leur rencontre a lieu dans une gare, lieu de passage, de départs et d’arrivées. C’est un voyage qui leur est proposé, une échappatoire à leur rationalité écrasante. Le train, la fumée, le sifflet, les bruits de gare, qui ponctuent le film, servent de symbole à leur amour impossible de l’ordre du rêve.Brief encounter

Le film oscille sans cesse entre réalité grotesque et onirisme sublime, liés entre eux par une ironie habile. Les plans intimes qui excluent le monde extérieur, accompagnant les sentiments passionnés, sont entrecoupés de scènes banales de la vie quotidienne, qui empêchent la flamboyance et ancrent l’histoire dans la réalité. Le spectateur est pourtant entraîné par la volonté qu’ont ces personnages de s’extraire de la platitude de leur vie, et cette rencontre brève avec les deux amants est une invitation au voyage et au rêve. Désormais, si « tout ce qui est dans la nature est dans l’art » (V. Hugo), tout ce qui est dans l’art peut aussi être dans la nature. Il faut accepter de monter dans le train, de participer au voyage, de « partir bien loin », pour mieux revenir, enfin, à la réalité.

Charlotte Swiatkiewiez

Les vaches (pas si) folles de Buster Keaton

Ma vache et moi« Go West ! » disait en substance Horace Greeley, un des cofondateurs du parti républicain au XIXe siècle, pour encourager la conquête de l’ouest. La formule est passée dans le langage courant aux Etats-Unis et est citée au début de Ma vache et moi, dont elle est le titre original.

Tout comme l’immense Mécano de la Général qui suivra deux ans plus tard, en 1927, le film n’est pourtant pas à proprement parler un western. Mais ce cadre atypique permet à Buster Keaton de décliner un thème. Même si le train est déjà très présent, c’est le thème de la vache qui est ici à l’honneur jusqu’à l’obsession. Taureaux, troupeaux, vaches, veaux, enclos, lait, et bien sûr « garçons vachers » (cow-boys), parcourent le film jusqu’à la pure et simple saturation de l’espace visuel. Dans ce film de cow-boy à la limite du western donc, on trouve deux personnages principaux, Friendless (« Sans ami », mais est-ce vraiment son nom ?), qu’incarne Buster Keaton, un citadin trop fraichement converti à la vie de la ferme et « Brown Eyes », créditée avant lui au générique, une vache laitière qui deviendra l’alliée indéfectible de notre cow-boy inexpérimenté.

Une fois ses personnages et ses lieux bien mis en place, Buster Keaton multiplie les situations comiques et les enchainements visuels rapides. Les confrontations (inévitables entre cow-boys…) sont magnifiées par « l’homme qui ne rit jamais » dont la présence calme à l’écran semble avoir pour effet majeur un retour à l’essentiel des enjeux et des forces en présences. Animal, Buster Keaton ? Dans ce film-là, oui en un sens, tant son personnage est lié, à la vie, à la mort à sa seule amie, « Brown Eyes » et donc par extension, à la « cause des vaches ».

Cela va de soi en fait, car les troupeaux humains de citadins montrés au début piétinent alors que les troupeaux de vaches ou de taureaux poursuivent. Et quoi de plus « Keatonien » que la poursuite ?

D’ailleurs, la longue course-poursuite qui rythme le dernier tiers du film est comme un retour en grâce pour le personnage de Buster Keaton, qui, tout en sauvant les vaches, sauve de la ruine son patron dans une ville prise d’assaut par des milliers de bovins. Le film est à voir absolument pour découvrir comment la maitrise de l’espace et du temps de Buster Keaton vient aussi bien à bout de la force brute de la nature qu’aux conflits d’intérêts, bien humains, ceux-là.

Georges Coste